Le 23 juillet 2019, le corps d’un indien waiapi a été retrouvé sans vie dans une réserve protégée à l’extrême Nord du Brésil. Il s’agissait du cacique Emrya Waiapi. Des indices laisseraient supposer que cet homme a été assassiné. La Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) soupçonne un assassinat d’orpailleurs illégaux.
Le président Bolsonaro récuse tout lien entre l’assassinat de ce cacique et l’invasion d’orpailleurs sur le territoire waiapi. Pour la Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie brésilienne (COIAB) le nouveau président du Brésil est « le pire ennemi des peuples indigènes », attaquant « systématiquement les Indiens et criminalisant leurs chefs au nom d’un vieux discours de développement social et économique du pays ». Plusieurs fois, il a nié les préjudices subis par les Indiens.
Ce meurtre présumé a eu lieu en même temps que l’arrivée d’une cinquantaine de mineurs, dits garimpeiros dans le village de Mariry sur le territoire des Waiapis. Leur territoire représente une surface de 607 000 hectares et 49 villages, au sein desquels vivent un millier de personnes. Les orpailleurs clandestins y sont réguliers. Selon Dominique Tilkin Gallois, anthropologue et professeur à l’université de São Paulo, les actes d’invasion de territoires autochtones par des garimpeiros correspond à un mouvement qui touche l’ensemble des territoires autochtones du Brésil.
L’intégrité territoriale, au cœur des débats sur la question autochtone
Le respect de l’intégrité territoriale et la question foncière sont au cœur des débats qui touchent la question autochtone au Brésil. Les peuples autochtones au Brésil représentent 0,4 % de la population, sont répartis en 252 ethnies couvrant 13 % des terres. Ces terres sont très convoitées pour leurs ressources naturelles.
La constitution de 1988 a marqué des avancées en matière de réparation du préjudice subi par les Indiens dépossédés de leurs terres à l’arrivée des colons portugais. En effet, la Constitution reconnaît l’usufruit exclusif de 13,7 % du territoire aux communautés autochtones. Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution, certains secteurs économiques ont contesté ces nouveaux droits. Les Autochtones revendiquant des terres sont apparus comme des concurrents, de par leur possibilité de bloquer ou ralentir la construction d’infrastructures si celles-ci ont un impact sur leur territoire.
Evolution de la situation territoriale des peuples autochtones
L’indépendance du Brésil marque une expansion sur les terres autochtones avec le boom du caoutchouc au XIXème siècle et le développement des cultures de café et du cacao au XXème siècle. Sur le plan idéologique et symbolique, de manière contrastée, l’identité indienne est valorisée dans un pays qui cherche son identité. Il y a une contradiction claire entre cette valorisation symbolique et les conditions réelles imposées aux Autochtones.
En 1910 est créé le Service de protection de l’Indien. Il recense les populations et son action présente une orientation assimilatrice. Plus que de protéger ces populations et leurs coutumes, le but de cette politique est de les transformer en travailleurs ruraux qui s’adaptent au projet économique brésilien.
La période de dictature militaire de 64 à 85 est aussi profondément assimilationniste, même si elle reconnaît que le processus peut prendre du temps et laisse ainsi l’usufruit exclusif de quelques territoires à certaines communautés. En même temps, la construction d’infrastructures entraîne le déplacement d’autres communautés. Le statut de l’Indien en 1973 les définit comme des populations mineures, mais reconnaît leur existence en tant que populations non intégrées. Cette reconnaissance créera de droits et des responsabilités pour l’Etat à leur sujet. Ceci sera utilisé par les mouvements qui se mobilisent sur la question indigène. C’est ainsi qu’à partir des années 1980, le mouvement indien se renforce et s’unifie, et intègre notamment la question écologique. C’est dans ce contexte que s’inscrit la constituante de 1988 : le mouvement se renforce grâce à la mobilisation forte de certaines ethnies. Dans les années 1990, les associations représentatives se chargent de dialoguer avec les instances gouvernementales.
