Le 26 janvier dernier, une manifestation contre les violences faites aux Peuls se tenait à Bamako. Quelques figures importantes de la politique malienne étaient présentes : Soumeila Cissé, le leader d’opposition, mais aussi l’imam Dicko, président du Haut conseil islamique. Tous ont dénoncé les violences dont sont victimes les Peuls dans le centre du pays. Cet événement organisé par les leaders politiques, dont l’association Tabital Pulaaku, intervenait peu après les violences du 1er janvier d’un village peul. Malgré des annonces fortes à l’époque de la part du Président IBK, les violences se sont accentuées depuis. Samedi 23 mars, un nouveau massacre faisait plus de 130 victimes dans le cercle de Bankass.
Ils s’agit d’affrontements entre milices, principalement dogons, mais aussi, et d’une manière moins médiatique, des forces de sécurité elles-mêmes. Ce phénomène ne concerne pas seulement le Mali mais aussi d’autres pays du Sahel où sont présents les minorités peules, comme le Burkina Faso et le Niger. Le Mali connaissait déjà des tensions avec les populations touarègues. Cela a notamment émergé sur le devant de la scène politique en 1963, suite à la répression pour mettre un terme à une révolte dont le foyer insurrectionnel était Kidal (nord Mali).
Aujourd’hui, le cas des populations peules ne se limite pas au Mali. Il est alors nécessaire de mieux comprendre la situation de cette minorité dans les pays sahéliens. Si de nombreux peuls se sont engagés dans les mouvements djihadistes de la région, les dynamiques derrière cet engagement sont complexes. La pauvreté, les importantes difficultés de la condition de nomade, ainsi que les injustices et les abus des forces de sécurité ont fortement accru la vulnérabilité des communautés face aux discours radicaux. Face à ce phénomène, les réponses sécuritaires sont insuffisantes.
Qui sont les Peuls ?
Traditionnellement, les Peuls sont des éleveurs transhumants. En Afrique de l’ouest, ils forment une population d’un peu moins de 40 millions d’individus répartie sur une quinzaine d’Etats. Ils sont les plus nombreux au Nigéria, où ils forment une communauté de 16 millions d’habitants. Proportionnellement toutefois, c’est en Guinée qu’ils sont le plus nombreux où ils représentent près de 38 % de la population. Au Mali, les Peuls sont trois millions. Ils sont un million six cents mille au Burkina Faso et un million et demi au Niger.
Dans leur très grande majorité, ils sont musulmans. Les Peuls ont joué un grand rôle dans la pénétration de l’islam en Afrique de l’ouest, notamment à travers des djihads. Ceci explique encore aujourd’hui pourquoi ils sont considérés par certains comme sujets au radicalisme. Après la décolonisation, ces éleveurs se sont retrouvés intégrés à des communautés nationales dirigées par des élites du sud (particulièrement au Mali et au Burkina Faso) et d’ethnies différentes, les Bambaras au Mali, les Mossi au Burkina ou encore les Haoussa au Niger. Les élites politiques et administratives voyaient alors d’un mauvais œil le pastoralisme, assimilé à une forme d’arriération et à un mode de vie difficilement contrôlable. Amadou Hampaté Ba (1901-1991), grand écrivain malien issu de la communauté peule, a parfois évoqué la mauvaise perception dont ils ont été victimes à travers l’histoire, souvent considérés comme enclins au communautarisme ou à la lâcheté. Hampaté Ba les comparait même au peuple juif, dans la mesure où celui-ci, avant la création d’Israël, était réparti dans plusieurs Etats et souvent victime de xénophobie.
Peuls et djihad
La question peule se pose aujourd’hui dans le cadre des groupes terroristes présents dans de nombreux pays sahéliens : le Mali, le Niger et plus récemment le Burkina Faso. Au Mali, la Katiba Macina, dirigée par Amadou Koufa et agissant principalement au centre du pays, est constituée majoritairement de Peuls. Il en est de même pour le MUJAO, actif au nord du Mali dans la région de Gao mais aussi au nord du Niger. Beaucoup auraient rejoint ses rangs pour se protéger des conflits incessants et de plus en plus meurtriers qui les opposaient aux Dahoussahaks (peuple berbère) dans la zone de Ménaka. Au Burkina Faso, Ansaroul Islam, groupe principalement actif dans la province du Soum au nord du pays, est aussi composé en grande majorité de Peuls. Son chef, Ibrahim Malam Dicko, était connu pour dénoncer les injustices dont était victime sa communauté dans la province du Soum avant de s’engager dans la lutte armée. Malam Dicko dénonçait également les structures hiérarchiques au sein même des sociétés de la région.
