La nouvelle coalition Basta (« ça suffit ») a reçu l’approbation du Tribunal constitutionnel et présente donc une liste aux législatives européennes. Plusieurs micro-partis se sont rassemblés autour du nouveau parti Chega. La plupart des commentateurs politiques les qualifient « d’extrême droite ». La tête de liste de la coalition et fondateur de Chega refuse cette étiquette. Il considère qu’il s’agit simplement d’être une « vraie droite» qui contrecarre la gauche radicale et l’extrême gauche.
Basta : deux partis ultra-marginaux et deux nouveaux-nés
Les partis rassemblés dans le mouvement Basta sont les suivants :
- Partido Popular Monárquico : monarchiste, fondé en 1974 ;
- Partido Cidadania e Democracia Cristã : parti se réclamant de la Doctrine sociale de l’Église catholique, qui rassemble des politiques du centre et de droite, fondé en 2009 ;
- Democracia 21 : parti fondé en 2018, « libéral sur les plans économiques et des mœurs » et qui se reconnaît dans le groupe ALDE (l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe) du Parlement européen ;
- Chega (« assez ! ») : parti fondé par André Ventura (tête de liste de la coalition Basta aux élections législatives européennes).
André Ventura est professeur de droit à l’université autonome de Lisbonne, commentateur et homme politique. Il a quitté le PSD (sociaux-démocrates, centre droite) en 2018 pour fonder son nouveau parti. La naissance de la coalition Basta a été compliquée, notamment car le Tribunal constitutionnel a refusé plusieurs noms. Finalement, « Basta » a été accepté. La coalition peut donc présenter une liste, avec André Ventura en tête.
André Ventura : un élu local qui séduit et divise…
André Ventura a été élu au Conseil municipal de Loures en 2013 et 2017, sous l’étiquette du PSD. Il a démissionné à l’automne 2018, après avoir quitté le parti.
Loures est située en grande banlieue de Lisbonne. Dans l’ensemble, la circonscription est dans la moyenne nationale pour le taux de chômage, les taux de divorce ou de familles monoparentales, ou encore pour le pourcentage de bénéficiaires des minima sociaux. Le nombre de crimes et délits pour 1 000 habitants se situe autour de 30, comme dans le reste du pays. Seule grande différence, en 2011, le pourcentage d’étrangers y était deux fois plus élevé que la moyenne nationale (9 % contre 4 %, respectivement ; en 2017, les chiffres s’établissent à 7 % contre 4 %, respectivement).
En réalité, les difficultés se concentrent dans deux « quartiers sociaux » (équivalents des « cités » françaises), où 75 à 90 % de la population est africaine ou d’origine africaine (des anciennes colonies) et où vit une grande communauté Rom (Ciganos). Ces quartiers sont parmi les plus dangereux du pays. André Ventura s’est distingué et est apprécié par une partie de la population pour son discours musclé sur la criminalité… et pour ses chroniques sur l’actualité du football.
…et qui cible les Ciganos
Sur place, l’élu a toujours présenté le même visage. Certaines de ses déclarations, aujourd’hui attaquées, datent de 2013. Il ne les renie pas.
On lui reproche notamment de trop singulariser les Ciganos lorsqu’il parle de problèmes sociaux. D’après lui, les Ciganos seraient plus coupables que d’autres populations dans différents domaines : criminalité, bandes organisées, loyers et factures impayés, retrait des jeunes filles de l’école obligatoire, mariages précoces illégaux, dépendance des aides sociales. De plus, il considère que le problème principal est la faiblesse de l’État. Celui-ci n’oserait pas faire appliquer sa propre loi et ne doterait pas les polices locales d’assez de moyens.
« Il faut arrêter de dire qu’il n’y a pas de problème quand une population [les Ciganos] qui représente 0,5 % du total constitue 10 % de la population carcérale » (A. Ventura, débat télévisé lors des élections municipales 2017 – il avait obtenu 21,55 % des voix)
Interrogé aujourd’hui, André Ventura persiste et signe, affirmant disposer de données pour étayer ses déclarations. Cependant, il ne fournit pas ses sources. Or, par exemple, le Portugal ne collecte pas de statistiques ethniques pour l’heure (ni lors du recensement, ni dans l’attribution d’aides sociales). Il est donc difficile de confirmer ou infirmer les déclarations de l’ancien conseiller municipal.
Chega : une « vraie droite » aux idées radicales
En quelques vidéos, et un manifeste, les contours du parti sont tracés. André Ventura refuse l’étiquette « extrême droite ». Son parti est « populaire » (pas « populiste ») et se réclame du libéralisme personnaliste. Il veut un parti plus réactif face aux changements économiques, sociétaux et éthiques du siècle. Ses objectifs principaux sont les suivants :
- État moins intrusif et moins bureaucratique,
- baisse des charges fiscales qui asphyxient les classes moyennes,
- réforme du système politique (démocratie plus directe) et de la Constitution (pour permettre les points *),
- *rétablissement de la prison à perpétuité pour les crimes graves, voire de la peine de mort,
- *castration chimique des pédophiles refusant d’être soignés en prison,
- lutte contre la corruption et l’impunité, réforme de la justice,
- défense de la liberté de conscience et d’expression, lutte contre le politiquement correct.
