La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de Maurice Audin, pro-indépendance de l’Algérie, par le président français le 13 septembre dernier a fait « progresser la cause de la vérité », selon Benjamin Stora, historien et président du Musée de l’Immigration.
Le Guardian revient sur la mort de Maurice Audin, étudiant en mathématiques et communiste engagé en faveur de l’indépendance de l’Algérie, enlevé en 1957, puis torturé et assassiné.
Réconciliation des mémoires
Depuis plus de 60 ans, soit depuis le jour de sa disparition, la famille de Maurice Audin n’a eu de cesse de chercher ce qu’il était arrivé à leur père et mari disparu dans la nuit du 11 juin 1957. Emmanuel Macron, en leur remettant le rapport rédigé par des historiens et des juristes, faisant état de l’implication directe de la France dans sa mort, a ainsi fait un pas de plus vers la réconciliation des mémoires.
La guerre d’Algérie (1954-1962) s’est en effet démarquée de par sa violence, tant sociale que psychologique. L’utilisation et la légitimation de la torture par la France reste l’un de ses aspects les plus controversés. La pratique de la torture a, ainsi, été rendue légalement possible en 1956 par la dispense de pouvoirs spéciaux aux forces armées françaises par le Parlement pour mettre fin aux révoltes en Algérie.
En réalité, ces « événements » ont constitué un véritable dilemme moral chez les Français ; dilemme incarné par Albert Camus, écrivain français né en Algérie. Selon lui, la torture n’est pas seulement un crime contre l’humanité : elle dégrade le bourreau autant que la victime. Il estime qu’ayant vécu la barbarie nazie au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les Français agissaient alors comme leurs anciens oppresseurs avec leurs propres concitoyens.
Réconciliation avec la gauche
Macron, en fin communicant, a su utiliser cette nouvelle à des fins politiques pour s’attirer les bonnes grâces de la gauche et se rapprocher du Parti Communiste (PC). En effet, Audin est devenu, au fil des années, une des figures centrales de la lutte communiste. Cette déclaration fait également écho au discours prononcé par Jacques Chirac à propos de la complicité de la France dans la déportation de près de 80 000 juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.
De la même manière, cette tentative de réconciliation s’associe à une volonté de réhabiliter un passé douloureux ; tentative vivement critiquée par Marine Le Pen, présidente du Front National (FN), accusant le président de « réouvrir les plaies » et de diviser les français. Brice Ortefeux, proche de Nicolas Sarkozy, a quant à lui déploré cette manie de la « repentance ».
Réconciliation avec l’Histoire et la jeunesse
Le fait que Macron appartienne à une génération n’ayant pas vécu la guerre d’Algérie induit qu’il semble possible de traiter ces événements de manière neutre et non-émotionnelle pour sortir de la dichotomie culpablité-innocence.
De même, il semble utile d’analyser ces événements avec un œil nouveau pour comprendre certaines tendances. La question d’une corrélation entre la violence des radicaux islamistes et l’héritage colonial de la France reste taboue à gauche, cette vision étant perçue comme déterministe voire raciste. Les chiffres semblent démontrer néanmoins cette connexité puisqu’un nombre important de terroristes français ont la bi-nationalité.
Bien que la véracité de ce lien ne soit pas démontrée, il semble clair, selon Andrew Hussey, auteur de l’Intifada française, que la question de la guerre d’Algérie revient à la surface chez les jeunes. Ceux-ci n’auraient qu’une vision partiale et fragmentée des événements, leur éducation à ce sujet étant principalement le fruit de récits anecdotiques de leurs grand-parents. Selon l’auteur, le système éducatif n’aurait exposé les événements que sous des traits neutres, évinçant les récits personnels d’exil et d’immigration, ne laissant pas la place à l’analyse ni au débat, et rendant les jeunes confus.
De ce point de vue, le « moment Vichy » de Macron serait une manière de rassurer la France et la jeunesse : ces événements sont clos, il est temps pour le pays d’aller de l’avant ; ce qu’avait réussi Chirac en 1995. De la même façon, il semble important pour les Algériens de pouvoir avancer en s’appropriant et en explorant leur histoire. La guerre est finie, la décolonisation également. De fait, selon Abdou Semmar, rédacteur en chef d’Algérie Part, le Front de Libération Nationale (FLN), parti au pouvoir, n’a plus aucune raison d’être. En s’interrogeant sur leur passé, il est à espérer que les futures générations seront capables de résoudre ce problème et tabou français qu’est la mémoire coloniale, en appréhendant la pluralité et la complexité des mémoires qui fondent la France.
Image : Portrait de Maurice Audin (1932 195?) peint sur le mur, rue 19 mai 1956 à Alger (Algérie), by Saber68. CC BY-SA 2.0