Samedi 23 février 2019, plusieurs individus de l’ethnie pémon de la communauté de San Francisco de Yuaraní ont été assassinés à la frontière entre le Venezuela et le Brésil. Ils essayaient de faciliter l’entrée de l’aide humanitaire internationale sur le territoire vénézuélien. Selon Romel Guzaman, député de l’Assemblée Nationale, membre de l’ethnie Pémon, 25 personnes ont perdu la vie.Lorsque des convois militaires sont passés par le poste-frontière de Kumarakapay, pour interdire l’entrée de l’aide humanitaire, certains membres de la communauté se sont interposés. C’est alors que les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles.
L’entrée de l’aide humanitaire, un bras de fer entre Nicolás Maduro et son opposant Juan Guaido
Depuis début février, des cargaisons d’aide humanitaire en provenance majoritaire des Etats-Unis arrivent à la frontière du Venezuela, par la Colombie et le Brésil. Le président Nicolás Maduro dénonce une situation de « show humanitaire » et d’ingérence étrangère pour tenter de décrédibiliser son régime. Il a alors fermé les frontières. Le président par intérim autoproclamé Juan Guaido avait appelé le peuple vénézuélien à se mobiliser pour faire passer l’aide humanitaire. Ces cargaisons arrivent dans un contexte où le pays est en proie à de fortes pénuries. Ceci a déjà poussé à l’exil plus de deux millions de personnes depuis 2015. L’aide humanitaire bloquée de l’autre côté de la frontière est vitale pour l’ensemble de la population vénézuélienne. Le peuple pémon est particulièrement touché par les pénuries, surtout en médicaments.
L’ethnie pémon est composée de 30 000 individus répartis sur le territoire vénézuélien, brésilien et du Guyana. Elle est garante de l’intégrité de son territoire, régi par le statut de réserve indigène. C’est dans ce cadre que certains individus de la communauté de San Fransisco de Yuarani se sont opposés au blocage de l’entrée de l’aide sur leur territoire.
Des relations compliquées avec l’Etat national
Les pémons se plaignent de longue date du contrôle de leur territoire par des narcotrafiquants et groupes armés tels que la guérilla colombienne Armée de Libération Nationale (ELN). Ils ont récemment entretenu des relations compliquées avec l’Etat national. Le 9 décembre, les fonctionnaires des forces armées ont fermé les accès au parc national Canaima, géré normalement par ces communautés. Ils ont empêché les individus de transiter sur leur territoire, procédant à des actes de harcèlement et répression systématiques. Ces actes ont eu lieu dans le cadre d’un projet d’exploitation minière, déclarant la zone comme « Zone de développement stratégique national ». Le président Maduro justifie cette ingérence par la lutte contre la mine illégale. Les pémons accusent cependant le gouvernement de vouloir contrôler leur territoire dans le but d’exploiter leurs ressources naturelles. Face à ces attaques, certains pémons sont entrés en rébellion contre le régime de Nicolás Maduro, ce qui a provoqué la mort d’un jeune indien qui n’était pas armé.
Les réactions vives, notamment des membres de l’opposition
Malgré une situation de conflit ouvert, la journaliste vénézuélienne Sebastiana Barraez dénonce la disproportion dans la réaction des forces armées bolivariennes. Celles-ci utilisent des armes à feu contre des individus qui n’ont que des arcs et des flèches. Elle ajoute que ces ingérences répétées sont menaçantes sur le territoire autonome. Le député Vénézuélien Ramos Flores, avocat, militant des droits de l’Homme, et élu du Parlamento Amazonico a l’intention de saisir la Cour pénale internationale (CPI), pour dénoncer un crime contre l’humanité. Le 27 février, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme a sommé l’Etat vénézuélien de respecter les droits de l’ethnie Pémon. A également été demandé l’arrêt de tout usage de la force, la mise en place de mesures de protection ainsi qu’une assistance médicale. Gustavo Tarre, représentant de l’opposant Juan Guaido, à l’organisation des Etats américains a qualifié cette répression de génocide. La fraction parlementaire « 16 de Julio », d’opposition au gouvernement Maduro a solicité une autorisation pour une intervention internationale pour garantir le rétablissement du respect des droits du peuple vénézuélien.
Une demande de non-instrumentalisation partisane de la lutte indienne
Le conseil général des caciques du peuple Pémon, lors d’épisodes précédents de non-respect de leurs droits par l’Etat vénézuélien, avait appelé ce dernier à prendre ses responsabilités et notamment avait mis directement en cause le régime de Maduro. Cependant, concernant les événements récents, lors d’un communiqué publié sur sa page Facebook, il a réaffirmé sa volonté de neutralité face à la polarisation politique entre le camp du président autoproclamé Guaido et le régime de Nicolás Maduro. Il appelle à la liberté de chacun de choisir son camp mais de ne pas utiliser le nom du peuple pémon pour le faire.
De la même manière, il revendiquait une position impartiale face à l’entrée de l’aide humanitaire. Cette position est justifiée par une volonté de maintenir l’harmonie entre les membres du peuple pémon. Il déclare que chacun a le droit de s’engager à titre personnel pour l’entrée de l’aide humanitaire, encore une fois sans utiliser le nom du peuple pémon. Le conseil des caciques avait amené le maire du Gran Sabana, Emilio Gonzalez et l’opposition vénézuélienne à ne pas utiliser la lutte indienne à des fins de promotion de leur parti politique. Il semblerait que beaucoup de membre de la communauté ne partagent pas cet avis.
Image : The cliffs of Macizo del Auyán-Tepui by Stig Nigaard, 2010, Flickr CC BY 2.0