Après l’élection de Jair Bolsonaro, le 28 octobre 2018, ses opposants dans la société civile s’organisent pour tenter de peser dans les débats.
La fin d’une campagne violente
La campagne électorale 2018 a été violente, avec trois homicides recensés, une tentative d’assassinat sur M. Bolsonaro lui-même, des dizaines d’agressions physiques ou verbales, des rixes et des appels à la violence sur les réseaux sociaux. Des violences ont également été relevées dans des bureaux de vote. Les personnes visées étaient les opposants politiques – principalement mais pas exclusivement entre « pétistes » (partisans du PT) et pro-Bolsonaro -, les noirs, les femmes et les personnes LBGT. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a d’ailleurs condamné ces violences.
Contre Jair Bolsonaro, les opposants de la société civile « [n’ont] pas peur »
Le résultat du vote est tombé, mais les opposants ne baissent pas les bras. Simples citoyens, intellectuels, militants ou personnes se sentant directement menacées réagissent. Ils considèrent le nouveau président comme une menace. Tous craignent qu’une violence d´Etat ne s’installe et n’aggrave la situation des droits de l’Homme et du pluralisme dans le pays.
Le coordinateur national du mouvement des Travailleurs sans abris, Guilherme Boulos, a fait un long discours lors d’un rassemblement. Il rappelle qu’il faut accepter et reconnaître le résultat du vote. Les manifestants scandaient « Nós não temos medo » (« Nous n’avons pas peur ») et « Ninguém vai se render » (« Personne ne se rendra »). Il invite les manifestants à agir en paix, à refuser la violence :
« Bolsonaro a été élu à la Présidence du Brésil, il n’est pas Empereur du Brésil, il n’est pas propriétaire du Brésil.[…] Un Président doit respecter les libertés démocratiques, […] le droit de manifestation, […] la liberté d’expression, […] l’opposition, sans envoyer les opposants en prison. Nous n’irons pas en prison, nous descendrons dans la rue. […] Résoudre les problèmes à coups de flingues, ça ne fait pas partie de notre culture. »
Les milieux LGBT inquiets
Dans les milieux LGBT, la crainte et la prudence sont de mise. Par exemple, le groupe Piranhas Team FC, qui enseigne les arts martiaux d’auto-défense aux femmes et aux LGBT, a présenté un « guide de sécurité pour les LGBT » à l’ère Bolsonaro. On y trouve les conseils suivants, entre autres :
- chargez votre téléphone et activez la géo-localisation,
- indiquez votre trajet à vos proches,
- dans les transports, asseyez-vous à côté de quelqu’un et proche de la sortie,
- dans un taxi, asseyez-vous à l’arrière droite, gardez un œil sur le chauffeur,
- en cas de litige, éloignez-vous de l’agresseur et essayez de le déconcerter en répondant à côté de ses remarques,
- filmez la scène si possible,
- évitez à tout prix le contact physique, alertez si quelqu’un est en danger,
- si vous allez voir la police, soyez accompagné(e).
Beaucoup craignent un redoublement des agressions et des intimidations. Par ailleurs, le pays a autorisé le mariage entre personnes de même sexe en 2014. Depuis, cette décision attaquée par de nombreux traditionalistes de tous bords. Il est peu probable que la justice revienne sur cette décision (qui émane de la Cour suprême brésilienne). Cependant, les observateurs sont à l’affût des moindres signes de recul en matière de droits des personnes LGBT.
Les indígenas, de plus en plus menacés
Les indígenas sont également préoccupés. Au même titre que les autres minorités, ils se sentent menacés. Leurs droits sont déjà remis en question, en particulier depuis 2017. Les politiques libérales du futur ministre Guedes, la fusion des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, n’augurent rien de bon pour la préservation des terres de ces peuples. Militants écologistes, géographes et défenseurs des peuples autochtones se mobilisent. En outre, le regain de violence pourrait nuire aux indígenas, alors que leurs communautés sont déjà la cible d’intimidations et d’assassinats. Il est d’ailleurs à noter que, lors des élections d’État qui se déroulaient en parallèle des présidentielles (fédérales), le nombre de candidats indígenas a battu des records.
Les militants du mouvement des paysans sans terre pourraient aussi faire les frais de cette fusion des ministères.
Les libertés individuelles menacées
Les associations de défense des droits de l’Homme sonnent l’alerte depuis la campagne. Si l’on peut discuter de beaucoup de projets politiques, la ligne rouge est le respect des droits de l’Homme, rappellent-elles.
En matière de mœurs, le conservatisme de Jair Bolsonaro inquiète. Il est soutenu par un nombre conséquent de Brésiliens qui souhaitent préserver les valeurs traditionnelles. Familles traditionnelles, lutte contre les théories du genre et leur enseignement à l’école, opposition à l’avortement sont des chevaux de bataille du nouveau président. Sur ce point, il est intéressant de noter que ses soutiens sont nombreux, mais disparates. On trouve de nombreux jeunes attachés aux valeurs traditionnelles, ainsi que 38 % des personnes se déclarant évangéliques. Cependant, un autre 35 % des électeurs évangéliques n’a jamais envisagé de voter pour lui. De même, les autorités catholiques récusent son discours violent et liberticide.
On craint également pour la liberté d’expression et d’information. En effet, l’un des soutiens affichés de M. Bolsonaro est l’évêque de l’Église universelle du Règne de Dieu, Edir Macedo. Ce dernier a la main sur l’un des principaux groupes médias, Record, qui possède la troisième chaîne d’information du pays. En outre, M. Bolsonaro a déjà menacé des chaînes d’information de privatisation ou de fermeture, et a dit vouloir réduire les revenus publicitaires perçus par un des principaux journaux du pays (de centre-droite), A Folha de S.Paulo.
Hasard de calendrier, un vote prévu début novembre au Parlement à réveillé les peurs. Il concerne la sanctuarisation de l’école. La loi est appelée « école sans politique » par ses partisans ou « bâillon » par les opposants.
La société civile comme rempart
Le Brésil, pour nombre d’observateurs nationaux ou étrangers, va mettre à l’épreuve dans les années qui viennent la solidité de ses contre-pouvoirs et de sa démocratie. La société civile devra être au premier rang.
Note sur la source :
La plateforme Mídia NINJA, mi-réseau social, mi-plateforme journalistique, relaye des informations et initiatives transmises par des citoyens, militants ou journalistes. Elle a été fondée dans le sillage des grandes manifestations de 2013.
Image : Manifestation « Ele Não », 29 septembre 2018, by Mark Hillary, Flickr CC BY 2.0