Après le décès en détention de Mohamed Morsi en juin dernier, les vagues d’arrestations du début de l’automne, et un rapport de l’ONU dénonçant le traitement des prisonniers et prisonnières en Égypte, les prisons égyptiennes ont fait l’objet d’une attention accentuée depuis le début de l’année. Face aux faits, le gouvernent égyptien offre pourtant une visite de ses prisons parfaites, faisant la démonstration de son impunité face aux violations quotidiennes des droits humains.
Des dénonciations répétées de la part des ONGs, renforcées par le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires
« Dr Morsi a été détenu dans des conditions qui ne peuvent qu’être qualifiées de brutales, particulièrement lors de sa détention de 5 ans dans la prison de Tora. Le décès du Dr Morsi dans ces conditions pourrait être qualifié d’assassinat arbitraire cautionné par l’Etat. ». Ainsi s’est exprimé le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires et sa rapporteuse spéciale, Agnès Callamard[1], le 8 novembre 2019, dénonçant les conditions de détention de tou·te·s les prisonniers et prisonnières dans le pays.
Le communiqué met en lumière les conditions de détention des prisonniers et prisonnières en Égypte, qui souffrent d’atteintes à leur santé du fait de la surpopulation dans les prisons, des problèmes de nourriture, du manque de ventilation et de lumière naturelle, et des confinements arbitraires à l’isolement. Le communiqué fait aussi état de l’interdiction des visites pour les prisonniers et prisonnières, déjà rapportée par Amnesty International au début de l’année, ou par l’ONG Egypt Initiative for Personal Rights dès 2016[2].
Ces conditions de détention terribles ont également touché des prisonniers ouïghours, arrêtés en juillet 2017, comme le révélait l’AFP en août 2019. Ainsi, les autorités égyptiennes auraient arrêté plus de 90 Ouïghours, en leur annonçant : « Le gouvernement chinois dit que vous êtes des terroristes ». La coopération des autorités égyptiennes avec les autorités chinoises a permis à des policiers chinois d’interroger ces Ouïghours, et de menacer leur famille[3]. Les Ouïghours arrêtés en Égypte ont subi les mêmes conditions que les Ouïghours dans les camps d’internement chinois[4].
A ces conditions de détention s’ajoutent des actes de torture, particulièrement à l’encontre de prisonniers et prisonnières politiques. Lors de la première moitié de l’année 2019, le centre El Nadeem pour la réhabilitation des victimes de violences et de tortures a documenté 213 cas de torture de personnes détenues par les autorités égyptiennes[5]. Des disparitions forcées ont également été rapportés.
Enfin, des cas de violences sexuelles ou de menaces de violences sexuelles ont été rapportés à plusieurs reprises. L’activiste Israa Abdel Fattah a ainsi témoigné des menaces de violences sexuelles que lui ont adressées les forces de police pour la pousser à révéler le code PIN de son téléphone[6]. Au cours de l’année, comme le rapporte The Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP), les détenu·e·s transgenres ont particulièrement été attaqué·e·s en étant « placé·e·s en détention dans des prisons faites pour les membres de l’autre sexe, et en étant soumis·e·s à des examens physiques invasifs ». Des femmes ont également été forcées à passer des tests de virginité, lors d’examens pouvant être qualifiés de violences sexuelles[7].
Des vagues d’arrestations de plus en plus violentes
Ces informations sont d’autant plus inquiétantes que le gouvernement égyptien a renforcé son appareil de répression au cours de l’année 2019, arrêtant de plus en plus de personnes vues comme des menaces au régime du général Al-Sissi.
Ainsi, de nombreux défenseur·se·s des droits humains ont été arrêté·e·s , ainsi que des journalistes, des blogueur·se·s et des figures de l’opposition, particulièrement à la suite des manifestations de fin septembre. Les autorités ont également arrêté des milliers de manifestants. Entre le 20 et le 27 septembre 2019, deux milles personnes auraient été arrêtées. Parmi elles, 977 ont directement été envoyées en détention dans l’attente de leur procès, et 920 sont toujours détenues, sans être passées devant un procureur, selon Human Rights Watch[8]. Comme le dénonce le Groupe d’experts de l’ONU, les prisonniers et prisonnières en Égypte subissent des « violations flagrantes des procédures régulières, y compris la détention sans inculpation, la détention au secret, l’accès insuffisant à des avocats et d’autres pratiques qui empêchent un procès équitable. ». Lors de cette vague d’arrestations, les autorités ont également arrêté des enfants.
Un grand nombre de personnes arrêtées ne l’ont pas été lors des manifestations, mais quelques jours plus tard, chez elles, ou dans la rue. Les autorités les ont forcées à montrer le contenu de leurs téléphones, et particulièrement leur activité sur les réseaux sociaux, et ont ainsi arrêté des personnes ayant sur leur téléphone des chansons, des posts, ou des slogans contre le gouvernement, comme le rapporte Human Rights Watch[9]. La recherche d’opposants par les réseaux sociaux n’est pas nouvelle pour l’Égypte, mais semble s’être accentuée en 2019, avec par exemple la signature d’un mémorandum avec le Koweït, afin d’« intensifier la coopération judiciaire bilatérale pour permettre l’arrestation et l’échange d’utilisateurs de Twitter qui représentent une menace pour les deux pays »[10]. L’accès à Internet, notamment aux sites d’information, a également été à nouveau restreint, après la vague de blocage d’accès du début de l’année.