Certains commentateurs l’ont qualifié de « Bolsonaro portugais ». De fait, sur la forme au moins, la ressemblance est parfois frappante. De plus, certains propos sur l’infiltration du milieu éducatif et universitaire par une certaine gauche (notamment préoccupée par « le genre ») rappellent les débats de l’année passée au Brésil sur la neutralité politique de l’école.
Chega et les migrations : entre prise en compte des faits et valorisation du « ressenti »
Concernant les migrants, André Ventura affirme ne vouloir refuser personne « fuyant la guerre, le terrorisme ou les persécutions ». En revanche, il souhaite renforcer les frontières externes de l’Union européenne. Celle-ci doit protéger efficacement les citoyens, qui doivent se sentir protégés. De fait, il associe la montée de l’AfD en Allemagne à la perception de la hausse de la criminalité depuis l’accueil massif de migrants.
Que la perception soit confirmée par les faits ou non, il estime qu’il est du devoir des politiques d’agir en amont pour que les populations soient rassurées. Il pointe du doigt, par exemple, les dangers liés aux mafias qui pratiquent la traite d’êtres humains en Méditerranée, le risque de retours d’anciens membres de Daech, ou encore les cas de personnes ayant déposé plusieurs demandes d’asiles sous des identités différentes.
Chega et l’Union européenne : oui, mais pas comme ça
Contrairement à de nombreux dirigeants traditionnellement associés à l’extrême droite, André Ventura est pro-européen. Le groupement Chega ne cherche pas à miner l’UE de l’intérieur. Il ne vise pas plus à faire sortir le Portugal de l’UE, de l’euro ou de l’espace Schengen. De fait, André Ventura dit rechercher des contacts auprès de partis comme Vox (Espagne) ou la Liga (Italie), mais refuse de s’associer au Rassemblement national français ou à l’AfD allemande, ou encore de s’asseoir parmi les euro-sceptiques dans l’hémicycle bruxellois.
Pour autant, il estime que l’Union européenne ne respecte plus ses valeurs ni sa fonction. Pour lui, elle devrait être une union de nations et se concentrer sur l’essentiel (équité entre les États et citoyens, stabilité économique, notamment). Le respect de l’identité des peuples est pour lui essentiel (plus que la question de la souveraineté institutionnelle).
En particulier, il décrie l’attitude des institutions bruxelloises vis-à-vis du Portugal et d’autres pays pendant la crise post-2008. Il s’insurge notamment lorsque le Portugal, l’Espagne ou l’Italie sont sommés de respecter la limites des 3 % de déficit, mais pas la France. Il accepte cependant complètement le principe de l’équilibre budgétaire des États de la zone euro.
Basta : un ensemble hétéroclite d’idées
De par sa composition même, le mouvement Basta est un ensemble hétéroclite d’idées, de positionnements sur l’échiquier politique, de visions de l’Europe et de la société. Il est donc difficile à cataloguer.
Le parti Chega lui-même, le plus en vue dans la coalition Basta, présente des mesures dont les niveaux d’intervention sont très disparates. Les prises de position stigmatisantes de son leader contre des catégories de citoyens, ou encore les mesures « de bon sens » contraires aux connaissances scientifiques (comme la castration chimique) inquiètent, à juste titre. La personnalité d’André Ventura cristallise l’attention, tant chez ses détracteurs que chez ses partisans. Tous reconnaissent que, lors des législatives européennes, il peut récupérer les voix d’électeurs qui ne votent pas ou plus depuis longtemps, et d’électeurs déçus par les partis traditionnels.
Le deuxième membre le plus en vue de Basta est le parti Democracia 21, nouveau-né lui aussi. Bien qu’associé au Chega dans le cadre des élections européennes, ce parti a une autre idée de l’Europe et se considère comme naturellement associé au groupe ALDE. La fondatrice de Democracia 21, Sofia Afonso Ferreira, est également bien plus mesurée qu’André Ventura. Le parti n’a pas vraiment réussi à se démarquer sur le dossier européen pendant la campagne qui s’achève. Reste à savoir s’il marquera plus clairement sa différence avec Chega lors des législatives nationales d’octobre.
Les deux autres partis n’ont jamais atteint le seuil de 1 % de voix dans des élections au Portugal.
La perception commune d’un système à bout de souffle
De nombreux partis ont été créés récemment au Portugal, et pourraient bouleverser un paysage politique resté longtemps immuable. Tous ont en commun de percevoir que les partis historiques sont à bout de souffle et ne sont plus des forces de proposition convaincantes. Tous ou presque rassemblent des personnalités qui se situaient auparavant sur différentes cases de l’échiquier politique. La vieille opposition gauche/droite semble voler en éclat, car les personnes qui s’engagent se rassemblent autour de nouveaux thèmes.
Tous, malgré leurs différences de positions sur les sujets économiques, sociaux ou sociétaux, se déclarent pour les libertés individuelles, la solidarité nationale et la liberté d’opinion.
Image : Coligação partidária Basta!, auteur : Rodrigos Pascoal, Wikicommons CC BY 4.0