L’Église catholique romaine vient de clore le synode sur l’Amazonie. Voulu par le pape François dès 2017, le synode était placé sous le signe de l’écologie intégrale et sous la protection de St François d’Assise. Il a permis de poser clairement les données d’un problème complexe. Les problèmes de cette région et de ses peuples illustrent les grandes questions de notre temps.
Des crises qui réveillent les consciences
Le synode sur l’Amazonie est arrivé dans le sillage de plusieurs événements et prises de conscience. Il y a eu l’encyclique Laudati Si’, en 2015, sur l’écologie intégrale. Elle prend en compte tant la dimension environnementale que la dimension humaine de l’écologie. Ensuite, l’intensification de l’exploitation (souvent illégale) de l’Amazonie au Brésil, et les conflits toujours plus violents avec les peuples indiens. Enfin, les incendies géants de l’été 2019.
Dans le cadre du synode sur l’Amazonie, les autorités catholiques ont souhaité donner la parole à une multitude d’acteurs. Prêtres, religieuses, chercheurs et chefs de communautés locales s’expriment. Ils ont évoqué chacun des aspects différents du problème.
À qui la terre appartient-elle ?
Le P. Robert Marie Joseph de Valicourt, arrivé au Brésil en 1968, qui vit à Manaus, au centre du Brésil, rappelle que les conflits en Amazonie ont une dimension environnementale et également culturelle. Pour lui, le synode doit permettre de soumettre une question de fond sur la place publique. À qui la terre appartient-elle et comment doit-elle être exploitée ?
D’un côté, on ne peut ignorer l’aspect environnemental : déforestation illégale et boulimie des industriels exportateurs détruisent les écosystèmes. L’exploitation à outrance réduit les terres disponibles pour la libre circulation et pollue les rivières, rendant par exemple les poissons impropres à la consommation. Cela a un impact direct sur le mode de vie et la capacité de subsistance des indígenas du Brésil qui vivent dans cette région.
De l’autre, un problème de culture économique de fond. Pour les industriels (et pour le monde économique en général), la terre appartient à ceux qui la possèdent, ceux qui ont un titre de propriété. Pour les indígenas, la terre est un bien commun, que chacun peut exploiter dans la mesure de ses besoins, sans empiéter sur ceux des autres êtres vivants, humains, animaux ou végétaux. La terre est donc un bien partagé, que chacun doit être libre de parcourir et d’exploiter dans le respect des écosystèmes.
Mgr Roque Paloschi, du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI)(1), précise que la Constitution brésilienne de 1988 a d’ailleurs reconnu pour la première fois le droit des indígenas à parcourir l’Amazonie et à y vivre. Dans leur bataille contre les industriels du bois, des minerais ou autre marchandises, les indígenas demandent avant tout le respect de la Constitution. Cependant la nature profonde du conflit est bien celle-là : qui détient la terre ? Qui a des droits (et quels droits) sur la terre ?
Jair Bolsonaro favorable à l’agro-industrie
La violence domine de plus en plus la vie des indígenas, jusqu’aux massacres. Les agro-industriels sont de plus en plus voraces et l’État brésilien toujours plus absent.
L’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir au Brésil a fortement inquiété les indígenas et leurs défenseurs. Craintes confirmées début 2019, lorsque le président a décidé de confier la démarcation et l’attribution des terres non à l’organisme de protection des indígenas, la Fondation Nationale de l’Indien (Funai), mais au ministère de l’Agriculture. Ce dernier est acquis aux agro-industries. Reste un mince espoir qu’il respecte la Constitution et laisse donc leur place aux peuples de l’Amazonie. Tous les spécialistes (y compris au gouvernement) reconnaissent qu’ils sont les seuls à pratiquer une exploitation durable du territoire. Les craintes sont cependant nombreuses.
Sauvegarde d’un mode de vie et intégration dans un État
Laurence Desjoyaux (La Vie) souligne un autre aspect des relations entre peuples d’Amazonie et États. Dans un long reportage auprès du peuple Wayana, dans le Haut-Maroni (Guyane française), elle décrit les risques auxquels sont confrontés les peuples amérindiens, dont certains étaient encore semi-nomades jusqu’à il y a peu. Les contacts avec le système étatique français et avec les trafics divers menacent leur environnement et leur culture. C’est la survie de ces peuples, en ces lieux, qui est en jeu.
