Le 27 avril 2019, le tribunal provincial de Pastaza a accepté le recours de protection déposé par le peuple Waorani de Pastaza contre le développement d’activités de prospection et exploration pétrolière sur leur territoire. Le recours a été déposé par l’intermédiaire du Conseil de coordination de la nation Waorani d’Équateur-Pastaza (CONFENIAE) et le défenseur des droits. Ils demandent l’exclusion de 180 000 hectares d’un futur appel d’offre pétrolier, convoité par Exxon et Shell.
Un jugement historique en faveur des Waoranis contre l’industrie pétrolière
Le tribunal a considéré que le droit constitutionnel à la consultation préalable, libre et informée et à l’autonomie n’avait pas été respecté. Pour rappel, ce droit se base sur l’article 6 de la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail ratifié par l’Equateur. Une nouvelle consultation devra alors être menée.
S’il y a eu une enquête publique réalisée en 2012 par le gouvernement pour, justement, répondre aux exigences de la loi en matière de consultation préalable, les plaignants jugent cette enquête de mauvaise foi, la qualifiant de campagne de désinformation et manipulation, pour obtenir les signatures nécessaires.
Ainsi, le jugement fait l’objet d’un appel de la part du Ministère de l’Environnement et de l’Energie et des Ressources Naturelles Non Renouvelables. La CONFENIAE a qualifié cette réaction d’arrogante et assure se maintenir en état d’alerte face à ce « manque de respect inacceptable ». Selon Lina Maria Espinosa, avocate des plaignants, la décision pourrait influencer les communautés du centre amazonien d’Equateur à savoir les Waorani, Shuar, Achuar, Kitchuas, Shiwiar, Sapara, Andwa, pour également réclamer leurs droits. La lutte dépasse le territoire Waorani comme en témoignent les 110 000 soutiens exprimés grâce à une campagne d’information sur internet. 30 000 messages ont été envoyés au président de la République et aux ministères concernés et une lettre ouverte, par plus de 50 organisations nationales et internationales, a été écrite.
Les nations indígenas d’Equateur, premiers remparts contre l’exploitation minière
Les communautés waoranis, de tradition nomade, représentent 4 800 personnes propriétaires de 8 000 hectares de jungle dans l’Amazonie équatorienne. Ils font partie des 14 nations indigenas reconnues en Equateur. Même si L’Etat reconnaît leur souveraineté territoriale, le sous-sol a un statut particulier et reste sa propriété. Le modèle de développement équatorien, choisi dès les années 1970, est dépendant de l’exploitation minière. Le pétrole représente ¼ des revenus de l’Etat et la moitié des exportations. L’Etat équatorien découpe le territoire en « blocs » dont ils concède l’exploitation à des firmes pour une durée limité. Ces blocs se superposent géographiquement sur les territoires des communautés. C’est ainsi que les Nations indígenas sont en constant bras de fer avec le gouvernement qui promeut un modèle en contradiction avec le respect de leurs droits.
Les waoranis se considèrent comme défenseurs de la forêt amazonienne selon des croyances animistes et ne séparent pas la culture de la nature. Ils défendent un territoire mais également des formes de relations complexes entre êtres visibles et invisibles, humains et non-humains. Ils rejettent la mercantilisation des ressources naturelles sous le slogan « Monito omene godonte enamai » (notre forêt n’est pas à vendre). Les arguments qui opposent les deux parties relèvent de visions de monde et de projets peu conciliables.
La communauté la plus connue pour sa résistance à l’exploitation minière est la communauté Kichuas de Sarayaku. Cette dernière met à profit un panel très large d’outils et de stratégies de résistance : appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, recours aux instruments juridiques de protection des droits de l’Homme, présence sans faille à tous les événements internationaux de protection de l’environnement. Ils utilisent également des stratégies propres comme la constitution d’une immense barrière d’arbre à fleur de 300 km aux frontières de leur territoire en 2006. La membres de la communauté Sarayaku étaient les seuls à présent à avoir obtenu des jugements favorables. Leur activisme leur avait valu l’appellation de « terroristes environnementaux opposés au développement de la Nation » par le Président Rafael Correa, alors en poste.
Des modèles de développement et visions du monde en tension
Malgré l’intégration de la notion de « bien vivre », notion indissociable de respect de la nature, dans la Constitution équatorienne en 2008, le gouvernement équatorien reste très souple avec les firmes extractivistes. Le Président Rafael Correa s’était même autorisé une campagne de communication plutôt contradictoire au vu des fait réels, autour de l’idée que « le pétrole est moteur de bien vivre ».
Un certain nombre de territoires ont été contaminés durablement par les activités minières : saccage de larges superficies, montagnes de déchets, eaux contaminées, disparition de la faune. Le cas le plus médiatisé est l’impact de l’entreprise Chevron Texaco, ayant exploité le sous-sol entre les années 1960 et 1990. A son départ, l’entreprise y a laissé 60 millions de litres de pétrole brut et 70 millions de résidus toxiques. Un certain nombre d’habitants vivant sur le territoire développent des cancers. Après des années de lutte, de menaces contre les populations réclamant leurs droits, de harcèlement de leurs avocats, la firme a finalement été condamnée en 2011 par un tribunal équatorien à payer 9,5 milliards de dollars de réparation. L’entreprise continue de contester le jugement et n’a jamais versé la somme.
L’Etat équatorien a également été condamné en 2012 par la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme pour avoir donné le feu vert à des missions d’exploration pétrolière sur le territoire des Sarayakus sans consultation préalable. Cela ne l’a pas empêché de signer en 2016 un contrat avec l’entreprise Andes Petroleum pour l’exploration de deux blocs de forêts dans la province de Pastaza.
En décembre 2017, Lenin Moreno, le nouveau Président de l’Equateur s’était engagé à ne plus accorder de concessions minières et pétrolifères. Il avait ensuite ratifié, en 2018, l’annulation de 2 000 concessions minières. Aujourd’hui, la Confédération des Nations Indígenas d’Equateur exprime son inquiétude quant à la nouvelle politique minière. Celle-ci semble céder de nouveau aux exigences internationales favorisant une politique extractiviste.
Image : Presidente de la Asamblea Nacional, Dr, José Serrano Salgado recibe a delegación de la nacionalidad Waorani, par Alexander Moya – Asamblea Nacional, Flickr CC BY-SA 2.0