Depuis plus d’un an, jamais le problème anglophone ne s’était manifesté avec une telle acuité. De nombreux mouvements contestataires ont émergé, dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. La minorité anglophone, soit environ 20 % de la population camerounaise, proteste contre sa marginalisation au sein de la société. Ce sentiment de sous-représentation au sein du corps électoral, de la vie politique, administrative et sociale s’accompagne d’une volonté de plus en plus grandissante, d’une partie de la population, de faire sécession.
Dans cet article, paru le 9 janvier 2018, Yann Gwet, chroniqueur au journal Le Monde Afrique, revient sur le risque d’une partition à terme du pays, et sur l’échec du projet de construction d’une nation camerounaise.
Aux origines du mouvement : le legs colonial
Déclenchée par des revendications économiques et sociales, la crise au Cameroun reflète un sentiment plus profond de marginalisation historique. En effet, bien que souvent méconnu, le problème anglophone remonte aux indépendances. Ancienne colonie allemande, le Cameroun est placé sous la tutelle de la Société des Nations, à la fin de la première guerre mondiale, et confié à l’administration conjointe de la France pour sa partie orientale, et du Royaume Uni pour sa partie occidentale. Suite à l’indépendance de la partie francophone, le 1er Janvier 1960, la partie anglophone obtient, à l’exception de sa partie septentrionale, qui opte pour l’intégration au Nigéria, son rattachement à la République du Cameroun. Malgré sa réunification le Cameroun devient, le 1er octobre 1961, une République fédérale avec deux états fédérés : le Cameroun anglophone, et le Cameroun oriental. Le 20 mai 1972, à la suite d’un référendum organisé par le président Ahmadou Ahidjo, naît la République unie du Cameroun.
La crise anglophone : d’abord une crise de pouvoir ?
Il y a plus d’un an, le gouvernement de Paul Biya considérait que le problème anglophone n’existait pas. Or, depuis l’unification du Cameroun, les inégalités entre les communautés linguistiques suscitent toujours des mécontentements. Le manque de postes à responsabilités attribués aux anglophones, les difficultés rencontrées par ces derniers dans la vie quotidienne, le mauvais partage des bénéfices issus de la production de pétrole, sont autant d’arguments justifiant les revendications sectorielles. Suite à la mobilisation des avocats et des enseignements anglophones en octobre 2016, à Bamenda, la question anglophone s’est muée en une véritable revendication politique.
La réponse inappropriée apportée par le gouvernement, l’arrestation de certaines figures emblématiques du mouvement depuis janvier 2016, la coupure d’Internet pendant plus de trois mois dans les régions anglophones, et la proclamation d’indépendance de la « République fédérale d’Ambazonie », le 1er octobre dernier, n’ont fait que renforcer la méfiance et les dissensions entre le gouvernement central et la minorité anglophone. La cristallisation du repli identitaire, ne trahirait-elle pas l’échec de la politique du gouvernement de Paul Biya, et son incapacité à construire des solidarités entre les peuples ?
L’hypercentralisation du pouvoir, caractérisant le dogme politique des régimes camerounais, explique en effet, en partie, les velléités sécessionnistes. Le problème anglophone prend racine dans une réunification mal conduite, au sein de laquelle la minorité anglophone s’est sentie lésée, discriminée. La réponse du gouvernement de Paul Biya, depuis plus d’un an, démontre les limites d’un système reposant sur la corruption, et d’une politique aux revendications personnelles et clientélistes. Bien que jusqu’à présent, le gouvernement ait fait peu de concessions face aux revendications, la solution à cette crise reste politique et la mise en œuvre d’une décentralisation apparaît, à ce jour, comme la seule alternative au fédéralisme.
Quel avenir pour l’unité nationale au Cameroun ?
« La crise anglophone (…) est la manifestation de l’échec (ou de l’inexistence) du projet de construction d’une nation camerounaise. C’est en ce sens qu’elle est une crise non pas uniquement anglophone, mais camerounaise », peut-on lire. Au-delà de la crise, le mouvement anglophone s’explique au regard de l’absence d’une véritable unité nationale. Quel avenir pour un pays dont une partie de population souhaite une refonte des frontières coloniales ?
La cohésion nationale dont a besoin le Cameroun pour exister passe par la construction d’une conscience, d’un destin, d’une histoire et d’une mémoire commune et collective. Aucun mouvement sécessionniste en Afrique n’a conduit à la stabilisation d’un Etat. Dès lors, il ne tient qu’au gouvernement de trouver un modus vivendi suffisamment stable, afin de briser les frontières linguistiques, communautaires, et ethniques entre les peuples.
Seul un processus de bonne gouvernance peut affaiblir la volonté sécessionniste de la minorité anglophone. Mais il doit s’accompagner de mesures d’apaisements en premier lieu, et à plus long terme de réformes institutionnelles, telle qu’une meilleure répartition des richesses et du pouvoir, pour remédier aux problèmes plus profonds. En cette année d’élection, la crise anglophone sera un enjeu majeur dans la campagne électorale. A l’heure actuelle, il incombe donc à Paul Biya d’éviter au Cameroun un enlisement de la crise, pouvant mener à une impasse politique sans précédent. En assurant un équilibre entre les groupes communautaires, le désir d’un « vivre ensemble » collectif pourra prendre racine, et mobiliser la population autour d’un avenir commun.
Image : Drapeau du Southern Cameroon, By Lambisc – Own work, CC BY-SA 3.0