Ces faits continuent d’alimenter les considérations négatives de la part des membres des autres communautés de ces pays. Au Sahel, les Peuls sont vus comme les principaux acteurs des différents djihads, favorisant la pénétration d’un islam perçu par certain comme « rigoriste ». Ces faits sont encore bien ancrés dans les mémoires collectives et nourrissent des représentations parfois fantasmées de la réalité contemporaine.
Le premier djihad peul est mené par Karamoko Alpha, à partir de 1725, dans ce qui est aujourd’hui l’actuel Guinée. A sa suite, le royaume théocratique du Fouta-Djalon est instauré. Cet empire sera dirigé par une élite peule lettrée et guerrière jusqu’à sa conquête par les Français à la fin du XIXème siècle. Au Burkina Faso, au début du XIXème siècle, Sékou Amadou Barryl, autre peul, va lui aussi mener un djihad donnant naissance à l’empire peul du Macina. Cet espace s’étendra à son apogée de Ségou à Tombouctou (Mali) jusqu’au nord du Burkina Faso en englobant la ville de Djenné. Dans ses prêches, Amadou Koufa a fait de nombreuses fois référence à l’empire du Macina. Sa Katiba se désigne également comme le Front de libération du Macina (FLM), en référence à cet ancien empire. Au Nord du Nigéria actuel, c’est Ousman Dan Folio, lettré peul, qui fonde le Califat de Sokoto après un djihad commencé en 1804. Celui-ci dénonce alors la corruption qui règne parmi les élites dirigeantes haoussa. Ces faits historiques sont souvent évoqués dans les débats actuels pour alimenter les thèses selon lesquelles il existerait un lien intrinsèque, historique, entre Peuls et djihadisme.
Cependant, dans le cadre de la lutte anti-terroriste des Etats sahéliens, des Peuls, dont la plupart n’ont rien avoir avec les groupes radicaux, ont été victimes d’exactions de l’armée. Bien souvent, les forces de sécurités qui ne sont pas originaires de ces régions ne comprennent pas ces populations et les assimilent à des djihadistes. Des milices d’auto-défense peules ont alors vu le jour pour protéger les populations. Au Mali, ces milices ont mené des actions de représailles notamment envers les Dogons et les chasseurs dozos, accentuant la communautarisation du conflits et facilitant les amalgames. Au point que, dans les zones du centre, tout homme peul armé peut désormais être considéré comme un djihadiste. L’auto-défense n’est pas du djihadisme en tant que tel mais ces incompréhensions nourrissent les tensions et la perpétuation du conflit.
Les radicaux ont su adapter leurs discours et jouer sur le sentiment de marginalisation des Peuls dans les Etats sahéliens pour recruter et justifier leurs desseins. Pour comprendre ces faits, il implique d’analyser les dynamiques socio-économiques auxquelles font face ces communautés. Avant le mobile religieux, l’engagement dans le djihad est ainsi la conséquence de ressentiments et de haines qui naissent de dynamiques locales.
Des dynamiques complexes contribuant à l’extrémisme violent
Depuis l’apparition des conflits communautaires au centre du Mali, de nombreuses études et rapports ont tenté de saisir l’engagement dans l’extrémisme violent. Elles permettent de comprendre pourquoi de nombreux peuls se sont tournés vers les groupes radicaux. La compréhension des contextes locaux dans leurs dimensions sociales, économiques et sécuritaires est fondamentale pour expliquer ce phénomène.
Que l’on se trouve au centre du Mali, dans la province du Soum au Burkina, au centre-nord (Burkina) ou encore dans la région de Tillabéri au Niger, les communautés peules font face à des problématiques différentes. Par exemple, la province du Soum étant composée majoritairement de Peuls, les conflits inter-communautaires y sont moins présents qu’ailleurs. Ceux-ci n’ont donc pas joués un rôle dans l’ancrage du groupe Ansarul Islam. Le fondateur d’Ansarul Islam, Malam Dicko, dénonçait les rapports hiérarchiques entre les descendants de maîtres, les Peuls, et les descendants d’esclaves, les Rimaibés. Il était connu dans ses prêches pour critiquer la puissance des familles maraboutiques traditionnelles et le clientélisme qu’elles pratiquaient. Son discours qui contestait l’ordre établi et les traditions faisait ainsi écho aux réalités sociales de cette région.
