Au Brésil, les craintes des indígenas se confirment depuis l’arrivée à la présidence de Jair Bolsonaro. Chaque jour qui passe, chaque décision qui est prise, renforce le non-droit dans la région amazonienne.
Un politique agressive pro-industrie
Fidèle à ses discours de campagne, le nouveau président avait donné le ton dès les premiers jours après sa prise de fonction (intervenue le 1er janvier 2019). Il avait décidé du transfert de compétence pour la délimitation des terres agricoles de la Fondation nationale de l’Indien (la Funai) vers le ministère de l’Agriculture, ostensiblement pro-industrie.
Human Rights Watch (HRW) a enquêté sur le non-droit dans la région, de 2018 à 2019. Tout au long de l’année 2019, le chef de l’État fédéral a multiplié les attaques contre l’Agence fédérale de protection de l’environnement (IBAMA) et contre la Funai. À ses yeux, la Funai est un repère de militants et d’idéologues. Il a également accusé les contrôleurs de l’IBAMA d’utiliser les amendes comme une arme militante. L’Agence est le bras fédéral de la protection de l’environnement. Elle a longtemps été beaucoup mieux dotée que l’échelon étatique pour faire prévaloir le droit en matière d’exploitation agricole, sylvicole et minière. Décision après décision, le président l’a vidée de son sens et de ses moyens, accusant ses employés. Seuls restent en première ligne quelques contrôleurs individuels des États, des petits agriculteurs et les peuples indígenas.
Quiconque barre la route à la déforestation est un ennemi potentiel
Sans protection, agriculteurs et indígenas sont aussi des cibles faciles pour les trafiquants en tous genres. HRW a ainsi dénombré plus de 70 attaques, dont 28 assassinats, entre 2018 et 2019. Jair Bolsonaro ne voit quant à lui aucun rapport avec l’exploitation illégale de l’Amazonie.
Les déclarations et décisions du chef de l’État brésilien ont de facto entériné le fait que l’Amazonie est une zone de non-droit. En juin 2019, la déforestation avait bondi de 88% par rapport à juin 2018. Le chiffre atteignait +278% en juillet 2019 (comparé à l’année précédente). Le président ne semble pas le voir. Les preuves des images satellites sont pourtant là. Elles montrent clairement que les réserves indígenas protégées par les peuples qui y habitent sont (pour le moment) partiellement épargnées. Ce qui rejoint les conclusions d’une étude menée par Victoria Tauli-Corpuz, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Après l’exploitation des terres, la destruction culturelle…
La position de Jair Bolsonaro était connue. D’après lui, le non-droit est celui qui règne dans les réserves. Les indígenas doivent s’intégrer dans la culture brésilienne majoritaire. Les ressources disponibles dans les territoires qui leur sont actuellement réservés doivent quant à elles bénéficier à l’économie du pays. Victoria Tauli-Corpuz avait déjà décrié cette position. Elle qualifiait ces propos de racistes (Jair Bolsonaro ayant par ailleurs parlé « d’hommes préhistoriques »). Il faut rappeler que les différents peuples sont plus ou moins intégrés au Brésil. Certains vivent en ville, d’autres sont totalement isolés.
Puis, courant 2019, la Funai a découvert son nouveau directeur. Ce dernier, Marcelo Xavier da Silva, est réputé pour avoir lutté contre les activités de l’Agence. En particulier, il s’oppose à la démarcation de terres pour les indígenas.
Début 2019, Victoria Tauli-Corpuz rappelait pourtant que le Brésil a ratifié la Convention nº169 de l’OIT* relative aux peuples indigènes et tribaux. Au titre de cette Convention, seuls les peuples indigènes peuvent décider de s’intégrer ou non dans la culture dominante. De même, le Brésil a approuvé une note du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme sur les modalités de contacts avec les peuples isolés. Les peuples indigènes sont les seuls à pouvoir prendre l’initiative d’entrer en contact avec la culture majoritaire du pays.
…et le risque de disparition physique
Le 5 février 2020, le choix du pasteur évangélique Ricardo Lopes Dias à un poste clé n’a rien fait pour atténuer les craintes. De toutes parts, la décision a été jugée dangereuse ou inquiétante.
En effet, Ricardo Lopes Dias a été missionnaire pendant 10 ans pour la Mission des nouvelles tribus du Brésil (MNTB). Cette organisation prosélyte est connue dans le pays pour avoir apporté des épidémies de grippe et de rougeole et avoir décimé le peuple Zo’é. Or, M. Lopes Dias accède au poste de « coordinateur des tribus autochtones isolées ». Le Conseil des organisations indigènes (Coiab) a interprété ce choix comme une agression. Les tribus isolées seraient au nombre de 107.
Une lutte de plus en plus inégale
Les indígenas ne se sentent plus protégés par la Funai, ni par l’IBAMA, faute de moyens. Ils perçoivent les églises évangéliques, et notamment néo-pentecôtistes, comme prosélytes et hostiles.
Dans leur lutte, ils se tournent à présent vers l’Église catholique romaine et son Conseil indigéniste missionnaire (Cimi), vus comme des alliés. Les relations de longue date avec les peuples acceptant les contacts sont bonnes. L’Église catholique n’a d’ailleurs jamais tenté d’entrer en contact avec des peuples isolés. En outre, la priorité de la Cimi est de comprendre et aider ces peuples, avant de les évangéliser. Une priorité qui a été rappelée lors du Synode sur l’Amazonie, au cours duquel le Pape a souligné la nécessité de respecter les croyances des indígenas. Il avait également fait le lien entre le respect des cultures et la lutte contre le non-droit en matière économique et environnementale.
Jair Bolsonaro a dès à présent vidé de leur sens les organismes de protection de l’environnement et des indígenas. Il n’a que faire de la position des scientifiques, méprise les ONG et n’écoute pas plus ses homologues à l’international. Il ne respecte pas non plus le droit international reconnu par son pays. Plus que jamais, la lutte semble inégale.
*OIT = Organisation internationale du travail
Image : L’IBAMA lutte contre la déforestation sur les terres indigènes Pirititi, Roraima (Felipe Werneck/Ibama), CC-BY-2.0