«We in KAICIID believe that dialogue is a noble humanitarian mission. We are realistic. We know very well that we cannot do it alone. No organization can do it alone. This is a collective human effort. This is why we in KAICIID believe that our Centre is a hub. An international hub for all organizations which share this culture of bridge-building.» Dr Mohammad Sammak, Secretary-General of the National Committee for Christian-Muslim Dialogue.
Le Conseil d’administration du KAICIID, soit le King Abdullah bin Abdulaziz International Centre for Interreligious and Intercultural Dialogue, s’est réuni le 1er mars 2018 dans son siège à Vienne pour sa première réunion annuelle afin d’établir l’agenda de cette ONG interreligieuse pour l’année à venir.
Une organisation sui generis en faveur du dialogue religieux
S’inscrivant dans une logique coopérative, cette organisation intergouvernementale sui generis s’engage dans la promotion d’un dialogue interreligieux global pour prévenir et résoudre les conflits. En effet, elle se focalise principalement à développer la compréhension entre les différents groupes religieux et culturels afin de diffuser la justice, la paix et la réconciliation et de contrecarrer les extrémismes religieux.
Né d’une initiative saoudienne lors du Sommet Islamique du 30 novembre 2005, cette organisation est pleinement efficiente depuis le 30 octobre 2012. Bien que principalement financée par l’Arabie Saoudite, le mandat et la structure du KAICIID ont été conçus pour favoriser le dialogue entre des personnes de confessions et de cultures différentes. Comme membres notables, on peut remarquer le Saint-Siège, le l’Espagne et l’Autriche. Aussi, la gouvernance pluri-confessionnelle du centre reflète cet état d’esprit avec des représentants des cinq plus grandes religions suivies : le bouddhisme, le christianisme, l’hindouisme, l’islam et le judaïsme. Ainsi, les dirigeants actuels sont le Dr Hamad Al-Majed, le Dr Kezevino Aram, son Excellence Mgr Miguel Ayuso, son éminence le métropolite Emmanuel, le révérend Kosho Niwano, sa vertu Sheikh UL-Islam A. Pashazade, le révérend Mark Poulson, le grand rabbin David Rosen et le Dr Mohammad Sammak.
Organe composé de dirigeants influents de religions mondiales, d’institutions religieuses, culturelles et de communautés représentant plus de 20 pays, le Forum consultatif apporte une expertise nécessaire, fort de 47 à 100 experts, en phase avec les réalités complexes des multiples et divers terrains concernés, sur les programmes menés par le Conseil.
La volonté de renforcer un dialogue interreligieux global
Au cours de cette 17ème réunion, le Conseil a discuté du cadre stratégique de l’organisation à court, moyen et long terme, notamment en faveur du développement de la coopération avec les Nations Unies et l’Union européenne. Cette dernière, via l’action diplomatique française, renforce sa position de médiateur pour la paix dans le Moyen-Orient suite au retrait volontaire des Etats Unis. Aussi, on peut noter le lancement de la « plateforme interreligieuse de dialogue et de coopération dans le monde arabe » au cours de la Conférence « dialogue pour la paix : promouvoir la coexistence pacifique et la citoyenneté commune » comme facteur de cohésion sociale dans une région fréquemment déchirée par les guerres civiles et les conflits religieux.
En outre, dépassant les horizons de la région, l’organisation porte son attention sur les centres de dialogue interreligieux au Nigéria, en République centrafricaine, au Myanmar, en matière d’inclusion sociale des migrants, les boursiers et les programmes scouts. Le développement du dialogue Knowledge Hub, lancé en novembre 2017 en tant que plate-forme virtuelle axée sur l’usager, intéressé par le dialogue interreligieux, est également renforcé.
Un réel acteur en faveur du dialogue interreligieux ?
