Arrivés à la fin des années 60 en Israël, les afro-américains de la communauté des African Hebrew Israelites of Jerusalem sont aujourd’hui environ 3 000, dont une majorité vit dans la ville de Dimona, à 150 km de la capitale Tel Aviv. Si leur statut a évolué après un début de relation difficile avec les autorités israéliennes, la situation de cette communauté et son statut juridique restent soumis à de nombreuses questions.
Des débuts difficile pour ces « enfants d’Israël »
Les premiers hébreux afro-américains sont arrivés en Israël en 1969. Ils étaient alors guidés par Ben Ammi – décédé en 2014 – , qui travaillait dans une fonderie de Chicago lorsque des émeutes raciales ont explosées en 66. Il aurait alors eu une vision de l’Ange Gabriel lui demandant de conduire les « enfants d’Israël » que compte la communauté afro-américaine sur leur terre originelle. Après une étape de deux ans au Liberia afin de reconnecter avec leurs racines africaines, le groupe d’environ 400 personnes, mené par Ben Ammi, est donc entré en Israël.
Ne pouvant pas bénéficier de la « loi du retour » qui permet aux juifs d’obtenir la nationalité israélienne depuis 1950, les membres de la communauté afro-américaine ont dû se lancer dans un long bras de fer avec le Ministère de l’Intérieur israélien pour obtenir le droit de rester dans le pays. Certains ont été expulsés plusieurs fois avant que la communauté n’obtienne le droit de s’installer dans le « centre d’absorption » de Dimona, destiné à l’origine aux immigrés russes. C’est en périphérie de cette ville créée ex-nihilo dans le désert du Néguev, qu’ils ont fondés le « kibboutz urbain » de Shomrey HaShalom (« le village de la paix »).
Considérés dans les années 90 comme « aussi dangereux que l’OLP » par le gouvernement israélien, les « Black Hebrews » ne bénéficiaient au départ que du statut de résidents temporaires. Mais leur situation a connu une avancée considérable en 2003, à l’occasion d’un accord passé avec les autorités israéliennes par lequel ils obtenaient le statut de résidents permanents, devenant du même coup la première communauté non-juive soumise à l’obligation du service militaire pour les hommes comme pour les femmes.
Malgré ces avancées, seule une infime minorité à pu obtenir la nationalité israélienne et la communauté estime qu’une centaine de ses membres ne bénéficie encore aujourd’hui d’aucun statut.
Des Judéens plutôt que des Juifs
Les « Hébreux noirs » se considèrent comme les descendants de la tribu de Juda, c’est-à-dire des juifs présents originellement en Israël, chassés par les Romains en 70. Leurs ancêtres se seraient réfugiés en Afrique de l’ouest avant d’être pris dans le système esclavagiste qui les a menés aux Etats-Unis.
Ils se considèrent donc comme judéens et partagent de nombreuses traditions avec les juifs : ils observent le shabbat, célèbrent la plupart des fêtes juives et leurs enfants sont circoncis selon la tradition hébraïque. En revanche, ils n’hésitent pas à prononcer le nom de « Yahvé », alors que c’est interdit dans la tradition juive, et refusent de célébrer Hanouka et Pourrim. Ils ne reconnaissent par ailleurs ni l’autorité des rabbins, ni celle du Talmud, et s’en tiennent à la lecture de l’Ancien Testament, mais aussi de certains passages du Nouveau. En plus des fêtes juives, les Hébreux afro-américains célèbrent tous les ans la « Pâque du nouveau monde » qui commémore l’exode des États-Unis en mai 1967 et fait écho au retour des enfants d’Israël annoncé dans le Livre de Jérémie (23, 7-8).
La communauté suit par ailleurs des règles strictes : ses membres mangent végan, ne portent pas de vêtement synthétique, ne consomment ni tabac ni alcool, privilégient le soin par les plantes et les accouchements naturels et pratiquent des exercices physiques réguliers. Ces règles visent à conserver un corps sain, condition selon eux d’une spiritualité saine.
Les Hébreux noirs ne se considèrent d’ailleurs pas comme juifs, mais comme judéens et préfèrent la notion de spiritualité à celle de religion. C’est ce refus de se convertir au judaïsme qui explique en partie leur difficulté à obtenir la nationalité israélienne.
Une communauté organisée mais pas fermée
Les membres de cette communauté sont environs 3 000 en Israël. Près de 500 vivent dans le « Village de la paix » tandis que 2 000 habitent la ville même de Dimona et 500 autres dans le reste du pays. Leur population s’est agrandie rapidement car il n’y a pas de régulation des naissances.
La communauté s’est dotée d’un Holy Council, composé de douze « princes ». Douze ministres s’occupent quant à eux d’organiser la vie quotidienne de la communauté tandis que des « frères et sœurs couronnées » sont en charge d’assurer l’équilibre et l’harmonie au sein du groupe en supervisant notamment les questions professionnelles et éducatives. Enfin, une vingtaine de prêtres est en charge de la vie spirituelle de la communauté.
Chaque habitant du « Village de la paix » donne une partie de ses revenus au fond communautaire qui permet de venir en aide à ceux d’entre eux qui sont dans le besoin ainsi que d’entretenir les lieux de vie. Par ailleurs, des revenus considérables proviennent de dons issus des Hébreux noirs vivant aux États-Unis.
Outre leur participation au service militaire israélien, les Hébreux afro-américains manifestent en de nombreuses occasion leur volonté d’être pleinement intégrés à la société israélienne. Ainsi, la plupart sont employés en dehors du village, des cours de perfectionnement en hébreu sont proposés aux adultes et le drapeau israélien surplombe la cour de l’école du village créée en 1993, où les enfants entonnent l’hymne national tous les matins. Cette école de la fraternité, qui compte désormais presque 20 classes et accueille des élèves de la crèche à la terminale, est d’ailleurs reconnue par le Ministère de l’éducation israélien qui la finance et laisse la liberté aux Hébreux noirs d’y enseigner leur Histoire et leur spiritualité.
La communauté n’est donc pas fermée sur elle-même et contribue à enrichir la société israélienne de multiples manières : ils produisent des aliments végan, jouent dans des groupes de jazz et de soul, et ont même représenté Israël dans plusieurs événements musicaux et sportifs internationaux. Malgré leur volonté de montrer leur honnêteté et les avancées considérables du gouvernement israélien dans les années 2000 pour améliorer leur situation, Yafit Weisbuch, un avocat des droits de l’Homme qui a représenté de nombreuses minorités dans des procès contre le Ministère de l’Intérieur Israélien, estime que l’administration israélienne « leur rend la vie aussi difficile que possible et prend régulièrement des décisions illégales en refusant de leur attribuer le statut auquel ils ont droit ».
Image : US Embassy Jerusalem, Visit to Dimona 2016, 21 Novembre 2016, Flickr, CC BY 2.0