Des millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis le début d’une crise qui comporte des conséquences à la fois politiques, économiques, sécuritaires et humanitaires. Cet exil, moins médiatique que celui des Syriens ou des Rohingya, ne cesse pourtant de prendre de l’ampleur.
Un exode difficile à chiffrer, en hausse depuis 2014
Le chiffrage du nombre de Vénézuéliens en exil par les organisations internationales reste discuté : pour certains, il est sous-évalué en raison d’une comptabilisation qui se borne à enregistrer les seules arrivées légales dans les différents pays d’accueil. Cette limite étant connue, les données de l’OIM témoignent en tout état de cause d’une forte hausse des départs : au moins 1,6 million de Vénézuéliens ont quitté leur pays en 2017 contre 700 000 en 2015.
Ce n’est pas la première fois que les Vénézuéliens fuient. Après l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1999, certains, hostiles au projet de « révolution bolivarienne » étaient partis, mais ils appartenaient en général à la classe moyenne, voire aisée. Depuis 2014, début de la crise politique, l’exode a toutefois pris une autre ampleur : il affecte les plus vulnérables, ceux particulièrement sensibles aux effets de l’hyperinflation [1], aux pénuries alimentaires et à l’insécurité galopante. Certaines sources comme la Brookings Institution estiment que depuis 1999, 2 à 4 millions de Vénézuéliens seraient partis, soit 7 à 13 % de la population, dont une majorité après 2014.
Le HCR invite les pays d’accueil à reconnaître aux Vénézuéliens le statut de « réfugiés »
Face à la dérive du régime, de nombreux Vénézuéliens quittent leur pays pour des raisons politiques. Selon l’UNHCR, la demande d’asile vénézuélienne est en hausse dans le monde, de 27 000 en 2016 à 50 000 en 2017. Cette tendance sous-évalue cependant le nombre de personnes en besoin de protection car tous les exilés ne déposent pas systématiquement de demande d’asile. Au regard de cette situation, l’UNHCR a exhorté les pays d’accueil à considérer tout Vénézuélien comme « réfugié », estimant que les raisons de leur départ devaient leur permettre l’accès à ce statut au regard de la définition que les pays d’Amérique latine lui ont donnée dans la Déclaration de Carthagène de 1984 [2].
Des arrivées qui mettent sous tension les capacités d’accueil de la Colombie
En 2017, 885 000 Vénézuéliens ont été accueillis dans différents pays d’Amérique latine, dont 600 000 en Colombie. Cette dernière fournit donc un effort humanitaire majeur. Chaque jour, l’emblématique pont qui relie les deux nations (le puente internacional Simón Bolívar) est traversé par des dizaines de milliers de personnes : certains cherchent une vie meilleure, d’autres effectuent l’aller-retour dans la journée pour se fournir en médicaments et en produits de première nécessité.
Face à un Venezuela rejetant toute aide extérieure, la Colombie avait manifesté, dans un premier temps, une grande mansuétude en accordant des permis de séjours temporaires aux populations en détresse. Mais les arrivées (en hausse de 62 % en un an) ont rapidement mis sous tension les capacités d’accueil déjà limitées du pays. De plus, la crise économique au Venezuela a transformé la frontière entre les deux pays en un haut lieu pour la contrebande et les trafics en tous genres. Cette situation fait craindre à l’État colombien une possible déstabilisation de sa région du nord-est qui a longtemps été contrôlée par les groupes armés et qui reste, malgré l’accord de paix avec les FARC [3], une zone instable.
Dans ce contexte, le président Juan Manuel Santos a décidé début février de resserrer les critères de délivrance des cartes de séjour. Cette mesure s’est accompagnée d’un renforcement de la militarisation de la frontière afin de prévenir les arrivées irrégulières et d’opérations d’éloignement du territoire des clandestins.
La Colombie en situation de dépendance vis-à-vis de l’aide internationale
En adoptant la Déclaration de New York à l’ONU en 2016, la communauté internationale s’est engagée à soutenir tout pays en difficulté face à un afflux massif de réfugiés ou de migrants. Or, la Colombie semble actuellement dans cette situation. Dos au mur, le président Santos a sollicité le soutien international lors d’un discours devant les membres du corps diplomatique en février 2018. Cet appel a été entendu par les États-Unis, dont l’agence USAID a annoncé une aide de 2,5 millions de dollars. Quant à l’Union européenne, son plan d’aide humanitaire pour l’Amérique latine prévoit six millions d’euros pour la Colombie (couplés à deux millions d’euros pour le Venezuela).
La mobilisation des Églises dans la gestion de la crise
Dans les deux pays, la société civile se mobilise pour répondre à la crise. Sur le plan humanitaire, de nombreuses congrégations, à l’image du Scalabrini International Migration Network, participent activement à des distributions alimentaires dans les campements de fortune en Colombie (les makeshifts). Sur le plan politique, la Conférence épiscopale du Venezuela, qui se veut derrière le peuple, s’est positionnée sur les élections du 20 mai 2018, estimant que cette date était « illégitime ». Certains membres ont clairement formulé le souhait de voir le Saint-Siège exercer une pression franche et directe pour que le régime accepte l’aide internationale indispensable pour répondre aux défis humanitaires. Pour l’heure, le président Maduro, fraîchement réélu, semble s’enliser dans le déni.
[1] Le FMI projette une inflation de 13 000 % au Venezuela en 2018, ce qui a fait dire au président Maduro, dans un entretien à France 24, que l’institution faisait partie des sicarios (tueurs à gages) opposés à son pays.
[2] Selon cette déclaration, « […] la définition ou le concept de réfugié pourrait non seulement englober les éléments de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967, mais aussi s’étendre aux personnes qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l’Homme ou d’autres circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public. »
[3] Le processus de paix entre le gouvernement et les FARC a connu une avancée historique avec la signature d’un accord de paix le 24 novembre 2016. Toutefois, la paix n’est pas « totale » : le gouvernement doit encore régler le conflit avec un autre groupe armé- l’ELN – et les différents groupes liés au crime organisé.
Image : Colombian refugees in a makeshift shelter seeking shade. By Policía Nacional de los colombianos, Wikimedia Commons CC BY-SA 2.0.