Longtemps, le royaume saoudien s’était cantonné à développer son influence dans le monde sunnite fort de son statut de « gardien des Lieux Saints », et notamment du plus sacré de tous, La Mecque. Plus encore, dès 1956, le prince et futur roi Fayçal déclare officiellement que « l’islam doit être au centre de la politique étrangère du Royaume ». Confirmé par l’article 23 de la Loi fondamentale de 1992, le principe de la da’awa, soit « l’invitation à propager l’islam », est toujours au cœur de la politique étrangère du royaume. Ainsi, selon le ledit article, « l’État protège la foi islamique et applique la Charia islamique. L’État impose le bien et combat le mal ; il accomplit les devoirs auxquels l’appelle l’islam ».
Mais le tournant géopolitique du 11 septembre 2001 et la pression de la communauté internationale qui en a découlé suite aux soupçons de financement de l’extrémisme religieux ont conduit le royaume à s’engager pleinement dans la lutte contre les violences causées par ce phénomène global. Il s’agissait en effet de se défaire de cette image de protecteur du salafisme djihadiste. Aussi, la création et la participation à ce centre par des acteurs régionaux et extrarégionaux s’inscrit dans la volonté saoudienne d’exercer un soft power religieux, au-delà du monde sunnite.
Cette organisation a pu ainsi réunir parallèlement, au sein de son instance dirigeante, Saoudiens et Iraniens, traditionnels et encore actuels frères ennemis, comme le montre le conflit yéménite. La présence d’intellectuels à l’instar du Dr Saoudien Hammad Al-Majed et de l’historien iranien Ata’ollah Mohajerani, ancien ministre de la Culture et de l’Orientation Religieuse (récemment remplacé), en témoigne.
Ces dernières années, ce vecteur de la diplomatie religieuse saoudienne tend à se renforcer comme le démontre la conférence « Unis contre la violence au nom de la religion » du 19 novembre 2014, durant laquelle le vœu d’une solidarité interreligieuse s’est exprimé. Les dirigeants des communautés chrétiennes, musulmanes et autres de l’Irak, de la Syrie et généralement du Moyen-Orient ont en effet dénoncé d’une seule voix toute violence pour motifs religieux et ont appelé la communauté internationale à protéger la diversité religieuse et culturelle en Irak et en Syrie. Une initiative relancée et renforcée lors d’une conférence mondiale sur le même thème lors du 27 février 2018.
Pour autant, des réserves peut être émises quant à la réelle volonté de suivre les engagements promus aussi bien à l’échelle internationale qu’en matière de politique intérieure. Un facteur essentiel d’explication est la vigueur du modèle politique qu’est la théocratie saoudienne, garante de l’unification du récent premier Etat Saoudien moderne. En 1744, l’imam Muhammad Ibn Abd al-Wahhab s’allie au chef de clan Muhammad Ibn Saoud afin de soutenir le dogme hanbalo-wahhabite. Aussi, Abd al-Wahhab reconnaît l’émir Saoud et ses successeurs comme autorité politique. Ce partenariat familial et spirituel sans cesse renforcé au fil des générations conduit à l’Etat saoudien moderne finalement reconnu internationalement le 22 septembre 1932.
Le chercheur Nabil Mouline montre ainsi les liens systémiques encore actuels entre une doctrine religieuse particulière qu’est l’école hanbalo-wahhabite et le système politique. Le triptyque des «trois 0» (orthodoxie, orthopraxie, ordre politique) régit leurs interactions. Certes, l’influence des oulémas a été « modernisée », avec l’obligation d’une qualification doctorale. Mais, force de constater que la prédominance est réelle dans les ministères du hajj (Pèlerinage), outil diplomatique par excellence, parallèlement dans ceux des Affaires Religieuses et de la Justice.
En outre, bien qu’il soit clairement affirmé dans ses statuts que le KAICIID soutient la Déclaration universelle des droits de l’Homme, notamment le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, force de constater que la réalité est tout autre au sein même du royaume. En effet, la situation encore fragile du respect de la liberté religieuse, notamment concernant la minorité chiite – et de manière plus large des droits humains – pourrait à terme freiner durablement les réformes prônées par le prince héritier Mohammed ben Salmane.
Image : By Österreichische Außenministerium – Eröffnung des Zentrums für Interreligiösen und Interkulturellen DialogUploaded by High Contrast, CC BY 2.0