Les 15 et 16 novembre, l’Institut International pour la Tolérance (IIT), établi en 2017 par cheikh Mohammad ben Rached al-Maktoum, Premier ministre des Émirats, organisait à Dubaï le premier Sommet mondial de la tolérance. Réunissant près d’un millier de chefs gouvernementaux, diplomates, universitaires mais aussi représentants de la jeunesse et personnalités des secteurs privés et publics, il s’agissait de débattre de la diffusion du message de tolérance. Pour promouvoir le respect de la diversité culturelle et religieuse, et a fortiori la paix, les participants étaient invités à proposer des partenariats et des solutions innovantes inspirées de leurs expériences.
Cette initiative s’inscrit dans un effort plus large de la part du pays de se présenter comme une nation progressive et respectueuse des droits de l’Homme sur la scène internationale. Ainsi, en 2016, cheikh Mohammad ben Rached al-Maktoum créait le Ministère de la Tolérance. Néanmoins, ces mesures axées sur la religion ne doivent pas faire oublier les politiques restrictives à l’égard de droits fondamentaux tels que les libertés d’expression et d’association. Le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour revient sur les arguments avancés par le régime qui ambitionne de devenir le meneur d’un mouvement global pro-tolérance.
La revendication de la tolérance comme fondement de la société émiratie
Dans cette promotion de la diversité, les Emirats revendiquent une légitimité puisée dans des valeurs et traditions, qui découleraient notamment de la position géographique du pays, au carrefour de multiples cultures. Il s’agirait également d’un principe protégé par la Constitution et la loi, tandis que, selon Hamad al-Chaibani, directeur général de l’IIT, les constitutions en vigueur dans d’autres pays de la région rejettent toute initiative en ce sens.
Or, aux Emirats, la liberté de culte serait partie intégrante de l’histoire nationale en ce qu’elle a été avancée par le père fondateur cheikh Zayed, qui a présidé le pays pendant 33 ans. Ainsi, la Présidente du Conseil national fédéral rappelle qu’il refusait d’opérer une distinction entre musulmans et non-musulmans. De même, il initia la construction de trois églises dans la fédération, qui en comprend désormais plus de 40. Ajoutons que Dubaï compte deux temples hindous et la communauté dispose désormais également d’établissements de crémation. Plus notable encore, les chiites sont libres de pratiquer leur religion, malgré un environnement régional où les clivages avec les sunnites, courant dont se revendique la plupart des monarchies du Golfe, sont profonds.
Pour une diffusion effective de la tolérance, le gouvernement mise sur un engagement non seulement politique mais également venant de la société et du secteur privé. L’IIT est souvent donné en exemple, en se donnant pour mission l’éducation des jeunes en milieu scolaire ainsi que des femmes, dans l’espoir qu’elles inculquent les principes appris à leurs enfants dans un cadre privé. De même, des organismes se développent pour contrer les discours extrémistes et notamment djihadistes, à l’instar des centres Sawab et Hedaya.
La diffusion de la tolérance et la lutte contre le radicalisme
Fort de ce patrimoine, cheikh Mohammad affirme l’ambition de vouloir « faire des Emirats la capitale de la tolérance et du vivre ensemble ». C’est donc en leader régional de la défense du pluralisme que le pays entend se positionner, d’abord vis-à-vis des pays occidentaux, et ce malgré des entraves régulières à la liberté d’expression, sous couvert notamment de la lutte anti-terroriste. S’appuyant sur la multiethnicité de sa population, parmi laquelle on compte plus de 200 nationalités, les responsables émiratis estiment que la lutte contre le radicalisme repose sur cette diversité.
Il serait donc essentiel de mettre à profit cet état d’esprit politique à la diffusion de ce schéma de pensée. Cette stratégie est notamment soutenue par Mohinder Singh Ahluwali qui dirige le centre britannique Guru Nanak Nishkam Sewak Jatha et déclare : « Le monde est interconnecté aujourd’hui. Nous avons, dès lors, une responsabilité partagée maintenant pour travailler ensemble ». De même, Nafigullah Ashirov, mufti russe d’Asie, appelle à une relecture apaisée des principes de l’Islam mais aussi des textes sacrés en général, et considère que « les Emirats jouent un rôle prépondérant pour véhiculer un message de fraternité entre les religions ».
Par ailleurs, ce mouvement avançant un Islam modéré doit, selon les Emirats, inclure des efforts partagés par le Conseil de coopération du Golfe, notamment par la rédaction d’une charte de tolérance. De manière générale, il s’agirait de centrer l’attention sur les lieux d’enseignements et la jeunesse pour la dissuader de se tourner vers le radicalisme.
Des motivations sécuritaires et économiques
En effet, selon les Emirats, ces objectifs répondent également à des nécessités sécuritaires. Se targuant d’une situation stable – mais se gardant d’évoquer son implication dans la guerre au Yémen aux côtés du voisin saoudien – le pays considère que la paix et la prospérité dépendent de ce pluralisme. D’ailleurs, la fin du Sommet laisse la place à la 87ème assemblée générale d’Interpol, réunie à Dubaï le 21 novembre.
Dès lors, l’événement se veut l’opportunité de partager des idées pour lutter contre l’intolérance. En exportant son modèle, à commencer par la diffusion chez ses voisins, dans une région en proie au radicalisme, Hamad al-Chaibani espère « faire passer un message ». Il ajoute qu’il est « impératif de respecter l’autre et de protéger dans nos pays respectifs les droits des minorités et des expatriés ». Autant d’initiatives honorables dans le discours, mais dont l’application pratique représente un défi de taille dans une région aux doctrines radicales, notamment en Arabie saoudite où l’islam est la seule religion autorisée. Aux Emirats, comme dans tous les pays du Golfe, le système de la « kafala » nuit gravement aux droits des travailleurs émigrés, et l’honnêteté de la démarche émiratie peut donc être questionnée.
En outre, ces motivations sécuritaires sont intrinsèquement liées à des aspirations économiques. Dans un pays où la proportion d’expatriés au regard de la population totale est la plus importante, les Emirats sont dépendants des étrangers qui y travaillent. Or, pour continuer d’attirer ces ressources humaines diverses ainsi que les investissements, il est nécessaire d’être en mesure d’assurer un environnement stable ainsi que la liberté de culte.
Image : Tolerance Bridge, by Sumesh Jagdish Makhija. Wikimedia CC BY 4.0.