Exploitation illégale et contamination du territoire
La journaliste explique par exemple que fleuve Maroni trace une frontière poreuse avec le Suriname. L’orpaillage (illégal en France, mais pratiqué sur la rive opposée du fleuve) provoque la contamination des eaux par d’importante doses de mercure. Les poissons et les populations sont contaminés, ce qui provoque de graves problèmes de santé.
Accès à la citoyenneté et chocs culturels
En outre, depuis les années 2000, de nombreux amérindiens ont obtenu la nationalité française (ce qui leur a permis d’avoir un statut et une voix officielle et de tenter de faire valoir leurs droits). Les populations ont également pu accéder à des aides sociales et à la scolarisation des enfants. Or, en l’absence de mesures spécifiques, la population a subi un choc culturel. La culture Wayana raisonnait par communauté, partage des biens et coopération. L’éducation française a créé un gouffre entre les générations. De plus, l’octroi d’aides sociales individuelles a introduit chez ce peuple la notion de « besoins individuels » (et donc dépenses personnelles). Les fonds qui, collectivement, auraient pu être investis dans des infrastructures, l’ont été individuellement dans des loisirs ou de l’alcool.
La plaie de la drogue
De plus, en raison de la présence quasi inexistante de l’État, la zone est une porte d’entrée de la cocaïne sud-américaine en Europe. De nombreux amérindiens servent ainsi de mules pour transporter la drogue jusqu’en métropole.
Ce cocktail (faible présence de l’État, contamination et destruction de l’environnement, et chocs culturels) empêche la survie des peuples locaux et de leur mode de vie, en même temps qu’il ravage les écosystèmes.
L’exemple guyanais se retrouve également dans le reste de l’Amazonie.
L’Église catholique prudente dans ses missions
Consciente du gouffre culturel qui peut exister, l’Église catholique a choisi une autre approche : l’appropriation. Chez les Wayana, par exemple, les premières conversions au catholicisme ne datent que de 2011. La question est au menu du synode pour l’Amazonie. Comment transmettre la foi tout en respectant la culture, le mode de vie des populations ?
L’Église a choisi de laisser le temps aux peuples amérindiens de s’approprier le message, de l’intégrer à leur culture. Ainsi, le pape François a porté au Brésil une coiffe en plumes d’oiseaux, caractéristique de ces peuples. À l’ouverture du synode, il a même expliqué que ces coiffes avaient autant leur place à l’église que les calottes des évêques. Elle apprend à connaître les populations avec des anthropologues et des interprètes. Elle a donc fait le choix du dialogue dans le respect. Ce choix se construit notamment au sein du CIMI, dans la lutte commune pour le respect du territoire et de la dignité de ces populations.
Dans sa réflexion sur l’écologie intégrale, le synode sur l’Amazonie pourrait bien être un laboratoire social. Un exercice concret pour mettre en actes une autre vision de la Terre, de l’humain et de la diversité dans les sociétés ; qui laisse sa dignité à chacun, qui permet le renouvellement des écosystèmes et des sociétés. Permettra-t-il à l’Église catholique de montrer l’exemple, en partant de la défense des indígenas, des amérindiens et de l’Amazonie ? De remettre sur la table les questions de fond : à qui appartiennent les ressources naturelles ? Tout est-il permis au nom de la libre entreprise ? Une culture peut-elle empiéter sur les autres ? Voire : qu’est-ce que le progrès ?
(1) Le CIMI est l’organisme mandaté par l’Eglise catholique brésilienne pour accompagner les peuples amérindiens dans leur lutte pour la survie, la protection de leurs terres et la dignité (source : CCFD Terre solidaire)
Image : Reunião com o Secretário Executivo do Conselho Indigenista Missionário, Cleber César Buzatto. Auteur : Isaac Amorim/Flickr, CC BY-NC-SA 2.0