Dans son arrêt du 31 octobre 2019[1], Papageorgiou et autres c. Grèce[2], la Cour européenne des droits de l’Homme, institution basée à Strasbourg veillant au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950[3], étudie la question de l’éducation religieuse obligatoire dans les établissements scolaires grecs.
L’éducation religieuse dans les établissements grecs, un enseignement imposé par la loi
L’Eglise orthodoxe possède un rôle important au sein de la société grecque. La Constitution grecque, qui affirme une non-séparation entre l’Eglise et l’État[4], présente avec d’autres textes législatifs, l’obligation de donner des cours de religion dans le système scolaire grec. Cependant, la dispense d’assister à ces leçons est possible, sous réserve de la déclaration solennelle des parents que leur enfant n’est pas chrétien orthodoxe.
Ainsi c’est la contrainte de révéler ses convictions religieuses ou philosophiques qui dérange la Cour européenne.
L’obligation de divulguer ses convictions, une pratique contraire à la liberté de conscience des individus
La Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion dans son article 9, permettant à chaque individu une croyance personnelle relevant du for intérieur ainsi que la manifestation de cette conviction.
L’article 2 du Protocole n°1 à la Convention européenne donne aux parents le droit d’exiger de l’Etat le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques dans le domaine de l’éducation y compris dans l’enseignement du fait religieux[5]. Cet article 2 a pour but d’éviter tout conflit entre l’enseignement religieux donné par les parents et l’enseignement religieux proposé à l’école. Ainsi, les autorités étatiques ne peuvent poursuivre un but d’ « endoctrinement » qui pourrait être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents[6].
C’est cet article 2 du Protocole n°1 qui servira de base à la Cour européenne pour rendre son arrêt, en l’utilisant comme lex specialis et en l’interprétant à la lumière de l’article 9 de la Convention.
Ainsi devoir déclarer publiquement ce qui relève du for-intérieur personnel et de la liberté de conscience des individus, comme la non-affiliation à la religion chrétienne orthodoxe des enfants afin d’obtenir une dispense de l’enseignement religieux obligatoire, est contraire à la Convention. En effet, la Cour souligne que les autorités ne sont pas en droit d’intervenir dans le domaine de la conscience de l’individu, de vérifier les croyances religieuses des personnes ou d’obliger celles-ci à les révéler, afin d’être dispensées d’un enseignement. Il appartient à chacun de croire en une conviction qu’il a choisie et une entrave à ce principe conventionnel violerait les droits fondamentaux des individus.
De plus, la Cour en déduit que la déclaration de la non-affiliation religieuse des enfants entraînerait une déduction des convictions des parents. Cependant, la Cour estime qu’un système qui oblige à une déclaration solennelle des parents risquerait d’entrainer la divulgation d’aspects sensibles de la vie privée de ces individus et risquerait de soumettre ces personnes à une certaine stigmatisation, notamment si ces personnes ne résident pas dans de grandes villes, comme c’est le cas pour les requérants dans l’affaire Papageorgiou et autres c. Grèce, vivant dans les petites îles grecques Milos et Sifnos.
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[1] Arrêt de chambre. Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. Pour plus d’informations : https://www.coe.int/en/web/execution
[2] CEDH, Papageorgiou et autres c. Grèce, 31 octobre 2019, requêtes n°4762/18 et 6140/18.
[3] Voir en ce sens, PICHON LENG E. “La liberté religieuse, une notion encadrée en Europe par la CEDH”. https://www.observatoirepharos.com/pays/france/la-liberte-religieuse-une-notion-encadree-en-europe-par-la-cedh-fr/
[4] Voir notamment l’article 3 de la Constitution Grecque du 9 juin 1975.
[5] Voir CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen and Pedersen v. Denmark, 7 December 1976, § 52, Series A no. 23, https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-57509%22]}
[6] Voir en ce sens CEDH, Papageorgiou et autres c. Grèce, 31 octobre 2019, requêtes n°4762/18 et 6140/18 §75 ; CEDH, Folgerø and Others v. Norway [GC], 2007, no. 15472/02, § 84 ; and Lautsi and Others v. Italy [GC], 2011, n° 30814/06, § 62.
Image : Classroom at ACS International, Flickr, CC BY-SA 3.0