En mai 2017, un projet de loi stipulant qu’Israël est « l’Etat nation du peuple juif » avait été voté en première lecture à la Knesset (le parlement israélien), approuvé à 48 voix contre 41. Si ce texte, proposé par une coalition gouvernementale en 2014, était approuvé en deuxième et troisième lecture, il deviendrait une loi fondamentale, c’est-à-dire l’équivalent d’une loi constitutionnelle. Le projet, qui a provoqué des débats houleux en Israël allant jusqu’à mettre fin à deux ans de coalition gouvernementale (en décembre 2014), a déjà été modifié afin de créer le consensus. Ainsi, une close stipulant que la langue arabe bénéficierait d’un « statut spécial » et perdrait ainsi celui de langue officielle au côté de l’hébreu, a finalement été retirée. Malgré ces concessions, le texte continue de faire débat et de scandaliser une partie de la classe politique et des médias israéliens et étrangers. Il faut dire que la question est sensible : entre identité, liberté, égalité et démocratie, le projet de loi touche aux sujets les plus fondamentaux. C’est ce dont témoigne la dernière déclaration devant la Knesset de la Ministre israélienne de la Justice Ayalet Shaked, résumé dans cet article du journal israélien Haaretz.
« Etat-nation du peuple juif » ou « Etat juif démocratique » ?
L’une des principales inquiétudes émises par les nombreux détracteurs de ce projet de loi réside dans le fait que l’expression d’« Etat nation du peuple juif » viendrait remplacer celle d’« Etat juif démocratique » et que la notion de démocratie disparaîtrait tout bonnement du texte. Beaucoup s’inquiètent donc et se questionnent sur la compatibilité entre une telle loi et le caractère démocratique de l’Etat. Ainsi, Rachel Azaria, députée du parti centriste Kulanu, souligne que le texte revient à dire que toutes les lois doivent être interprétées à la lumière de « l’héritage culturel et historique juif », ce qui laisserait sur le bord de la route au moins 20 % de la population israélienne, non-juive. En outre, elle met en garde contre le risque qu’une telle loi conduise à la subordination du droit et de la justice israélienne à la loi religieuse juive, risquant non seulement de porter préjudice aux non-juifs, mais également aux Juifs athées (ou Juifs laïques, revendiquant une appartenance ethnique et/ou culturelle mais ne partageant pas les croyances et pratiques religieuses juives).
Au contraire, pour Ayalet Shaked, affirmer la judéité de l’Etat en même temps que son caractère démocratique n’est pas antinomique. Aux détracteurs qui s’inquiètent de l’absence du mot « égalité » du projet de loi, la Ministre répond « il y a égalité des droits pour tous les citoyens, mais pas de droits nationaux égaux », poursuivant « le caractère juif de l’Etat d’Israël doit être maintenu, et cela parfois au prix de l’égalité ».
« Judaïser la Galilée »
En effet, sur ce point la déclaration de la Ministre, connue pour ses positions plutôt radicales, est tout à fait claire : Israël doit renouer avec son ambition de « judaïser la Galilée », et ce à tout prix. Cette expression fait écho à la politique israélienne de peuplement au lendemain de la guerre d’indépendance de 1948. Pour Ayalet Shaked, Israël a perdu de vue cet objectif qui n’est pourtant pas incompatible avec le respect du droits des « arabes résident en Israël ». Et si ce cap a été perdu, ce n’est pas un hasard : « Depuis une vingtaine d’années, on s’est concentré sur des lois portant sur les valeurs universelles et on a délaissé la caractère juif de l’Etat ». Il est donc urgent, pour la Ministre, de ré-affirmer les « valeurs nationales et juives », serait-ce au détriment des valeurs universelles qui sont de toute façon « déjà inscrites » dans le droit israélien.
Ces discussions autour du caractère juif du pays s’inscrivent directement dans le contexte des polémiques autour du traitement par Israël des demandeurs d’asile soudanais et érythréens. Ainsi, la Ministre de préciser que sans la barrière érigée par Israël dans le Sinaï, la pays aurait subi « une sorte de conquête terrifiante venue d’Afrique ». Au final, ces débats sont tous traversés par la peur de voir le judaïsme renversé par une vague démographique venu du dehors (d’Afrique en l’occurrence) ou du dedans (des Israéliens arabes). Ils ne font que mettre en évidence, si besoin était, la difficulté que pose la définition de l’identité israélienne, entre ceux qui craignent qu’un tel projet de loi ne fasse que « monter les Israéliens les uns contre les autres » et ceux qui considèrent au contraire qu’il en va de la survie même de l’Etat, en tant qu’Etat juif.
Image : La salle des séances de la Knesset, Par צילום: איציק אדרי, CC BY 2.5