Le 10 septembre 2018, l’ONG Plan International œuvrant pour la protection des enfants sur des terrains de conflits, publiait un rapport exposant l’insécurité quotidienne dont souffrent les adolescentes dans la région du Lac Tchad.
Le rapport de Plan International, « Les filles dans la crise : voix du bassin du Lac Tchad », se concentre sur une région qui connaît aujourd’hui une grave crise humanitaire. Ce sont plus de 10,7 millions de personnes qui nécessitent une aide d’urgence dans les zones nigérienne, nigériane, tchadienne et camerounaise bordant le Lac Tchad.
Le bassin du Lac Tchad, autrefois un territoire fertile et renfermant de nombreuses ressources pour les populations vivant sur ses rives, est désormais le lieu de convergences de multiples menaces. Présence du groupe terroriste Boko Haram, assèchement du bassin et disparition de ses ressources, le Lac Tchad a pourtant vu affluer environ 2,4 millions de populations déplacées ces dernières années.
Des conséquences différenciées sur les femmes et les filles
Le rapport de Plan international se rapproche des gender analysis of conflict, ou analyses sexospécifiques. À la différence des études traditionnelles réalisées sur la population d’un pays prise dans son ensemble, l’angle adopté par Plan International dans son rapport permet de distinguer les impacts d’une crise ou d’un conflit sur les jeunes filles spécifiquement. Cette méthode met en lumière des incidences différenciées sur les filles et les femmes par rapport aux hommes et aux garçons.
Le compte rendu de l’ONG pointe ainsi sept défis principaux auxquels font face quotidiennement les jeunes filles vivant dans la zone transfrontalière bordant le Lac Tchad. La violence physique, la violence sexuelle, le mariage d’enfants, le mariage précoce et le mariage forcé sont les premières préoccupations, selon les entretiens réalisés par Plan International.
Les attaques et les enlèvements que subissent et craignent les jeunes filles ne sont pas seulement le fait du groupe terroriste Boko Haram. Résultant de la situation humanitaire grave et de la quasi absence d’autorité étatique dans la région du bassin, les adolescentes sont la cible de n’importe quel groupe, armé et organisé ou non ; souvent des personnes de leur village et de leur âge vivant en harmonie avec le reste de la communauté, qu’elles croisent au quotidien.
Des obstacles nombreux et variés
L’insécurité alimentaire, la mauvaise santé, la séparation des familles et l’accès limité à l’éducation constituent les quatre inquiétudes majeures. La dernière ressort particulièrement des déclarations des adolescentes : fardeau des tâches ménagères, coût des études et distance à parcourir dans des conditions peu sécurisées sont autant d’obstacles à leur souhait d’effectuer des études longues.
Plan International distingue les mariages précoces et forcés comme une des raisons majeures à l’arrêt de leurs études après le primaire. Les entretiens réalisés avec les mères, frères et pères des adolescentes au Cameroun, au Niger, au Nigéria et au Tchad indiquent que, si des barrières d’ordre culturel subsistent – l’idée que les filles finiront par se marier et rester à la maison -, celles d’ordres pratique dominent. Le manque d’argent est ainsi très souvent cité.
Résilience et ingéniosité exacerbées face aux défis de l’insécurité
Pour autant, les adolescentes manifestent une grande volonté de surmonter ces obstacles malgré les risques qu’elles encourent. Ainsi, bien qu’il expose les stratégies d’adaptation négatives auxquelles elles se résignent parfois (rapports sexuels pour subsistance, mariages forcés, privation de repas au profit des plus jeunes, …), le rapport de Plan International insiste sur les stratégies d’adaptation positives que mettent en places les jeunes filles pour se mettre à l’abri des risques et rester maîtresses de leur futur.
Les adolescentes du Lac Tchad s’inspirent notamment des femmes leaders présentes dans leurs communautés, qu’elles prennent pour modèle. Avoir l’ambition, comme ces femmes, d’être au contrôle de nombreux aspects de leur vie quotidienne est facteur d’espoir pour les jeunes filles, encore largement exclues des décisions familiales et communautaires. Le rapport souligne enfin le grand optimisme dont font preuve les jeunes filles, étonnant au regard de la situation sécuritaire de leur région.
L’étude de l’ONG donne à de nombreuses reprises la parole aux jeunes femmes et donne un nouveau regard sur la capacité de résilience de ces jeunes filles et leur rôle incontournable dans le redressement de la région du Lac Tchad. Les paroles d’une adolescente de 14 ans interrogée par Plan International, à Mora au Cameroun, en sont une bonne illustration : « Mon père m’a donné une parcelle de terrain ; j’y ai cultivé des haricots et j’en ai récolté un sac que j’ai vendu, ce qui m’a permis de m’acheter beaucoup de choses ».
Image : Jeune fille tchadienne, by Photokadaffi, CC-BY-SA-4.0