Le 10 janvier 2020, Qaboos ben Saïd al-Saïd, sultan d’Oman durant près de 50 ans, décédait, laissant la place à son cousin Haitham ben Tarek. Ancien ministre du Patrimoine et de la Culture du sultanat, ce dernier s’est engagé à « suivre la voie tracée par le sultan défunt ». En effet, Qaboos ben Saïd a su faire de son petit pays aux confins des mondes arabe, perse et occidental un havre de paix dans une région en proie aux tensions sectaires.
Dans le Golfe: l’exception omanaise de la tolérance religieuse
Il convient d’abord de préciser qu’Oman représente le seul pays à majorité ibadite, un courant autrement suivi par seulement 1% des musulmans dans le monde. Celui-ci descend du kharijisme, une branche dissidente de l’islam issue de la séparation déclenchée par la mort du Prophète Mohammed en 632. En effet, lors de la Grande discorde, ou Première Fitna, de 655 à 611, les kharijites ont refusé de rejoindre le sunnisme ou le chiisme. Depuis, ses fidèles, parmi lesquels les ibadites, ont régulièrement été en proie aux persécutions de la part d’autres musulmans. Toutefois, peu d’éléments sont connus au sujet de leur doctrine. D’ailleurs, Le Dictionnaire encyclopédique de l’islam ne lui consacre que la moitié d’une page sur plus de 400 et observe simplement que l’ibadisme considère le Coran comme créé, tandis que la majorité des musulmans le perçoivent comme le Verbe incréé de Dieu. Malgré ces divisions, le sultan Qaboos a instauré une vision unificatrice de l’Islam. Ainsi, il a autorisé la prière dans les mêmes mosquées à tous les fidèles indépendamment de leur obédience. De même, les institutions scolaires prônent l’intégration et la tolérance, y compris envers les autres religions. D’ailleurs, chaque Eglise chrétienne – dont la foi n’est partagée que par 3% de la population – a reçu de Qaboos ben Saïd un terrain pour bâtir un lieu de culte, ainsi qu’un orgue.
Une politique du dialogue promue à l’échelle internationale
En outre, ce positionnement se reflète également dans la politique étrangère du pays. Celle-ci est très peu conflictuelle, à tel point qu’Oman est parfois surnommé « la Suisse du Golfe ». Sous le règne du sultan Qaboos, le pays s’est efforcé de participer à la résolution de plusieurs conflits régionaux. Par exemple, il s’agit de l’unique État du Golfe à avoir maintenu des relations cordiales avec l’Iran malgré la révolution islamique de 1979. Il est notamment resté neutre durant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988. Plus récemment, le sultanat a accueilli une partie des négociations du « Plan d’action conjoint » conclu à Genève en 2013 et débouchant sur l’accord sur le nucléaire de 2015. Pragmatique dans son rôle de médiateur, le sultan Qaboos tenait malgré tout à solidifier les relations entre les membres du Conseil de coopération du Golfe. De même, dans le conflit israélo-palestinien, Oman a choisi l’équilibre. A titre d’exemple, en octobre 2018, le Premier ministre Benjamin Netanyahou était reçu à Mascate tandis qu’en juin 2019, le gouvernement omanais déclarait vouloir ouvrir une ambassade en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis plus de 50 ans, comme geste de soutien au peuple palestinien. Par ailleurs, le sultan Qaboos a joué un rôle clé dans la libération d’otages occidentaux ces dernières années, notamment de français capturés au Yémen en 2011. Dernièrement, Mascate a également reçu les négociateurs houthistes et saoudiens qui s’affrontent dans la guerre civile yéménite, un conflit auquel Oman refuse de prendre part, alors que la plupart des pays de la région ont rejoint la coalition menée par l’Arabie saoudite.
Des droits et libertés pourtant toujours fragiles
Cependant, politique pacifiste ne rime pas toujours avec liberté d’expression au sein du sultanat. En effet, le sultan détient tous les pouvoirs et la répression des opposants est courante, dans un pays qui consacre plus de 12% de son produit intérieur brut aux dépenses militaires. Toutefois, les manifestations du Printemps arabe en 2011 ont provoqué un choc soudain pour le sultan Qaboos. Inquiet, ce dernier y a rapidement répondu par la promulgation d’une loi sur le travail augmentant le nombre de jours de repos et de 40% le salaire minimum. Pour la jeunesse, il a également instauré des bourses universitaires plus conséquentes. Néanmoins, ces jeunes, éduqués et connectés aux réseaux sociaux, expriment de plus en plus de ressentiment à l’égard d’un régime qui demeure très conservateur. Ces aspirations à davantage de droits se font particulièrement ressentir chez les femmes omanaises, qui sont toujours victimes de discriminations inscrites dans la législation.
Au regard de cet équilibre possédant toutefois quelques fragilités internes, se pose légitimement la question de savoir si Haitham ben Tarek sera capable de préserver la stabilité instaurée par son prédécesseur.
Image : Dr. Salem Al-Ismaily with Hassan Rouhani and Sultan Qaboos, by Ithraa Oman. Wikimedia CC BY-SA 4.0.