Un projet de réforme de l’enseignement fait l’objet d’un débat intense au Brésil. Le projet, intitulé « École sans politique », divise au sein même du corps enseignant et des familles. Il doit être examiné début novembre par le Parlement fédéral. Les opposants l’appelle « Loi bâillon ».
Escola Sem Partido : au départ, un mouvement civique …
Le mouvement Escola Sem Partido est né il a 12 ans. Il a pris de l’ampleur à partir de 2015 et en particulier en 2016, au moment des grands procès contre le Parti des Travailleurs (PT).
À l’origine, il s’agit de groupes de parents et d’enseignants inquiets de l’endoctrinement et de la pensée unique qu’ils constatent dans les écoles fréquentées par leurs enfants. Les enseignants se disent eux-mêmes politisés à gauche et 80 % admettent tenir (au moins « parfois ») un discours politisé en classe. Les sujets sensibles sont la philosophie, la politique, la morale, la sexualité ou la religion. De nombreux élèves, parents et enseignants se plaignent du fait que les enseignants imposent leur idéologie, leurs opinions politiques ou religieuses.
Le manifeste du mouvement réclame que soient affichées dans les écoles les « devoirs de l’enseignant », qui seraient les suivants :
- n’utilisera pas l’obligation scolaire pour promouvoir ses intérêts ou opinions […],
- ne favorisera ou ne marginalisera aucun élève en raison de ses convictions ou d’une absence de convictions […],
- ne fera pas de propagande politique ou pour un parti en classe, ni inciter les élèves à participer à des manifestations publiques […],
- sur les sujets politiques, socio-culturels et économiques, présentera [de manière juste et sérieuse] les principales opinions […],
- respectera le droit des parents d’éduquer leurs enfants suivant leur principes moraux et leurs convictions,
- veillera à ce que des tiers intervenant en classe ne contreviennent pas aux 5 principes ci-avant.
Certaines écoles ont affiché volontairement ces règles, considérant qu’elles tombent sous le sens et que tout est question de mesure.
… passé au domaine politique et judiciaire
En 2014, certains partisans du mouvement ont déposé des projets de loi aux niveaux locaux ou nationaux, inspirés pas le manifeste. Une loi a notamment été approuvée dans l’État d’Alagoas. Par la suite, certains parents ont fait pression sur des enseignants ou ont porté plainte contre ceux qui ne respectaient pas la nouvelle législation.
Aujourd’hui, une proposition de réforme de l’enseignement est en discussion au Parlement fédéral. L’article 4 reprend les six « devoirs » du manifeste initial.
Craintes des partisans du projet : refuser la liberté de conscience
Pour les partisans du projet, il faut respecter la liberté de conscience de l’élève. L’enfant ne peut être endoctriné, incité à s’engager dans des actions politiques ou intimidé lorsque son opinion est contraire à celle de l’enseignant ou celle du plus grand nombre. Ils considèrent que l’école est un lieu de transmission d’un savoir, qui doit viser autant que possible la neutralité. Les enseignants n’ont pas à énoncer leurs opinions en classe. Les différents points de vue devraient être présentés de façon proportionnée, sans préférence pour les « gauchistes » ou « marxistes ». À l’inverse, la formation morale, religieuse, politique ou sexuelle des élèves serait de la compétence des familles. Pour eux, toute interférence est une violation du droit des parents à élever leurs enfants suivant les principes qui leurs sont chers. Ils accusent les enseignants de ne pas respecter la liberté d’opinion, de croyance et de conscience des familles et des élèves.
Craintes des opposants : ralentir la lutte pour les droits des minorités et les droits sociaux
Pour les opposants, la loi a une vision réductrice et mercantiliste du rôle de l’école dans l’apprentissage de la démocratie. Les opposants s’insurgent contre une censure à l’encontre des professeurs, qui bénéficient de la liberté pédagogique et d’opinion. En outre, certains observateurs craignent que, au nom du respect des opinions politiques, morales ou religieuses, il devienne difficile de parler de liberté sexuelle, d’orientation sexuelle, de droits des minorités, de droits des femmes, ou de certains domaines scientifiques (le darwinisme, notamment).
Crispations, méfiance face aux excès, et non-dits
Pour de nombreux observateurs, les excès commis par des enseignants sont réels, mais marginaux. Les préoccupations des parents sont légitimes. Les témoignages sont nombreux, y compris dans les universités et en particulier les facultés de sciences sociales. Le fond de la réforme de l’enseignement est, en réalité, une crispation identitaire autour de questions de mœurs, de croyance et de sécularisation. La méfiance est totale, des deux côtés. À l’inverse, certains observateurs affirment que l’endoctrinement de droite existe aussi, notamment dans les écoles gérées par des militaires.
Il faut rappeler que, au Brésil, l’État ne gère directement qu’une minorité des écoles. Les écoles sont en majorité privées ou semi-privées. Les programmes scolaires existent, mais peuvent varier d’un État à l’autre. Les manuels également. La marge de manœuvre pédagogique, didactique et idéologique des écoles est très grande. La religion est une matière enseignée dans le cadre scolaire. Les enseignants ont également le droit constitutionnel d’exercer leur liberté didactique. Ils doivent cependant respecter les principes de la Constitution qui protègent l’enfant de tout endoctrinement et qui garantissent la liberté éducative des parents.
Tenants et opposants de la réforme de l’enseignement sont, dans le fond, d’accord sur la nécessité de trouver un juste milieu. Permettre donc le débat d’idées, sans que les adultes n’imposent leurs opinions personnelles. Pour les tenants, les enseignants n’ont pas respecté ce juste milieu. La loi doit donc rappeler leurs limites aux enseignants et leurs droits aux élèves. Pour les opposants, cette loi est la porte ouverte à la censure et au refus de la pensée critique. Elle risque de provoquer une judiciarisation des rapports enseignants-parents.
Le ministre de l’Éducation du gouvernement Temer, Mendonça Filho, estime qu’une nouvelle loi ne résoudra pas la question.
Image : École municipale au Goiás, Brésil (2009), CC BY 3.0, Auteur : Fronteira