En 1988, on passe donc d’une logique assimilationniste à la reconnaissance d’un multiculturalisme et l’affirmation du droit des peuples à préserver leur mode de vie et leur culture. Les droits fonciers peuvent s’étendre à l’ensemble des terres nécessaires à la préservation du mode de vie ou des territoires occupés à cet instant par les communautés. L’Etat conserve tout de même la propriété du sous-sol. La constitution reconnaît également une base de droits différenciés dans les domaines de la santé et de l’éducation.
L’ampleur des droits accordés pose problème dès le départ. En 1996, certaines délimitations sont contestées sur la base de titres de propriétés qui auraient été accordés avant les processus de reconnaissance.
Par l’intermédiaire de la FUNAI, les terres amérindiennes sont progressivement reconnues et homologuées par le président de la République. Entre 1990 et 2015, un grand nombre de territoires sont protégés.
L’arrivée au pouvoir du Parti des travailleurs, une confirmation de la priorité accordée à la logique développementaliste
À l’arrivée au pouvoir de Luiz Inácio Lula da Silva (dit Lula) en 2003, une logique « développementaliste » favorisera une politique de construction d’infrastructures et d’équipements. Elle n’est pas en la faveur des mouvements indigènes. Le nombre d’homologations de terres diminue. En 2007, une commission permanente est créée puis remplacée en 2017 par le Conseil national de politique indigéniste. Celui-ci est composé de 15 représentants de l’exécutif qui disposent tous d’un droit de vote, 28 représentants amérindiens, dont 13 seulement disposent d’un droit de vote et 2 représentants d’ONGs avec un droit de vote. La répartition du droit de vote montre bien une volonté de l’exécutif de conserver le pouvoir.
La construction du barrage de Belo Horizonte a alors montré les priorités du Parti des travailleurs (PT). Ils ont fait le choix de la construction d’une infrastructure ayant des retombées économiques pour des millions de brésiliens au détriment d’arguments d’ordres écologique et culturel, mis en avant par les mouvements de défense des droits des Autochtones.
Des lobbys ruraux de plus en plus puissants
Dans la continuité du gouvernement de Dilma Roussef, l’arrivée au pouvoir de Michel Temer permet le renforcement des lobbys ruraux au sein du Congrès et du gouvernement. Ceux-ci portent des intérêts en défaveur des Indiens. Ils aimeraient ainsi réduire la surface territoriale exclusive des Amérindiens pour augmenter la surface exploitable du pays. Le lobby évangélique, également présent, a ciblé les Indiens pour des raisons politico-religieuses, dénonçant leurs pratiques immorales. Les missions évangéliques ont aussi un poids dans le renforcement d’un discours en défaveur des Amérindiens. Rassemblant diverses obédiences proches du mouvement conservateur, elles sont proches de l’idéologie de la dictature militaire. Elles portent l’idée que les territoires amérindiens marquent la reconnaissance d’un abandon de la souveraineté nationale. Ceci induirait des risques de sécession mais également d’interventionnisme étranger.
En 2017, La FUNAI a vu arriver à sa tête un ancien militaire soutenu par les conservateurs. Dans la foulée, des concessions ont été accordées au lobby rural, avec une redéfinition des règles au sein de la FUNAI qui seraient jugées trop favorables aux Indiens.
On note des avancées et des retours en arrière successifs. En 2007, la promulgation de la « politique de gestion environnementale des territoires amérindiens » érige ces territoires en unités de conservation. En 2013, une proposition d’amendement vise à autoriser des concessions de terres amérindiennes au profit de fermiers et d’exploitants forestiers, ce qui en pratique est déjà le cas.
Une réalité de terrain encore plus préoccupante
L’évolution de la situation politique est préoccupante mais la situation sur le terrain l’est encore plus. Les invasions sur le terrain se multiplient sans que l’action publique ne réussisse à faire respecter les lois. Certaines zones sont très conflictuelles du fait de la présence d’exploitants forestiers illégaux et de chercheurs d’or. La promotion de lotissements illégaux y participe également. La question de l’exploitation ne fait pas consensus au sein des communautés autochtones. En effet, faute d’alternatives économiques viables, certains soutiennent l’exploitation minière, c’est le cas chez les Cinta-larga.
