Depuis le 1er juin 2018, les bâtiments publics bavarois arborent une croix. Une « expression de l’empreinte culturelle et historique de la Bavière » selon le gouvernement du land. En réalité, il s’agit surtout d’une tentative de convaincre les électeurs, majoritairement chrétiens, de choisir la CSU (Union chrétienne-sociale en Bavière) aux prochaines élections régionales.
Symboles religieux dans l’espace public allemand
En 1995, la Cour constitutionnelle allemande a jugé que la présence de croix et de crucifix dans les salles de classe bavaroises n’allait pas à l’encontre de la neutralité de l’Etat. La Cour obligeait toutefois les écoles à retirer ces symboles religieux si un.e élève se sentait atteint.e dans sa liberté religieuse. Le port de symboles religieux est cependant interdit pour les professeur.es en Bavière (ainsi que dans sept autres länder) depuis 2007. Il en est de même dans les salles des tribunaux.
Pour Markus Söder (le Ministre-Président bavarois) et la CSU, ces croix nouvellement installées dans des bâtiments publics ne sont pas religieuses, mais culturelles.
Des Allemand.es de moins en moins croyant.es ?
Monsieur Söder est, dans ses déclarations, en adéquation avec ses compatriotes. Les Eglises allemandes rapportent en effet une baisse de leurs membres, et la fréquentation des offices est en baisse dans tout le pays. La Bavière est également touchée, bien qu’historiquement attachée à ses églises chrétiennes, et particulièrement catholiques.
L’attachement aux symboles religieux serait alors principalement culturel, une sorte de moyen de défense de l’identité et des traditions. En ces temps de campagne électorale, la CSU, habituée à la majorité absolue en Bavière, doit faire face à un nouveau concurrent venu de l’extrême-droite. L’AfD (Alternative für Deutschland) joue sur les peurs avec un discours particulièrement islamophobe, xénophobe et raciste. Pour Jakob Augstein, dans le Spiegel, ces croix ne sont plus en Allemagne un symbole chrétien, mais « la marque de l’Occident », une façon de se séparer des autres cultures. La communauté israélite bavaroise (Israelitische Kultusgemeinde München und Oberbayern) voit aussi dans ces croix un symbole et une manifestation de la culture occidentale. Pour sa présidente, les personnes qui ne veulent pas l’accepter ne peuvent pas vivre en Bavière.
Libertés religieuses et neutralité de l’État
La manipulation de symboles religieux dans un but politique est fortement pointée du doigt. Le président de la conférence des évêques d’Allemagne a ainsi dénoncé la division et l’agitation créées par cette décision politique. Certains de ces confrères parlent même de profanation de la croix.
Au-delà de ces considérations, il est aussi intéressant de se pencher sur ce que signifie cette loi pour les nombreu.ses Bavarois.es qui ne sont pas chrétien.nes. En effet, la loi n’entrevoit aucune possibilité de protestation contre la présence de croix dans les bâtiments publics. Et si Markus Söder parle de ces croix comme d’un symbole culturel et traditionnel, la décision de 1995 affirmait clairement le caractère religieux des crucifix. Les dénonciations d’atteinte à la liberté religieuse semblent donc d’autant plus justifiées que chacun.e est forcé.e d’accepter la présence de symboles religieux dans des bâtiments publics censés être neutres. Des recours ont été lancés contre cette loi. Ils devraient permettre, dans ce pays très judiciarisé, de définir ce que sont la liberté religieuse et la neutralité de l’État dans l’Allemagne d’aujourd’hui.
Image : Steagul Bavariei by Ștefan Jurcă, Flickr, CC-BY-SA-2.0