Une riposte à grande échelle
Face à cette mauvaise publicité grandissante, les autorités égyptiennes ont décidé de montrer leur grand respect des droits humains, et particulièrement des droits des prisonniers et prisonnières, en invitant 200 personnalités et journalistes à visiter la prison de Tora. Les invité·e·s ont ainsi pu découvrir les productions artisanales des prisonniers, visiter la ferme et saluer les autruches, et assister à un match de football entre prisonniers, comme le rapporte un journaliste au site Mada Masr[11]. Durant cette visite, les journalistes n’ont pas pu approcher les prisonniers, et n’ont également pas pu poser de questions lors de la conférence de presse.
Farid Farid, journaliste à l’AFP, a conté l’absurdité de cette visite, où les autorités égyptiennes ont vanté la liberté à l’intérieur des prisons, allant même jusqu’à qualifier les prisons de centre de vacances[12]. Ces déclarations et cette visite font partie d’une plus vaste offensive des autorités égyptiennes[13] menée avant l’examen périodique universel par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, organisé à Genève le 13 novembre 2019[14]. L’Égypte a en effet mis en place un lobbying des Etats présents afin qu’ils soulignent positivement la situation des droits humains dans le pays, en échange d’incitations « politiques ou autres ». Un représentant du gouvernement a ainsi expliqué : « Il y a une vaste campagne menée par des personnalités et des organisations de défense des droits humains en Égypte et à l’étranger pour exagérer les violations des droits humains. Nous ne nions pas qu’il y ait des violations, et nous le dirons au conseil, mais ce n’est pas au point où certains l’affirment. ».
En s’adressant en particulier à des pays au bilan en matière de droits humains similaire, l’Égypte espère se trouver des alliés prêts à vanter sa stabilité face au terrorisme et la conspiration. Pendant que les prisonniers et prisonnières continuent de voir leurs droits largement bafoués dans des centres de vacances ultra-modernes.
[1] United Nations Human Rights, Office of the High Commissioner. 2019. Egypt: UN experts denounce Morsi “brutal” prison conditions, warn thousands of other inmates at severe risk. Disponible sur : https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25270&LangID=E (consulté le 24 novembre 2019).
[2] Egyptian Initiative for Human Rights. 2016. Aqrab Prison: a prison for collective punishment Violation of visitation rights threatens prisoners’ safety. Disponible sur : https://www.eipr.org/en/press/2016/06/aqrab-prison-prison-collective-punishment-violation-visitation-rights-threatens (consulté le 24 novembre 2019).
[3] AFP. 2019. Détenus, expulsés: le « cauchemar » des Ouïghours d’Egypte. Disponible sur : https://www.lepoint.fr/monde/detenus-expulses-le-cauchemar-des-ouighours-d-egypte-18-08-2019-2330283_24.php (consulté le 24 novembre 2019).
[4] Utilisant le prétexte de la lutte contre le séparatisme et le terrorisme islamiste, les autorités chinoises ont instauré une surveillance et une répression accrue de la province du Xinjiang depuis environ deux ans, allant jusqu’à interner plus d’un million de personnes dans des camps de rééducation. Cette province est majoritairement habitée par les Ouïghours, une ethnie musulmane turcophone.
[5] The Tahrir Institute for Middle East Policy. 2019. TIMEP Brief: Detention Conditions in Egypt. Disponible sur : https://timep.org/reports-briefings/timep-brief-detention-conditions-in-egypt/ (consulté le 24 novembre 2019).
[6] Middle East Eye. 2019. ‘Your password or your life’: Egyptian activist Israa Abdelfattah says she was tortured after arrest. Disponible sur : https://www.middleeasteye.net/news/prominent-egyptian-2011-activist-israa-abdel-fattah-beaten-tortured-during-arrest (consulté le 24 novembre 2019).
[7] The Tahrir Institute for Middle East Policy. 2019. Op.cit.
[8] Human Rights Watch. 2019. Egypt: Hundreds Arrested in Nationwide Crackdown. Disponible sur : https://www.hrw.org/news/2019/09/27/egypt-hundreds-arrested-nationwide-crackdown (consulté le 24 novembre 2019).
[9] Ibid.
[10] Raseef22. 2019. Kuwait and Egypt Agree on Extraditing Offending Tweeps. Disponible sur : https://raseef22.net/article/1075022-kuwait-and-egypt-agree-on-extraditing-offending-tweeps (consulté le 24 novembre 2019).
[11] Mada Masr. 2019. Handicrafts, ostriches and football: Journalists, public figures taken on stage-managed tour of Tora Prison Complex. Disponible sur : https://madamasr.com/en/2019/11/11/news/politics/handicrafts-ostriches-and-football-journalists-public-figures-taken-on-stage-managed-tour-of-tora-prison-complex/ (consulté le 24 novembre 2019).
[12] Farid Farid (@FaridYFarid). 2019. Thread. Disponible sur : https://twitter.com/FaridYFarid/status/1193820485269807105 (consulté le 24 novembre 2019).
[13] Mada Masr. 2019. In wake of government crackdown, Egypt lobbies for support ahead of major UN human rights review. Disponible sur : https://madamasr.com/en/2019/11/11/feature/politics/in-wake-of-government-crackdown-egypt-lobbies-for-support-ahead-of-major-un-human-rights-review/ (consulté le 24 novembre 2019).
[14] AlJazeera. 2019. Egypt under fire over ‘shrinking’ freedoms at UN rights review. Disponible sur : https://www.aljazeera.com/news/2019/11/egypt-fire-shrinking-freedoms-rights-review-191113174324155.html (consulté le 24 novembre 2019).
Image: The Mahalla Prisoners سجناء المحلة, By Hossam el-Hamalawy, Flickr, CC BY SA 2.0.