Un projet de loi de découpage territorial a fuité mercredi dernier sur les réseaux sociaux. Dans ce texte, le gouvernement prévoit de créer dix nouvelles régions – portant leur total à 20. Des cercles administratifs seront aussi créés, dont les élus siégeront à l’Assemblée nationale. Ce projet divise les Maliens alors que les élections législatives sont repoussées à novembre.
La fuite du projet de loi de découpage territorial
Mercredi dernier, le projet de loi visant au redécoupage territorial a fuité sur les réseaux sociaux. Il a immédiatement créé un tollé. De nombreuses personnalités politiques ont ainsi vivement réagit au texte. Le document en question prévoit d’ajouter 10 nouvelles régions (Bougouni, Dïoïla, Niorio, Koutiala, Gourma, Douentza, San, Bandiagara, Niala et Kita) aux 10 d’ores et déjà existantes (Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ménaka, Taoudénit, Kidal, Gao, Tombouctou, Ségou et Mopti). Ce texte s’inscrit dans la mise en place de la décentralisation du Mali dans le cadre de l’Accord de Paix d’Alger.
Signé en 2015 pour mettre fin aux tensions au nord du Mali, cet accord doit permettre une plus large représentation des intérêts des communautés du Nord en dotant les assemblées régionales de compétences élargies (Chapitre 3, article 6). L’Accord prévoit également d’améliorer la représentation des populations à l’Assemblée nationale par l’augmentation du nombre des circonscriptions électorales. Le texte de loi, s’il devait être voté et appliqué, aurait de grandes implications sur les élections législatives à venir. Mais c’est bien la nature de la réforme territoriale qui est sous le feu des critiques. L’absence de consultations préalables des populations des territoires concernés délégitime également le projet aux yeux de nombreux opposants.
Un projet qui divise la société malienne
Équité territoriale et équilibre territorial : tels sont les points qui divisent fortement les acteurs de la vie politique malienne. Les nouveaux cercles administratifs, qui serviront de bases électorales aux prochaines élections, sont souvent peu peuplés. La région de Kidal, région désertique du nord Mali et qui ne compte que 200 000 habitants se voit ainsi octroyer 8 cercles. En comparaison, 7 cercles sont octroyés à la région de Gao, peuplée pourtant d’un million d’habitants. La question communautaire est évidemment fondamentale dans ce débat. Par exemple, les quatre nouveaux cercles de la région de Gao se confondent avec des localités arabo-touarègues. La région de Gao étant peuplé majoritairement de Songhai, les députés étaient pour la plupart issus de leurs rangs. Cette tendance s’inverserait sans doute si le découpage dudit projet venait à être appliqué.
De nombreuses personnalités politiques du Nord comme l’ancien premier ministre Ouslman Issoufi Maïga ou encore Nouhoum Sarr, président du Front Africain pour le Développement (FAD), ont vivement dénoncé le texte. Alassane Tourné, conseiller municipal de Bamako et opposant à IBK, parle d’une désintégration annoncée et programmée du Mali dans une chronique engagée sur Bamada.net « Si l’on part du prince que chaque cercle a au moins un député, les trois régions du Nord (Kidal-Ménaka-Tadoueneit) auraient au minimum 18 députés. À cela il faut ajouter la vingtaine de députées des autres régions du Nord, portant (pour le Nord) le nombre des députés nationaux à environ 20 % des députés pour moins de 10 % de la population ». Avant d’ajouter « il faut que les frères Touaregs, Arabes et, au-delà, tous ceux du Nord, sans oublier tous les Maliens en général sachent que l’émancipation des régions et des peuples de tout le Mali ne pourra se faire sur le dos d’autres populations et d’autres régions ».
C’est bien la question de la place des différentes communautés maliennes et de leur pouvoir respectif dans la vie politique malienne qui sont en jeu avec cette réforme. Déjà les vives pétitions ont cédé la place à de nombreuses manifestations contre le texte qui ont eu lieu dans les grandes villes du pays.
Le porte parole du gouvernement a tenu à apaiser les tensions
Face à l’ampleur de la polémique et des spéculations sur le projet de découpage territorial, le porte parole du gouvernement, le ministre de la jeunesse Amadou Koîta, a tenu une conférence de presse lundi 22 octobre. Il a rappelé que le découpage avait été initié dès 2012. Selon lui, le gouvernement ne souhaite pas mettre en place un nouveau découpage administratif sans consultation préparatoire. Il a également affirmé que le texte restait bien à l’état de projet et qu’aucune décision ne serait prise sans les concertations régionales organisées dans toutes les régions en temps voulu. Suite aux consultations, le projet de loi sera débattu en conseil des ministres puis soumis à un vote de l’Assemblée Nationale. Il n’existe nul passage en force, donc, pour le porte parole du gouvernement. Le ministre a également tenu à rappeler l’importance de la décentralisation pour l’achèvement du processus de paix.
L’indignation générale suite à la fuite du texte est néanmoins révélatrice des difficultés du dialogue et des clivages existants entre les communautés maliennes. Cette conférence n’a pourtant pas suffit à apaiser les tensions comme le témoigne la tenue, hier après midi, d’une grande manifestation à Gao contre le projet du gouvernement.
Image : Vue de l’estrade de l’assemblée nationale du Mali, by Laurent Schaffar. Wikicommons CC BY-SA 2.0.