« Les responsables chrétiens seraient-ils d’accord si le chef d’un parti politique venait dans leur église et décidait de conduire la messe à leur place ? ». Cette question, posée par une activiste assyrienne membre du comité en charge de l’écriture de la Constitution du Gouvernement régional du Kurdistan, symbolise bien les accusations dont le clergé chrétien est la cible actuellement.
Les responsables religieux chrétiens semblent, en effet, s’impliquer de plus en plus dans la vie politique irakienne. Le 19 octobre par exemple, à la suite de l’avancée de l’armée irakienne à Kirkouk, la « Jérusalem kurde », le Patriarche de l’Église catholique chaldéenne Louis Raphaël Ier Sako a exhorté Bagdad et Erbil à coopérer sereinement afin qu’une véritable réconciliation nationale puisse être conduite une fois l’Etat islamique défait, rappelant qu’il était plus important de préserver les êtres humains plutôt que les champs de pétrole. L’intitulé de ce plaidoyer, « Un appel aux responsables irakiens », est éloquent : il montre la vision que le Patriarche tient de son rôle dans les affaires politiques irakiennes, s’érigeant en une sorte de référence morale et spirituelle pour les leaders irakiens.
En parallèle, un groupe de clercs chrétiens a lancé un projet politique appelant formellement à une séparation du Kurdistan et de l’Irak, tandis que d’autres ont appelé leurs ouailles à rejoindre le potentiel futur Etat kurde.
Les accusations d’ingérence politique dont font l’objet les responsables religieux chrétiens ne semblent donc pas infondées ; toutefois, elle reflètent surtout le conflit permanent opposant politiciens et religieux irakiens sur qui doit représenter les chrétiens d’Irak.
En effet, les échanges critiques entre politiciens et religieux irakiens sont assez fréquents. En février dernier par exemple, le Patriarche Sako a fermement condamné les propos du chef des Brigades de Babylone, une milice armée chrétienne, qui avait déclaré que les habitants de Mossoul avait collaboré avec l’Etat islamique en refusant de protéger les chrétiens qui s’y trouvaient en 2014. La réponse ne s’est pas faite attendre, les Brigades de Babylone répondant dès le lendemain que le Patriarche était « politisé » et qu’elles envisageaient de le traîner en justice.
De fait, ce conflit entre politiciens et religieux tient également à la personnalité du Patriarche Sako. Charismatique et respecté par ses pairs, ce dernier s’est employé à unir sous une même bannière les quatorze mouvements différents parcourant la communauté des chrétiens d’Irak, appelant même, en 2016, à créer un conseil œcuménique unifié dont le but aurait été de mettre en place une sorte d’autorité politique pour les chrétiens participant aux élections.
En pleine recomposition de la vie politique irakienne et en pleines turbulences identitaires, le Patriarche Sako essaye ainsi de maintenir une certaine unité chrétienne, quitte à empiéter sur les prérogatives d’ordinaire réservées aux partis politiques.
Image : Le Patriarche de l’Église catholique chaldéenne Louis Raphaël Ier Sako rencontre des responsables politiques autrichiens en novembre 2015. By Bundesministerium für Europa, Integration und Äusseres, CC BY 2.0