Les villes de Quissanga et de Mocímboa da Praia, dans le nord du Mozambique, ont à nouveau été la cible d’attaques de la part de groupuscules djihadistes. Depuis 2017, la province de Cabo Delgado est régulièrement attaquée par des hommes réclamant l’instauration de la loi coranique. Une menace de plus en plus réelle.
Lors de la dernière attaque, le chef des assaillants a publié une vidéo dans laquelle il appelle à l’instauration de la charia et à l’expulsion de la Frelimo (parti au pouvoir). Il incite également la population de cette province (majoritairement musulmane) à les rejoindre. À Mocímboa da Praia, 43 hommes auraient grossi leurs rangs.
La population risque de se rallier aux djihadistes
Les 23 et 25 mars 2020, les assaillants sont arrivés avant l’aube et ont vandalisé des bâtiments administratifs et de police. Le nombre de victimes est inconnu, il y aurait au moins une dizaine de morts parmi les forces de l’ordre. Les djihadistes se sont emparés d’armes, de munitions et de véhicules. Étrangement, aucun type de renfort n’est arrivé et les forces sur place se sont à peine battues.
De nombreux habitants ont préféré fuir vers la capitale provinciale, Pemba, ou bien dans des îles accessibles à marée basse. Cependant, un élément nouveau inquiète les observateurs : dans les vidéos tournées par les assaillants, on note de nombreux habitants autour des scènes de destruction, visiblement curieux et non apeurés. Dans certaines vidéos filmées par des habitants, ceux-ci applaudissent et chantent au passage des groupes armés, ce qui fait craindre qu’une partie de la population ne se rallie aux djihadistes.
Une menace mal circonscrite qui change de nature
Au départ, quelques jeunes radicalisés attaquaient et incendiaient des villages. Progressivement, les assaillants sont devenus plus nombreux, mieux armés et ont commencé à attaquer les villes. À présent, les chefs-lieux de district sont ciblés.
Initialement, les groupes s’appelaient Al-Chabab (les jeunes) et étaient identifiés comme indépendants de Boko Haram. Par la suite, des experts ont soupçonné des liens avec les Shebabs de Somalie ou de Tanzanie. Depuis mi-2019, Daesh revendique officiellement certaines attaques. Les spécialistes mettent en doute l’influence réelle de Daesh, mais n’excluent pas des liens avec certaines milices. Il est par ailleurs difficile de dire si toutes les attaques sont coordonnées, ou si plusieurs groupes armés agissent chacun pour leur propre compte.
Depuis fin 2017, les attaques de villages auraient fait 700 morts, selon Médecins Sans Frontières (MSF). Il y aurait également plus de 100 000 personnes déplacées (selon le Haut commissariat des Nations Unis pour les réfugiés), certaines à cause des attaques, d’autres à cause du cyclone Kenneth qui a touché la province en avril 2019. Les groupes armés avancent vers le sud. Ils ne seraient qu’à cent kilomètres de la capitale Pemba, une ville de 150 000 habitants. L’évêque de Pemba explique que, sans céder à la panique, les chrétiens comment à percevoir une menace de plus en plus réelle plus leur communauté spécifiquement. L’ensemble de la population du Cabo Delgado, la seule à majorité musulmane dans le pays, est cependant menacée.
Une région pauvre dans un pays pauvre
Le Cabo Delgado est une des régions les plus pauvres du pays, lui-même un des plus pauvres au monde. Aux cyclones de 2019, qui ont ravagé le centre et sud du pays, ont suivi des conditions météorologiques qui ont mis à mal la production agricole. Dans le Cabo Delgado lui-même, ce sont les attaques de djihadistes qui ont empêché les activités agricoles, explique l’évêque de Pemba. Rien que les 29 et 30 janvier, il y a eu au moins six attaques de villages dans la région. Elles ont provoqué la fuite des populations. L’institut de formation agricole et de formation des instituteurs de Bilibiza, par exemple, a été incendié.
À une mauvaise production s’ajoute une explosion des prix du blé (de +5% à +30%) de novembre à décembre 2019. La province fait donc face à une crise alimentaire qui devrait s’aggraver dès avril. La nouvelle récolte débutera et sera trop faible pour satisfaire la demande (pour la troisième année consécutive).
Après avoir minimisé le risque, l’État avoue son impuissance
Dès les premières attaques, plusieurs spécialistes ont alerté : il fallait répondre rapidement, protéger les populations, ne pas réprimer aveuglément. Bref, montrer la présence de l’État, par une présence militaire, mais aussi par des actions concrètes envers les populations appauvries.
