Cet éditorial paru dans le quotidien national Liberté Algérie souligne la difficulté pour certaines associations militantes de se rassembler. L’auteur, le journaliste Mohamed Mouloudj, dénonce avec véhémence la captation du dialogue national qui veut construire l’après-Bouteflika.
En effet, le président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1997, a présenté sa démission le 2 avril 2019. Affaibli après un premier accident cardio-vasculaire en 2013, ses rarissimes dernières apparitions publiques laissaient percevoir un homme impotent. Longtemps respecté pour avoir facilité le retour à la paix après une décennie de terrorisme de 1990 au début des années 2000, il a pourtant perdu une large partie de son soutien populaire ces dernières années. Cela s’explique principalement par son maintien au pouvoir en dépit de problèmes de santé auxquelles s’ajoutent des soupçons de fraude entourant ses réélections.
L’annonce de sa candidature à un cinquième mandat, le 10 février 2019, avait poussé les Algériens à braver l’interdiction de manifester. Ainsi depuis le 22 février dernier, le mouvement populaire se caractérise par des rassemblements pacifiques chaque vendredi dans les rues d’Alger et dans les principales villes du pays. Les manifestations, d’abord menées contre la réélection du Président Bouteflika et pour l’éviction du « clan » familial, sont motivées aujourd’hui pour le renouvellement des élites dirigeantes.
Une transition complexe
L’élection présidentielle prévue le 4 juillet 2019 a ainsi été annulée, faute de candidats. En effet, la captation du pouvoir depuis plus de vingt années par la même famille a empêché l’émergence d’une opposition solide. Le soutien de l’armée, qui noyaute le pouvoir politique, est désigné comme essentiel pour un candidat afin de se frayer une place effective sur la scène politique. Ce système opaque et jugé anti-démocratique est dénoncé par la mobilisation citoyenne qui refuse la tenue d’élections en son sein. Ainsi tout candidat potentiel prend le risque d’une hostilité populaire. Un cercle vicieux que les manifestants appellent à briser en renouvelant le personnel politique dans son ensemble pour mettre en place une assemblée constituante représentative.
La période de 90 jours de transition prévue par la Constitution est désormais dépassée
Le gouvernement algérien, avec à sa tête le Président par intérim, Abdelkader Bensalah (ancien premier ministre) et le chef d’état-major le Général Gaïd Salah (vu par les observateurs comme le véritable décideur) ont, semble-t-il, tenté de créer un espace de dialogue afin de faire émerger une solution politique. Désignée le 25 juillet par le Président par intérim Bensalah, cette instance de dialogue et de médiation a pour objectif de rassembler différentes personnalités politiques, des experts, des universitaires et des acteurs du hirak populaire (nom donné au mouvement contestataire algérien). Le but est d’écouter toutes les composantes de la société civile et de construire ensemble une solution de sortie de crise.
Dirigée par l’ancien président de l’Assemblée populaire nationale Karim Younès, l’instance peine pourtant à s’insérer dans le paysage politique. « En quête de légitimité, le panel avait notamment demandé la libération des manifestants et des personnalités arrêtés en lien avec la contestation populaire qui secoue le pays depuis le 22 février. Il avait également demandé l’allègement du dispositif sécuritaire qui encadre les manifestations hebdomadaires » écrit Marc Daou, journaliste chez France 24. L’obtention de ces conditions n’ a pas été prise en compte par le chef de l’état.
Le journaliste Mohamed Mouloudj dénonce également une instance masquant un gouvernement transitoire avide de conserver le pouvoir et de contrôler le dialogue.
« Les interdictions de lieux publics pour l’expression politique signent un recul en termes de libertés démocratiques. »
En outre, le journaliste explique que deux interdictions ont été prononcées. La première, le mercredi 28 août, pour interdire la réunion de l’association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), qui devait débuter à Béjaïa. La RAJ est une ONG dont les missions portent notamment sur la sensibilisation et la mobilisation des jeunes aux problèmes sociaux ou pour la promotion des activités culturelles. La seconde interdiction concerne la réunion menée par des partis politiques et des personnalités nationales regroupés au sein des Forces de l’alternative démocratique à Alger. Ils aspirent notamment à la signature d’une convention nationale pour répondre aux aspirations populaires par le dialogue.
Ces deux rassemblements militent ainsi pour une transition démocratique. « On ne peut, en toute logique, prôner un débat national sur la situation du pays et empêcher des associations et des partis agréés de se rencontrer pour débattre et dialoguer » écrit Mohamed Mouloudj.
La « sponsorisation (…) d’un monologue »
L’absence d’opposition au sein du dialogue national est pointée du doigt. Les avocats Mustapha Bouchachi et Mokrane Aït-Larbi ou encore la très respectée Djamila Bouhired, tout récemment sortie de plusieurs décennies de mutisme pour soutenir le hirak, ont refusé leur participation. La composition du panel demeure opaque et son indépendance est contestée puisque impulsée par un gouvernement qui semble vouloir censurer tout autre forme de dialogue. Ainsi « seuls les partisans des orientations du pouvoir ont droit à l’antenne et voix au chapitre » dénonce Mohamed Mouloudj. Il note aussi un « recul en termes de libertés démocratiques ».
La convocation du corps électoral avant le 15 septembre ?
Sans attendre les conclusions d’une instance qu’il a lui-même convoqué, le chef d’état-major a déclaré lundi 2 septembre : « Nous considérons qu’il est opportun de convoquer le corps électoral le 15 du mois de septembre courant, et que l’élection présidentielle puisse se tenir dans les délais fixés par la loi ». Dans de telles conditions, difficile pour l’opposition de croire en un réel pouvoir de l’instance de dialogue. Au regard de la loi, le « corps électoral est convoqué par décret présidentiel 90 jours avant la date du scrutin ». Ainsi, si la convocation est rendue effective par le Président par intérim, le scrutin interviendrait à la mi-décembre.
Dès le lendemain, le mardi 3 septembre, plusieurs milliers d’algérois et d’étudiants organisaient un sit-in devant le parlement pour protester contre ces élections. Le refus d’un scrutin sans candidat et organisé par l’armée fait l’unanimité parmi les manifestants. D’autant que des rumeurs circulent sur la santé du chef d’Etat par intérim : l’homme âgé de soixante-dix-sept ans serait malade. Ces derniers mois, il apparaît publiquement affaibli à plusieurs reprises. De quoi raviver un mauvais souvenir pour une partie du pays déjà excédée, il y a quelques mois à peine, par le maintien au pouvoir d’un président souffrant. Le vendredi 6 septembre marque le 29ème vendredi consécutif de manifestations depuis le début de l’année.
Image : Révolution, by Acrelune. Wikicommons CC BY-SA 4.0.