Le 28 octobre 2018, les Brésiliens ont élu un nouveau Président de la République : Jair Bolsonaro. Issu du Parti Social Libéral, ce dernier a triomphé grâce à un programme économique libéral, des propositions sécuritaires vigoureuses et un soutien puissant des milieux évangéliques. Le président-élu ne prendra ses fonctions que le 1er janvier 2019, mais il a déjà annoncé via son compte Twitter un projet de transfert de l’ambassade brésilienne à Jérusalem. Il emboîte ainsi le pas des Etats-Unis d’Amérique et du Guatemala.
Sur le plan de la politique étrangère, cette décision risque de reconfigurer les relations du Brésil avec les pays arabes. Historiquement modestes, ces relations avaient pourtant connu un nouvel élan depuis les années 2000.
La diplomatie brésilienne s’est rapprochée des pays arabes sous la présidence Lula da Silva
Le monde arabe ne figure pas dans la zone d’influence traditionnelle du Brésil. Toutefois, une nouvelle dynamique a été insufflée ces dernières années. Sur le plan économique, le pays s’est rapproché de façon pragmatique des Etats arabes de l’OPEP, notamment pour assurer ses besoins énergétiques. Par ailleurs, les échanges économiques ont considérablement augmenté dans les années 2000 à mesure que le Brésil consolidait sa place de puissance émergente.
Sur le plan politique, le Brésil, membre du groupe des BRICS, soutient le développement des coopérations Sud-Sud. L’ouverture au Moyen-Orient s’inscrit donc dans une logique de diversification des partenaires. Dans ce cadre, le Brésil a obtenu en 2003 le statut d’observateur au sein de la Ligue arabe et a joué un rôle moteur dans la mise en place des sommets sous format ASPA (Amérique du Sud-Pays Arabes).
La volonté de s’affirmer comme une puissance globale
Partisan d’une réforme du Conseil de sécurité, le Brésil a cherché à légitimer sa position à l’ONU en s’affirmant progressivement comme un acteur global. Dans cet esprit, le pays a ouvert plus de 40 nouvelles ambassades dans le monde ces 15 dernières années. Il a d’ailleurs renforcé sa présence dans les opérations de maintien de paix de l’ONU, y compris au sein de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban) avec plus de 250 militaires.
La diaspora syro-libanaise du Brésil, moteur du rapprochement avec le monde arabe
Le Brésil accueille une diaspora arabe conséquente depuis le XIXème siècle. Sous la présidence Lula, près d’un tiers des parlementaires était d’origine syro-libanaise. Ce groupe a joué un rôle déterminant dans la politique de rapprochement du Brésil avec les pays arabes. A la suite de la destitution de Dilma Roussef en août 2016, le Brésil a même vu arriver à la présidence, pour la première fois, un chrétien maronite d’origine libanaise avec Michel Temer.
Le transfert de l’ambassade : une rupture avec la ligne diplomatique traditionnelle
Le Brésil, tout en veillant à conserver de bonnes relations avec Israël, avait traditionnellement exprimé un intérêt pour la question palestinienne. Ces dernières années, il avait même cherché, avec un succès relatif, à assumer le rôle de médiateur dans le processus de paix. Par ailleurs, il a fini par reconnaître l’Etat palestinien en 2010, comme le reste de l’Amérique latine.
Aussi, l’annonce du président-élu représente une rupture avec les orientations diplomatiques du Brésil depuis un demi-siècle sur la question palestinienne, le multilatéralisme et le respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Pour autant, elle s’inscrit dans une certaine cohérence politique au regard de ses promesses de campagne, notamment vis-à-vis de l’électorat évangélique, majoritairement favorable à ce transfert.
Un tournant qui pourrait mettre en sommeil les coopérations avec le monde arabe
Le transfert, s’il devenait opérant, risquerait de crisper les relations avec les pays arabes unanimement attachés à la solution des deux Etats avec Jérusalem comme capitale. La visite au Caire du chef de la diplomatie brésilienne, prévue début novembre, a ainsi été annulée à la demande des autorités égyptiennes. Par ailleurs, les relations commerciales pourraient en pâtir : les exportations brésiliennes au Moyen-Orient et en Turquie représentent chaque année 16 milliards de dollars. Premier exportateur mondial de viande hallal, les producteurs du secteur manifestent d’ores et déjà leur inquiétude.
Image : Presidente da República, Michel Temer, e o Presidente eleito, Jair Bolsonaro durante declaração à imprensa. By Rogério Melo/PR, Flickr CC BY 2.0.