Le climat de violence augmente, en 2017, 97 leaders ont été assassinés pour leur résistance, en 2014 c’est 138. Depuis plusieurs années, la FUNAI fait l’objet de coupes budgétaires, ce qui ne lui permet plus d’assumer ses missions de délimitation des terres et d’assistance au développement des villages.
L’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, une politique hostile à l’autonomie et profondément raciste assumée
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bolsonaro en janvier 2019, les communautés indiennes sont encore plus préoccupées par leur sort. Depuis les années 1990, la communauté Waiapi, peuple pacifique dont le territoire a été délimité en 1996, n’avait plus subi d’agressions majeures.
Le président brésilien n’a jamais caché son hostilité vis-à-vis des peuples autochtones. Il a multiplié les interventions contre leur autonomie territoriale. Il estime, en effet, que les réserves sont une entrave à l’économie brésilienne. Selon lui, les terres autochtones pourraient servir au développement d’activités minières et agricoles.
Il avait déclaré en 2018 que les minorités devraient se plier à la majorité, qu’elles devraient s’adapter ou disparaître. Il est, dans cette mesure, favorable à l’orpaillage qu’il veut légaliser.
Nostalgique de la dictature militaire de 1964 à 1985, il a fait campagne avec un discours ouvertement raciste, homophobe, autoritaire et misogyne. Il a utilisé un discours de la peur pour construire ses promesses d’intransigeance contre le crime. Cela a notamment touché les électeurs des centres urbains désabusés dans un contexte de hausse du taux de criminalité. Dès son arrivée au pouvoir, il a nommé à la tête du Ministère de l’agriculture, la cheffe du lobby agricole au Congrès, Tereza Cristina. Il avait également proposé que la démarcation des terres soit retirée à la FUNAI pour être confiée au Ministère de l’agriculture. La proposition a été annulée in extremis par le Tribunal suprême fédéral.
Le 2 août 2019, Jair Bolsonaro a limogé Ricardo Galvao pour avoir publié des chiffres préoccupants concernant l’accélération de la déforestation amazonienne.
Le rôle de l’Eglise catholique
Certains groupes catholiques, notamment le Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI) fondé en 1972 par la Conférence Nationale des évêques missionnaires s’affirment comme défenseurs de la cause des Indiens notamment contre les intérêts capitalistes et les spoliations qui menacent la vie en Amazonie. Ils s’opposent aux groupes évangéliques et néo-pentecôtistes qui s’implantent de plus en plus en Amazonie. Selon le prêtre italien Alberto Panichella « [les groupes évangéliques] interdisent aux indigènes de se tatouer ou de se peindre le corps et les terrorisent à causes de leurs fétiches et totems ».
Pour les missionnaire de la CIMI, le but de leur action n’est pas d’évangéliser les communautés. Ils disent respecter leur religion naturelle, mais souhaitent les aider à faire face aux multiples difficultés auxquelles ils sont confrontés dans le respect de leurs coutumes.
Un avenir incertain pour les peuples autochtones du Brésil
La tribu Waiapi attend le résultat de l’autopsie du corps du cacique Emyra Wajapi, qui sera publié à la fin du mois d’août. En attendant, ils dénoncent l’invasion des orpailleurs et leurs traces laissées dans la forêt.
Le mardi 13 août, 3 000 personnes issues de communautés autochtones, pour la majorité des femmes, ont manifesté pour dénoncer « le génocide » que subissent leurs communautés après le refus de nouvelles démarcations de terres. Elles se sont également jointes à une marche regroupant des centaines de milliers de femmes du monde rural à Brasilia, le 14 août. Elles dénoncent l’augmentation de l’usage des pesticides, la volonté de Jair Bolsonaro d’autoriser l’exploitation minière sur les territoires autochtones, ainsi que la violence subie par les femmes de manière structurelle au Brésil.
Pour Eliane Potiguara, écrivaine et militante du mouvement indigène, le gouvernement du président Bolsonaro est un « gouvernement génocidaire ».
Image : A palavra, pela Lei, Par Senado Federal, CC-BY 2.0, Flickr