Alors que l’échéance officielle de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne approche à grands pas, le pays s’agite. Le Brexit, prévu pour le 29 mars 2019, est dans l’impasse, le gouvernement britannique n’arrivant pas à trouver un accord qui mette le parlement et Bruxelles d’accord. En cette période d’incertitude, de nombreux Britanniques veulent conserver leur citoyenneté européenne et se tournent vers leur arbre généalogique pour chercher des racines leur permettant de prétendre à une double nationalité. Parmi ces citoyens inquiets, on dénombre une hausse surprenante de demandes de nationalité allemande, notamment au sein de la communauté juive. En 2017, le Bureau Fédéral de Cologne, en charge des dossiers de demandes de nationalité venus de l’étranger, a enregistré 1 667 candidatures de résidents britanniques, contre seulement 43 en 2015. De janvier à octobre 2018, il en recevait déjà 1 228. A Édimbourgh, le consulat allemand dit être « inondé de candidatures ».
Des passeports perdus sous le IIIème Reich
Mais pourquoi un tel engouement pour la citoyenneté allemande spécifiquement ? Entre 1933 et 1945, sous l’ère nationale-socialiste d’Hitler, bien des Allemands se sont vus retirer leur citoyenneté pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque leurs noms ont été inscrits sur la Reich-Gesetzblatt (Gazette de la loi du Reich). Ce document listait les individus considérés comme nuisibles par l’Etat. Aujourd’hui, quiconque trouve le nom d’un ancêtre direct (parent, grand-parent, arrière-grand-parent…) dans la gazette peut prétendre à retrouver la nationalité volée à sa famille.
Le Royaume-Uni, de même que la Suisse, a accueilli bien des réfugiés allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale, dont une large communauté juive. Leurs descendants ont fait leurs vies en Grande-Bretagne, et certains voient dans le Brexit une menace, particulièrement à un moment où l’on constate une recrudescence de l’antisémitisme au Royaume-Uni. « Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de vivre dans un pays qui peut se couper de ses voisins européens. Je trouve ça désastreux », dit Pippa Goldschmidt, astrophysicienne et écrivaine juive vivant en Ecosse.
D’autres ont emménagé en Allemagne sur les traces de leurs aïeuls, profitant de la liberté de mouvement consacrée par l’Union Européenne, mais n’avaient pas posé de dossiers jusqu’à ce que le référendum sur le Brexit de 2016 ne les pousse à protéger leurs droits européens. Pour le rabbin et musicien Walter Rotschild, basé à Berlin, « être un Européen ne signifie pas que l’on n’est pas loyal envers un pays, cela signifie que l’on est loyal envers un grand nombre [de pays] en même temps ».
La portée symbolique de la nationalité allemande
Cependant, ces arguments s’appliquent à tous les citoyens britanniques qui s’inquiètent du Brexit et ont une possibilité de demander une autre nationalité. Dans le cas de la communauté juive, choisir la citoyenneté allemande a surtout une portée symbolique plus forte, qui dépasse le Brexit puisque des Juifs d’autres nationalités commencent également à poser leur candidature. Pour l’éditrice germano-américaine Donna Swarthout, vivant à Berlin, « il est très important que [les Juifs] parlent en leur nom propre, que nous prenions le contrôle de notre récit et que nous démontrions que nous ne sommes pas que des victimes. […] Nous allons aussi de l’avant. Et l’une des façons dont nous pouvons le faire, c’est en devenant citoyens allemands et en recevant tous les bénéfices qui accompagnent cette citoyenneté ». Une démarche de pardon et de deuil que la menace du Brexit a encouragé chez certains Juifs britanniques.
Image : Passeport européen allemand by Pxhere. CC Public domain.