Le 9 octobre 2011, des milliers de manifestants défilaient au Caire devant le siège de l’audiovisuel public, Maspero, pour protester contre la démolition de l’église Saint George d’Edfou, à Assouan. Alors que les médias officiels appelaient « tous les citoyens honorables » à sortir dans la rue pour défendre l’armée contre « des attaquants coptes », les affrontements causaient la mort de 28 manifestants et 321 personnes étaient blessées. Sept ans après le massacre de Maspero, le Tahrir Institute for Middle East Policy, think tank égyptien basé à Washington, revient sur la situation de la minorité chrétienne en Égypte, entre discrimination et intégration par le régime du Maréchal Al-Sissi.
Une communauté marginalisée
Les chrétiens, majoritairement coptes, représentent 10 % de la population égyptienne. L’Égypte compte également quelques chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes. Cette communauté dans son ensemble subit des discriminations, particulièrement dans l’accès aux postes publics à haute responsabilité ou dans la représentation politique. En effet, malgré la mise en place de quotas pour les dernières élections parlementaires, ils ne représentent que 6 % de l’assemblée et sont encore très marginalisés dans la société.
Cette marginalisation de la communauté chrétienne se reflète dans l’obligation d’identification de la religion sur les documents d’identité de tous les Égyptien.ne.s. Une loi contre le blasphème existe également toujours malgré l’inscription de la liberté de culte dans la Constitution. La loi contre le blasphème affecte particulièrement les membres de la communauté chrétienne. Ils représentent ainsi 41 % des accusés et sont globalement condamnés à des amendes et des peines de prison plus importantes que leurs concitoyen.ne.s musulman.e.s.
Enfin, la communauté copte souffre particulièrement d’attentats ciblés. Le dernier en date, le 2 novembre 2018, a fait sept morts, et a été revendiqué par l’Etat islamique (EI). Les coptes en tant que communauté sont régulièrement visés par l’organisation depuis fin 2016.
Une communauté divisée
Depuis l’arrivée de l’organisation EI en Égypte en 2016, les destructions d’églises et les attaques ciblées contre les membres de la communauté copte se sont multipliées. Ces attaques, ainsi que la politique du Maréchal Al-Sissi, qui ne s’adresse qu’à la communauté copte dans son ensemble, renforcent cette impression que la communauté est un groupe uni.
Cependant, l’Eglise, et la communauté dans son ensemble, sont divisées. D’un côté, les partisans du patriarche considèrent que la communauté est composée d’individus indépendants et que le patriarche ne peut pas parler au nom de tous ces individus. De l’autre côté, ses opposants conservateurs, dont le patriarche précédent Shenouda III, pensent que le patriarche se doit de représenter toute la communauté auprès de l’État. Ces tensions sont particulièrement exacerbées depuis le meurtre de l’évêque Epiphane en juillet 2018 dans le monastère Abou Makar. Les deux accusés sont des moines de ce monastère, soupçonnés d’avoir commis ce meurtre pour des désaccords administratifs avec l’évêque, mais aussi du fait de leur désaccord idéologique avec cet homme qui représentait un mouvement de plus en plus important au sein de l’Eglise copte.
Ce meurtre a été fortement discuté sur les réseaux sociaux par la communauté copte, et les divisions de la communauté, jusque-là réservées aux cercles dirigeants, ont commencé à s’exprimer dans l’espace public. Et, si l’Eglise a annoncé vouloir prendre des mesures de sécurité, en commençant par la suspension du recrutement de nouveaux moines, les coptes ont peur de nouvelles restrictions mises en place par l’État, notamment dans l’accès aux monastères.
Une relation tendue avec le régime
La politique du régime envers la communauté copte est double. D’une part, en imposant des restrictions dans l’accès aux monastères ou aux églises, Al-Sissi renforce la marginalisation des coptes. D’autre part, après avoir été soutenu par le patriarche Théodore II lors de son coup d’état en 2013, il a multiplié les signes envers la communauté copte, en se rendant à la messe de Noël ou en mettant la reconstruction d’églises détruites au cœur de son programme présidentiel. La récente condamnation à mort de 17 personnes accusées d’avoir fait exploser trois églises coptes s’inscrit dans cette logique. Al-Sissi a également démontré son soutien en organisant un raid tuant 19 islamistes de l’EI – selon la télévision officielle égyptienne – après l’attentat du 2 novembre.
Cependant, si le patriarche l’a soutenu au nom de la communauté, et par peur des Frères Musulmans, les Égyptien.ne.s coptes n’ont pas vu leur situation s’améliorer depuis l’arrivée au pouvoir du Maréchal Al-Sissi. Ainsi, si l’archevêque de Minya a tenu à remercier les autorités lors de l’enterrement des sept victimes de l’attentat du 2 novembre, les personnes présentes sur place ont hurlé leur désaccord. En ne s’adressant publiquement qu’à cette communauté unie à travers la hiérarchie de l’Eglise copte, le Maréchal Al-Sissi tente de contrôler toute contestation venant de ces individus marginalisés et particulièrement touchés par l’actuelle crise économique que vit le pays.
Image : Monastery of Saint Anthony by Игорь М., Flickr, CC BY 2.0.