Un élément que l’on retrouve souvent est le rapport compliqué des communautés à l’Etat central. La perception parmi les populations peules du nord Burkina d’être victimes d’un Etat prédateur, corrompu et qui pratique une justice a géométrie variable est une donnée qu’il ne faut pas négliger pour expliquer le phénomène Ansarul Islam. Ces faits sont extrêmement importants pour comprendre les dynamiques qui enclenchent les violences.
Au Mali, Human Right Watch avait dénoncé la collusion entre les forces armées maliennes et les milices d’auto-défense dogons et bambaras. Les militaires maliens se seraient livrés à des exactions et à des représailles sur des villages peuls, faits qui ont pourtant été niés par les autorités.
Au Burkina, les forces de sécurités envoyées dans les zones reculées du nord font face à des populations dont elles ne comprennent pas les coutumes et surtout la langue, le falfudé, la langue peule. L’insécurité qui s’est répandue du Mali vers les provinces transfrontalières a créée un climat de peur, conséquence du terrorisme et de la criminalité. Pour y faire face, l’Etat burkinabé a envoyé de nombreuses forces de sécurité dans ces régions à partir du printemps 2017. Elles auraient commises elles aussi des exactions sur les civils dans le cadre de leur lutte anti-terroriste. Au centre-nord du Burkina, les dynamiques sont encore différentes. Les Peuls s’affrontent avec les milices koglweogo, qui affirment se défendre parce que l’Etat est incapable d’assurer la sécurité. Ces milices hors de contrôle commettent, comme les chasseurs dozos au Mali, des exactions contre les Peuls. En retour, ils s’arment et commettent des actions de représailles. La réalité est que ces milices, sous couvert de lutter contre les djihadistes et la criminalité, s’attaquent aussi à des civils, comme le rappelle le massacre d’Ogossagou.
Au Niger, dans la région de Tillabéri ou dans la zone frontalière du nord près de Ménaka, les Peuls et les Daoussahaks sont en conflit pour les terres. Les Peuls sont également victimes de vol de bétail. Le vol de bétail est souvent cité comme étant l’origine des frustrations des Peuls et de leur demande de protection. Mais les Peuls estiment que la justice les pénalise très souvent. La violence qui entoure les conflits pour les terres et le vol de bétail sont dans ce cas des éléments centraux qui expliquent l’engagement dans des groupes armées.
Différents mobiles d’engagement et inefficacité des réponses militaires face à ces réalités
Dans ces contextes délétères, l’engagement dans un groupe armé, djihadistes ou non, peut s’expliquer par de nombreux facteurs qui peuvent d’ailleurs s’entremêler. L’engagement peut être une réponse à des problématiques économiques. Le djihad fournit une subsistance aux jeunes avides d’être utiles à leur communauté, actions qui sont parfois assimilées à une quête de reconnaissance. Le radicalisme peut également résulter d’une forme de vengeance et d’un désir de justice face aux exactions des forces armées et à un Etat perçu comme corrompu et prédateur. Enfin, la question de la sécurité est également centrale. Comme l’a montré une étude réalisée par l’Institut d’études de sécurité (ISS), l’engagement dans un groupe radical permet aussi de s’assurer une protection face aux attaques commises par d’autres communautés et groupes armés.
La crainte, mais aussi l’admiration, que les djihadistes inspirent aux individus est réelle. Elle peut alors pousser les plus vulnérables à franchir le pas et à s’engager dans une vie faite d’adrénaline, contrairement au peu de perspective qu’offre le quotidien. L’insécurité et le besoin de s’en prémunir peut expliquer pourquoi de nombreux peuls au nord Niger, en conflit avec les Daoussahaks, s’étaient massivement engagés dans le MUJAO. Finalement, le mobile religieux apparaît le moins pour justifier l’engagement dans un groupe radical. Les dynamiques socio-économiques semblent, à contrario, très importantes. Pour prévenir l’émergence d’un « problème peul » , il semble nécessaire de reconsidérer les réponses strictement sécuritaires mais aussi repenser les formes de luttes contre le terrorisme dans la région.
Image : Sud Mosque-Bani-Sahel region, by Adam Jones, Wikicommons BY-SA 3.0