L’arrivée au pouvoir du jeune prince héritier Mohammed Ben Salmane a conduit nombre d’observateurs à penser que le royaume engagerait une réforme de libéralisation, notamment politique. En effet, la monarchie saoudienne semblait se diriger, à défaut de se transformer en démocratie, vers plus de droits et de libertés à l’égard de ses sujets. Force est de constater que, près d’un an après sa nomination officielle en tant que prince héritier, « MBS » n’est pas encore le réformateur libéral attendu par les organismes de protection des droits fondamentaux.
Des effets d’annonce pour la réforme des droits de l’Homme
En effet, comme le souligne l’ONG Amnesty , au moins 154 personnes ont été exécutées en 2016 et 146 en 2017. Beaucoup l’ont été pour des motifs d’opposition politique, que les autorités saoudiennes ont considéré comme équivalent à des actes de « terrorisme ». Récemment, la condamnation à la peine de mort de l’opposant Salmane Al Aouda, religieux sunnite, en témoigne. Ainsi, un plus grand respect des droits de l’Homme n’est pas exprimé dans les faits.
La question de la condition féminine est également ambiguë. Certes, des avancées ont été réalisées comme annoncées au début de l’année, au-delà de l’octroi de la permission de conduire, qui représente un passeport à la libre circulation dans un pays en majeure partie désertique. Pour autant, la diversification féminine au sein des postes à responsabilités (procureur, contrôleurs des douanes…) dans la fonction publique est à renforcer pour éviter que cela ne demeure un effet d’annonce.
Les défaillances de la réforme des droits et des libertés
Les gouvernants sont généralement les premiers tenus responsables de l’inefficacité de leurs politiques, notamment de protection de droits et libertés. Pour autant, d’autres facteurs, plus structurels, entretiennent la faiblesse de ces politiques de libéralisation. En effet, les aspects économiques et sociaux sont à prendre en compte pour une pleine efficience des réformes des droits et libertés.
Si la libéralisation économique semblait être en bonne voie, elle ralentie désormais, comme en témoigne le report d’entrée en bourse d’une partie de la société nationale pétrolière Aramaco. Par ailleurs, la « saoudisation » du marché du travail crée un marché des insiders et des outsiders (Lindbeck et Snower). Ces « outsiders », ces exclus du marché, sont notamment les réfugiés, les migrants et encore les femmes.
En outre, la réticence sociale, qui est à la fois cause et conséquence des politiques traditionnellement menées par le régime, est forte vis-à-vis des mesures de modernisation sociale, économique et politique. Si la population saoudienne est en majeure partie jeune, le poids des traditions demeure. La modernisation économique, qui passerait par une réduction de la masse salariale de la fonction publique, suscite le mécontentement. Un point de contentieux est notamment la priorité accordée aux femmes dans le recrutement de certains postes dans les secteurs privé et public. L’égalité des genres n’est pas une priorité pour tous. Cet ensemble de réticences conditionne et entretient les orientations gouvernementales, qui à leur tour, en les inscrivant dans leurs politiques publiques, les renforcent.
Les relations diplomatiques impactées
Ce « cercle vicieux », présent dans la situation interne du pays, existe également à l’international. L’affaire du contentieux diplomatique entre l’Arabie Saoudite et le Canada de cet été le démontre bien. Le soutien apporté implicitement, entre autres, par le Royaume-Uni et les Etats-Unis, deux démocraties libérales, à leur partenaire saoudien témoigne de la prévalence des logiques commerciale et sécuritaire sur celle du respect des droits de l’Homme. En effet, le contexte international est particulièrement instable depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Les risques de guerres commerciales avec l’Union Européenne et la Chine sont réels. L’Arabie Saoudite demeure un partenaire commercial stratégique pour les Etats-Unis en terme, notamment, de vente de matériel militaire. Quant à la sécurité collective, elle se focalise essentiellement sur la lutte contre le terrorisme, notamment islamique . L’élimination des « poches » de l’Etat Islamique au Levant est, en effet, une priorité actuelle déterminante pour la coalition internationale.
Ainsi, pour les alliés de l’Arabie Saoudite qui soutiennent la position du royaume, l’ambassadeur canadien a fait preuve d’ingérence en critiquant la répression qui continue de servir dans le royaume saoudien. La réserve est ainsi de mise pour le partenaire saoudien, dans un Moyen-Orient rongé par la rivalité entre le triangle Etats-Unis-Israël-Arabie Saoudite d’une part et l’alliance Russie-Turquie-Iran d’autre part. La « Vision 2030 » semble ainsi s’éloigner. Définitivement ou temporairement ?
Image : President Trump’s First 100 Days or President Donald Trump walks with Mohammed bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, Deputy Crown Prince and Minister of Defense of the Kingdom of Saudi Arabia, along the West Colonnade of the White House, Official White House Photo by Shealah Craighead, Flickr, CC-BY-SA-2.0.