Les troubles politiques au Nicaragua ainsi que l’aggravation de la crise vénézuélienne ont accru les flux migratoires sur le continent latino-américain. Moins médiatisés dans nos régions, ces mouvements de population se distinguent pourtant par leur ampleur.
Le 3 septembre 2018, le Centre National de la Mémoire Historique de la Colombie publiait un rapport, « Exilio colombiano : huellas del conflicto armado más allá de las fronteras ». L’objectif de ce rapport est de mettre en lumière les expériences vécues par des centaines de milliers de personnes contraintes de quitter la Colombie à cause du conflit armé dont le pays est le théâtre depuis plus d’un siècle. Ce rapport vise également à faire reconnaître l’exil comme une forme de violence qui affecte la vie des personnes, groupes et communautés exilés dans le monde.
Les crises politiques sont au cœur de flux multiples d’une ampleur sans précédent
Les mouvements migratoires évoluent et ne sont pas toujours à sens unique. Longtemps terre d’accueil pour les réfugiés colombiens fuyant le conflit armé dans leur pays, le Venezuela s’est transformé en terre d’émigration. L’aggravation de la situation économique et politique, ainsi que la montée de la violence[1]poussent des centaines de milliers de Vénézuéliens à trouver refuge dans les Etats voisins. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, 2,3 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015, dont plus d’un million pour la Colombie.
A cela il faut ajouter quelques 300 000 « retornados », les anciens exilés colombiens qui rentrent dans leur pays. En effet, l’accord de paix signé en novembre 2016 entre le Gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) a contribué à apaiser les tensions, alors que qu’au Venezuela elles ont été accrues[2]. La tendance migratoire historique entre la Colombie et le Venezuela s’est inversée. Mais la Colombie n’est pas l’unique destination prisée par les réfugiés vénézuéliens, qui émigrent également vers d’autres pays d’Amérique du Sud.
Les exilés nicaraguayens quant à eux fuient la crise politique et le régime répressif de Daniel Ortega et de Rosario Murillo. La plupart d’entre eux ont trouvé refuge au Costa Rica. 23 000 personnes ont déjà obtenu un statut légal temporaire chez leurs voisins du sud. Les populations d’Amérique latine connaissent donc un phénomène migratoire d’une ampleur nouvelle, et la cohabitation n’est pas toujours aisée.
La montée de la xénophobie
Des attaques contre les camps d’accueil et des manifestations hostiles aux exilés ont eu lieu dans plusieurs pays. Le 18 août 2018, à Pacaraima, au Brésil, des heurts ont éclaté entre locaux et réfugiés vénézuéliens. Les camps de fortune des immigrés ont été détruits et incendiés. Beaucoup ont alors retraversé la frontière pour retourner au Venezuela.
Le même jour avait lieu au Costa Rica une manifestation anti-migrants. A San José, des Costariciens ont entamé des chants de haine, et des agressions physiques contre des immigrés nicaraguayens ont été enregistrées.
Du côté des autorités, l’augmentation de la criminalité est parfois attribuée à l’augmentation de l’immigration. C’est le cas au Brésil où la gouverneure de l’Etat du Roraima, où ont eu lieu les heurts, a demandé des renforts de sécurité pour « faire face à l’augmentation de la criminalité », attribuée à l’accroissement du nombre d’immigrés dans la région. En même temps, les capacités d’accueil des pays voisins sont mises à mal par des effectifs alarmants.
Des capacités limitées dans les pays d’accueil
Face à de tels effectifs, les autorités des pays voisins ont des difficultés à accueillir les réfugiés. Les Vénézuéliens exilés au Brésil peuvent attendre pendant des jours, des semaines voire des mois dans les camps de fortune dressés à Pacaraima, faute de moyens suffisants pour continuer leur voyage.
Au Costa Rica, alors que le gouvernement a déjà régulé la situation de 23 000 immigrés nicaraguayens, la politique d’accueil du Président Alvarado est critiquée. Le pays est actuellement en proie à des difficultés économiques et financières, et une majorité de Costariciens juge leur pays inapte à accueillir autant d’étrangers.
Face à ces difficultés, les autorités des pays d’accueil tentent de contrôler et d’endiguer l’arrivée des immigrés. Ainsi, le Pérou exige la présentation du passeport à l’entrée sur son territoire. L’Equateur envisageait de prendre des mesures similaires avant que la décision du gouvernement soit invalidée par la Défense du peuple, institution qui veille aux droits des personnes.
Un effort régional de coordination pour gérer la situation
Pour répondre au mieux à cette crise de l’immigration, les Etats d’Amérique latine tentent de s’organiser. Onze Etats se sont réunis en Equateur les 3 et 4 septembre 2018 lors d’un sommet, ayant pour objectif de mettre en oeuvre une politique commune : conditions d’accueil et de distribution des titres de séjour, question financière, etc. A l’issu de ce sommet, un appel a été lancé au Venezuela pour que le Gouvernement accepte l’aide humanitaire internationale. Le pays, invité mais absent, est de plus en plus isolé sur la scène diplomatique latino-américaine. De son côté, le Costa Rica a sollicité l’assistance de l’Organisation Internationale aux Migrations et du Haut Commissariat aux Réfugiés pour faire face à l’arrivée des Nicaraguayens. Le défi à relever est donc grand pour les Etats de la région qui connaissent une crise migratoire d’une ampleur inédite.
[1]Avec 57 homicides volontaires pour 100 000 habitants en 2015, le Venezuela enregistre une hausse quasi constante depuis 1995.
[2] « L’Opération de libération du peuple » lancée par Nicolas Maduro en 2015 pour réduire la violence dans le pays a, au contraire, contribué à l’accroître. Les arrestations et assassinats arbitraires se sont multipliés, y compris ceux de la main des forces d’Etat. La violence s’est également dirigée vers les réfugiés colombiens et a contribué à la fermeture de la frontière entre la Colombie et le Venezuela.
Image : Un membre de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) questionne une femme dans un camp d’immigrés en Colombie, By Comisión Interamericana de Derechos Humanos, Flickr, CC BY 2.0