Depuis la fin du processus de paix initié par les accords d’Oslo en 1993, et finalement au point mort depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995, puis le déclenchement de la seconde intifada en 2000, il n’y a plus eu de période de normalisation des relations entre autorités palestiniennes et israéliennes. Cependant, jusqu’à la déclaration du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem par Donald Trump, le 6 décembre 2017, aucun Etat ne s’était positionné contre le statu quo de la communauté internationale sur le statut de la ville sainte. La décision du transfert de l’ambassade américaine a remis la question du conflit israélo-palestinien sur le devant de la scène car cela risque de modifier les paramètres à partir desquels les négociations pouvaient se lancer.
A l’occasion de la publication du Rapport des Chefs de Mission Diplomatique de l’Union Européenne sur Jérusalem 2017, et prenant en considération les actualités de la région, l’Institut du Monde Arabe a organisé plusieurs tables rondes sur la situation à Jérusalem, le jeudi 31 mars à Paris. L’Observatoire Pharos propose une restitution des différents points qui ont été exposés par les intervenants.
Rappel historique : Jérusalem depuis 1947
Le statut de Jérusalem n’a jamais fait l’objet d’un accord final. La ville cristallise les enjeux du conflit israélo-palestinien car chacun la considère comme sa capitale naturelle du fait de la présence de lieux saints juifs (mur des Lamentations) et musulmans (l’esplanade des Mosquées). La résolution 181 de l’ONU prévoyait un découpage du territoire en deux Etats distincts et le placement de Jérusalem sous un régime international. Or, après la Guerre israélo-arabe de 1948, les forces israéliennes occupent la partie Ouest de la ville et en font officiellement la capitale en 1950. Selon les accords d’armistice, l’accès aux lieux saints doit cependant rester libre. Puis en 1967, lors de la Guerre des Six jours, l’armée israélienne conquiert Jérusalem-Est alors inclue dans la partie palestinienne définie par la ligne verte et y étend son contrôle administratif. En dépit des condamnations de l’ONU contre cette annexion, la Knesset (le parlement israëlien) vote la « Loi fondamentale », proclamant Jérusalem unifiée la « capitale éternelle et indivisible » de l’Etat d’Israël en 1980. L’ONU condamne cette décision unilatérale par les résolutions 476 et 478, estimant qu’elle constitue une violation du droit international, n’accorde pas de validité à cette annexion et invite les Etats de la communauté internationale à retirer leurs missions diplomatiques de Jérusalem. C’est ainsi la raison pour laquelle toutes les ambassades se trouvent aujourd’hui à Tel Aviv. En 1995, le Congrès américain a voté pour le transfert de son ambassade à Jérusalem mais compte tenu du caractère explosif de la question, aucun président des Etats-Unis n’avait décidé de mettre en application cette décision jusqu’à l’arrivée de Trump à la Maison blanche.
Les positions internationales sur le statut de Jérusalem
La cérémonie d’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem le 14 mai 2018 est un acte de brutalité symbolique. Symbolique car le transfert physique de l’ambassade devra attendre 2020. Brutal car elle prend le contre-pied du processus de paix et la cérémonie s’est déroulée pendant que des manifestants Gazaouis se faisaient violemment réprimés. La position de Trump est donc clairement d’afficher son soutien à l’extrême-droite israélienne tout en affirmant l’unilatéralisme américain qui fait fi du droit international. Pourtant les réactions à l’international n’ont pas eu le retentissement attendu. On aurait pu s’attendre à ce que les soutiens des Palestiniens s’opposent radicalement à cette décision afin de rééquilibrer la balance, puisque la décision américaine marginalise encore davantage les Palestiniens. On s’aperçoit en réalité que si le statut de Jérusalem demeure un acte de foi dans le monde musulman, le potentiel de contestation est surtout contenu dans l’opinion publique. Il y a des convergences d’intérêt sécuritaire, par exemple, entre l’Arabie Saoudite, l’Egypte et Israël qui empêchent ces deux grandes puissances de s’opposer à l’Etat hébreu. En même temps, ils ne peuvent s’afficher clairement aux côtés des Etats-Unis et d’Israël car ils risqueraient de rencontrer l’opposition de leur peuple.
De même, les Etats membres de l’Union Européenne qui soutiennent le processus de paix sont limités dans l’expression de leur désaccord car il n’existe pas de politique diplomatique européenne unique. L’UE fonctionne par consensus en matière de politique étrangère. Toutes les décisions doivent suivre la règle du consensus, et chaque Etat reste maître de sa propre politique étrangère. La position commune de l’UE est la condamnation de la déclaration unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël. Trois Etats membres ont pourtant assisté à la cérémonie d’inauguration de l’ambassade : La Hongrie, la Bulgarie et la République tchèque. Ainsi, dans ce contexte de divergences des sensibilités, il est difficile pour des Etats membres de se positionner fortement contre les Etats-Unis sans craindre d’accentuer les scissions internes à l’UE.