Le gouvernement mozambicain a commencé par minimiser les attaques, puis a envoyé des forces armées incapables de répondre à des attaques aléatoires. La Russie a envoyé des mercenaires sur le terrain. Ceux-ci ont subi de lourdes pertes.
Le Président Filipe Nyusi, réélu en octobre 2019, n’a pas encore commenté les attaques de fin mars. Il fait maintenant appel à l’aide internationale, en particulier à la Southern African Development Community (SADC). Une aide qui risque de ne pas arriver tout de suite, au vu de la menace que fait peser le coronavirus SAR-CoV2 sur le continent tout entier.
Une population qui se sent oubliée depuis longtemps
Interrogé par le quotidien portugais Público, Fernando Jorge Cardoso, spécialiste de l’Afrique, estime que le Président mozambicain doit donner un signe clair de soutien à la province face à une menace de plus en plus réelle. Les griefs sont nombreux dans la région, depuis longtemps. Notamment la pauvreté, le chômage et une répartition quasi-inexistante des richesses issues de l’exploitation des hydrocarbures.
Pour le spécialiste, le Président devrait s’installer dans la région avec quelques collaborateurs. Ou bien envoyer ses collaborateurs et un émissaire spécial en son nom :
« [Filipe Nyusi] ne peut pas rester à 2800 km de là, à Maputo, ni déléguer [la gestion du problème] à des chefs de police ou à des chefs militaires. […] Venir donnerait un signal fort que le problème va être réglé [sans attendre] une aide extérieure avant plusieurs mois. »
« C’est le type de guerre qui se gagne en ralliant les populations à soi, or le Président sait parler aux gens. »
Il ajoute :
« [Le Président doit] travailler main dans la main avec le leader de la Renamo [opposition, ndlr], Ossufo Momade, et avec le leader du MDM, le troisième parti, Daviz Simango. Il doit travailler avec eux, avec les principales forces de la société civile et avec les spécialistes. »
Cette collaboration n’est pas une mince affaire, dans un pays qui connaît régulièrement des altercations violentes entre partis au pouvoir et d’opposition. La dernière élection a d’ailleurs été entachée de nombreuses irrégularités. Aux yeux de Fernando Jorge Cardoso, cette action est cependant possible, car personne dans le pays ne veut d’un islam radical.
À qui profite le crime ?
Dès lors, le journaliste António Rodrigues s’interroge : qui a intérêt à déstabiliser le Cabo Delgado, voire le Mozambique tout entier ? Le Cabo Delgado est riche en hydrocarbures, mais ce n’est pas son seul attrait. S’y déroulent également des trafics en tout genre : extraction illégale de minerais (rubis), drogues, ivoire.
À l’origine de la radicalisation de groupes de jeunes désœuvrés, on trouverait des commerçants, des prêteurs et des propriétaires d’embarcations. Ils auraient encouragé le fondamentalisme prêché par l’imam radical kényan Abou Rogo (tué en 2012), et financé la formation miliaire. C’est le constat dressé dans un rapport intitulé Radicalisation islamique dans le nord du Mozambique (en portugais), publié en septembre 2019 par l’Institut d’études économiques et sociales du Mozambique (IESE).
Depuis 2017 (c’est-à-dire depuis les premières attaques), le trafic d’héroïne et de méthamphétamine ne fait qu’augmenter, suffisamment pour alerter Interpol et l’Office des Nations Unies contre la drogue (UNODC). De juillet 2019 à mars 2020, l’UNODC et le Mozambique ont d’ailleurs organisé trois ateliers de formation pour lutter contre la menace de plus en plus réelle de l’extrémisme et contre les trafics.
L’entreprise Montepuez Ruby Mining a obtenu le monopole de la filière légale du rubis. Elle dispose d’une force armée privée pour protéger ses mines, mais dénonce la revente au grand jour et sans sanctions de rubis extraits illégalement.
La région compte également plusieurs services de sécurité privés, mozambicains ou étrangers, chargés d’assurer la sécurité des installations de gaz naturel (exploitées par Exxon Mobil, Galp et Total). Jusqu’à présent, aucune des 300 attaques de djihadistes n’a visé ces installations. Les djihadistes se sentent visiblement encore peu aptes à mener une telle attaque.
Image : Formation à la Convention de l’UNODC (2018), Karl-Heinz Wedhorn, CC BY 1.0 (domaine public)