« Au daara, on se fait battre jusqu’à ce qu’on croie mourir » a confié un talibé de 9 ans en fuite à l’ONG Human Rights Watch (HRW). Le 11 juin 2019, l’ONG et la Plateforme pour la Promotion et la Protection des Droits Humains (PPPDH) ont fait état de la situation préoccupante des enfants talibés au Sénégal. C’est un rapport de 81 pages intitulé « Il y a une souffrance énorme. Graves abus contre des enfants talibés au Sénégal, 2017-2018 » qui s’inquiète de la violation des droits des enfants. Plus récemment, en septembre 2019, c’est le rapport de la Coalition nationale des associations et ONG en faveur de l’enfant (Conafe) qui a désigné les talibés comme étant les enfants les plus exposés aux violences sexuelles, derrière les domestiques.
Qui sont les talibés ?
Les talibés sont des enfants, principalement des garçons, généralement âgés entre cinq et quinze ans. Élèves ou disciples, ils apprennent l’éducation religieuse musulmane dans des écoles coraniques appelées des daaras. Depuis que ces derniers se situent dans les grandes villes sénégalaises, les enfants y sont souvent envoyés par leur parents pour de longues durées, les poussant à l’internat.
A l’éloignement géographique des enfants talibés s’ajoute la précarité financière de beaucoup de daaras. Cela conduit à des abus envers ces enfants. Le premier abus est lié à la pratique de la mendicité. Originellement utilisée pour apprendre aux enfants l’humilité, la mendicité des enfants est devenue une véritable source de rémunération pour certains maîtres coraniques. HRW a ainsi recensé qu’environ 100 000 enfants sont contraints à la mendicité, avec pour beaucoup l’obligation de remplir des quotas allant de 100 à 1 250 francs CFA par jour. Beaucoup sont également exposés à des violences. Tout d’abord, s’ils ne respectent pas les quotas de mendicité imposés par leur maître, ou bien si les versets du Coran ne sont pas appris correctement les talibés risquent d’être battus sévèrement voire enfermés en guise de punition. Ils peuvent également subir des violences sexuelles, venant des maîtres, d’enfants plus âgés ou même de pédophiles profitant de leur vulnérabilité.
Leur santé et hygiène étant une préoccupation secondaire, beaucoup souffrent de maladies non soignées ou encore de problèmes de peau. Les questions de malnutrition sont également courantes dans ces écoles, où la rentabilité est plus importante que le bien être des enfants. Ces derniers sont donc souvent dans des situations d’exploitation, ce qui ne respecte pas leurs droits et ne leur donne pas accès à l’éducation espérée. Ces conditions de vie peuvent avoir des résultats tragiques. HRW a documenté, entre 2017 et 2018, la mort de 16 talibés mettant en cause directement les abus du système des daaras.
Que dit la loi sénégalaise ?
La dernière étude nationale sur les daaras date de 2014. Conduite par la Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes en particulier des femmes et des enfants (CNLTP) rattachée au ministère de la Justice, cette étude recense 1 006 daaras dans lesquels la moitié des enfants, soit 30 160, sont contraints à mendier. Pourtant, le Sénégal, par ses engagements en droit international, semble avoir une législation qui permettrait, en théorie, de protéger les talibés de ces abus. Le pays a notamment intégré dans sa législation nationale la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfance et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Ainsi, le code pénal sénégalais stipule clairement que la maltraitance et la négligence volontaire des enfants est interdite.
De même, les viols et abus sexuels sur les enfants sont sévèrement punis, particulièrement si l’adulte ayant commis ces actes avait autorité sur l’enfant au moment des faits. De plus, les conditions de vie des talibés rentrent parfaitement dans la définition de traite des personnes du protocole de l’ONU et promulgué par le Sénégal en 2005. Mais au vu de la situation des enfants talibés soulignée par HRW dans son rapport, ces modalités juridiques ne sont pas suffisantes. En effet, si les lois existantes ne sont que rarement appliquées, c’est que les maîtres coraniques sont très respectés dans la société sénégalaise et peu de personnes osent les remettre en cause.
Quelles perspectives d’amélioration ?
Human Rights Watch propose dans son rapport un certain nombre de recommandations. L’ONG invite à réellement appliquer les outils déjà existant, notamment législatifs pour protéger les enfants. Mais également à investir davantage dans les services de protection de l’enfance et d’aide juridique. L’ONG préconise aussi d’instaurer un cadre institutionnel qui permettrait aux daaras d’être plus réglementés afin de les obliger à respecter le droit des enfants. De plus, elle insiste sur la responsabilité des parents qui peuvent utiliser les daaras pour se lester du poids financier que représente un enfant. Que ce soit au niveau de l’État sénégalais ou des acteurs internationaux, les recommandations restent dans l’esprit d’octroyer plus de moyens à la protection des enfants talibés.
Mardi 17 septembre, suite aux multiples rapports faisant état de la situation des enfants talibés, le Ministère de l’économie et des finances a annoncé la mobilisation de 10 milliards de FCFA pour construire de nouveaux daaras. Il y a donc un mouvement vers plus de considération des conditions de vie de ces enfants.
Image : Koranic school boys, Velingara. Sénégal. By Barry Pousman. Flickr CC BY-SA 2.0