La France, dont la position vis-à-vis du conflit israélo-palestinien est quasiment inchangée depuis De Gaulle, semble à l’inverse des Etats-Unis compter sur le multilatéralisme des instances internationales pour résoudre la crise. Finalement, tout semble montrer qu’aucun Etat n’a envie de prendre la responsabilité de réparer ce que Trump et Netanyahu sont en train de briser concernant le processus de paix.
Focus sur le Rapport des Chefs de Mission Diplomatique de l’Union Européenne sur Jérusalem 2017
Le Rapport des Chefs de Mission Diplomatique de l’UE sur Jérusalem 2017 est représentatif des blocages diplomatiques sur la question.
Ce rapport est rédigé chaque année depuis 2005 par les chefs de mission des consuls généraux des Etats membres de l’UE, à Jérusalem-Est et Ramallah. Il est à usage interne mais son contenu est diffusé à Bruxelles et repris par la presse. Il se veut objectif et non-polémique. Son rôle est de délivrer un regard exhaustif pour servir de référence aux débats menés à Bruxelles.
Le tableau dressé par les chefs de missions sur la situation de Jérusalem pour 2017 est très inquiétant. Il se termine par plusieurs recommandations dont certaines se répètent chaque année car elles ne sont pas appliquées. Le rapport rappelle notamment la position officielle de l’UE qui est de considérer Jérusalem comme l’un des éléments du statut final des accords d’Oslo. Imposer une solution unilatéralement pour le statut de Jérusalem c’est donc rompre le processus de paix. Ils invitent l’UE à se faire le garant des négociations de paix. Ce rapport pourrait peser sur les décisions puisqu’il compile les entraves au droit international. Or, chaque année, le rapport des chefs de mission finit par être enterré à cause des divergences internes aux Etats membres.
Quelle issue pour Jérusalem ?
La situation actuelle est donc l’affirmation d’un unilatérialisme pro-Israélien pour les Etats-Unis et un blocage du côté de la communauté internationale qui continue de faire le choix des négociations multilatérales. Le rapport de force à Jérusalem est de plus en plus déséquilibré. Depuis des années, les autorités israéliennes mènent une politique de grignotage progressif de la ville. Les quartiers peuplés à majorité d’Israéliens tentent de gagner du terrain tandis que les quartiers palestiniens sont enclavés derrière le mur de séparation. Israël administre la municipalité de Jérusalem et gère l’ensemble des services publics, ce qui renforce la précarité des Palestiniens. Seul 10 % du budget de la ville est consacré aux quartiers palestiniens alors que ces derniers représentent 37 % de la population.
Dans les faits, Jérusalem apparaît comme une ville principalement israélienne. Mais la communauté internationale, hormis les Etats-Unis, se refuse à accorder une reconnaissance à cet état de fait.
Un dernier constat est celui de la faible réaction d’une partie de la classe politique palestinienne (Fatah) et du peuple palestinien. Les soulèvements à Gaza avaient pour principal motif la « Marche du retour », et non le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. En réalité, beaucoup d’Israéliens comme de Palestiniens ne croient plus à la solution à deux Etats qui est celle défendue par la communauté internationale. L’instauration d’un Etat israélo-palestinien unifié paraît cependant peu tenable à l’heure actuelle pour les défenseurs des droits de l’Homme. La population palestinienne est encore minoritaire sur l’ensemble des territoires (bien qu’elle suive une croissance démographique plus rapide que la population israélienne). L’instauration d’un Etat unique mènerait assurément à une situation d’apartheid difficilement acceptable en 2018 et à de longues années de tensions, mais la résolution à long terme est imprévisible.
Image : Relocation of US Embassy in Israel from Tel Aviv to Jerusalem, by U.S. Embassy Jerusalem, Wikicommons CC BY 2.0
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Informations sur les tables rondes « Jérusalem, enjeu capital(e) » organisées le 31 mai 2018 à l’Institut du Monde Arabe :
16h30-18h30 – Table-ronde : Le rapport des Consuls européens
Christian Jouret, ancien conseiller politique de l’Envoyé spécial de l’Union européenne pour le Proche-Orient.
Stanislas de Laboulaye, ambassadeur, ancien consul de France à Jérusalem.
Jean-Louis Mignot, ancien consul général de Belgique à Jérusalem.
Invité d’honneur : Danilo Türk, ancien président de la Slovénie, Ancien secrétaire général adjoint des Nations-Unies.
Modération : Marianne Meunier, journaliste à La Croix.
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Les positions internationales vis-à-vis de Jérusalem
Philippe Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris.
Joan Deas, doctorante et attachée temporaire d’enseignement et de recherche en Science politique à Sciences Po Grenoble (Laboratoire PACTE).
Yves Aubin de la Messuzière, ambassadeur, ancien directeur de l’ANMO au ministère des Affaires étrangères.
Pierre Vimont, ancien secrétaire général du Service d’action extérieure de l’Union Européenne.
Modération : Anthony Bellanger, journaliste à France inter.