Des articles parus sur le site India Today – et des médias de nature confessionnelle et institutionnelle – ont commenté les violences meurtrières à New Delhi, du 23 au 26 février 2020, entre hindouistes et musulmans, suite à la nouvelle loi sur la citoyenneté indienne annoncée en décembre 2019. Une loi qui paraît discriminatoire et qui suscite une vive polémique dans tout le pays.
Une loi discriminatoire qui cristallise l’inquiétude des musulmans
Le 11 décembre 2019, l’amendement de la loi sur la citoyenneté indienne (datant de 1955) a créé une vive polémique. Cette loi, (la Citizenship Amendment Act (CAA)), a été adoptée le 12 décembre 2019 par le parti nationaliste hindou (BJP : « Bharatiya Janata Party ») dirigé par le Premier ministre, Narendra Modi. Cette loi est censée faciliter l’accès à la citoyenneté indienne pour les réfugiés afghans, bangladais et pakistanais « qu’ils soient hindous, sikhs, parsis, chrétiens, bouddhistes et jaïn à l’exclusion des musulmans » [1]. Une loi qui peut paraître paradoxale : les musulmans ne peuvent bénéficier de cette avantage, alors même que les réfugiés mentionnés sont très majoritairement d’obédience musulmane.
Le gouvernement indien cherche à renvoyer l’image d’un pays tolérant et ouvert aux autres cultures et religions. Pourtant, les musulmans qui ont la nationalité indienne et vivent depuis plusieurs siècles sur le territoire, se sentent discriminés et caractérisés comme des « citoyens de second rang », alors qu’ils sont environ 200 millions, et représentent 15% de la population totale.
Des violences sans précédent dans le nord-est de la capitale indienne
Du 23 au 26 février, New Delhi a connu trois jours de terreur. Des affrontements communautaires entre hindouistes et musulmans ont fait environ 38 morts et plus de 200 blessés [2]. D’autres sources, par exemple les Missions Etrangères de Paris, comptabilisent plus de 50 morts. Les chiffres réels sont difficiles à obtenir [3]. Des commerces appartenant à des musulmans ont été brûlés, voire pillés, par des hindouistes intégristes, armés de pierres, de revolvers et de sabres [4]. Ils ont brûlé de nombreux corans et hissé des drapeaux hindous sur des mosquées en criant « Vive le dieu Ram ». Le Dieu Ram est souvent mentionné par les nouveaux courants nationalistes hindous. Il est en effet considéré comme un roi véritable ou mythique de l’Inde antique, est révéré comme le 7e Avatar du Dieu Vishnu. Il est écrit qu’il était dévolu au système des castes et aux règles du dharma, et comme un adversaire actif de ceux qui veulent les détruire.
Le Premier ministre Narendra Modi appelle au calme
Ces violences ont eu lieu lors de la visite officielle de Donald Trump en Inde, le 24 et 25 février. Le président américain serait proche des nationalistes hindous, raison pour laquelle, le sujet des affrontements n’a pas été abordé lors de sa visite. Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a déclaré le mercredi 26 février : « J’appelle mes sœurs et frères de Delhi à maintenir en tout temps la paix et la fraternité. Il est important que le calme et la normalité soient rétablis au plus vite ». Imran Khan, le Premier ministre pakistanais a également accusé le BJP d’avoir du sang sur les mains avec une idéologie basée sur le racisme, et d’être entièrement responsable des meurtres commis à New Delhi. Il a également déclaré que les minorités dans son pays sont des citoyens égaux.
Narendra Modi est souvent accusé d’islamophobie, depuis sa première élection en 2014 et ne fait qu’accroître la crainte des musulmans d’être déchus de leur nationalité. Le BJP accuse souvent la minorité musulmane d’être responsable de tous les problématiques que l’Inde connaît (corruption, trafics, meurtres…). Un des partis de la gauche indienne a accusé Narendra Modi d’être sur une position trop défensive et espère que la loi sera supprimée. Mais le gouvernement pourrait considérer que les musulmans n’ont pas les mêmes droits que les autres. Pour l’instant, la modification de la loi n’est pas prévue à l’agenda gouvernemental, mais dans le cas contraire, d’autres violences pourraient survenir dans la capitale indienne. La promulgation de cette loi engendre de nouveaux questionnements : comment peut-on accéder à la nationalité indienne lorsque l’on est un réfugié musulman ? Est-ce que ce droit sera valable dans les temps à venir ? Certaines personnes présentent une autre hypothèse qui expliquerait la problématique de l’accès à la nationalité pour les réfugiés musulmans. Pour le Premier ministre, donner la nationalité indienne aux musulmans afghans, pakistanais ou bangladais paraît trop risqué. En cause : la menace terroriste qui planerait dans le contexte actuel au vu du conflit au Cachemire. Mais ne serait-ce pas une tendance à l’amalgame de la part du premier ministre indien? Pour Narendra Modi, ces pays d’où viennent les réfugiés musulmans sont jugés trop extrémistes et l’arrivée de leurs ressortissants pourrait aggraver le sentiment d’insécurité nationale.
Image par Rajesh Balouria de Pixabay
[1] FIDH : « La communauté internationale doit condamner les crimes perpétrés contre ceux qui protestent pacifiquement contre la nouvelle loi discriminante », 02/03/2020 : https://www.fidh.org/fr/regions/asie/inde/la-communaute-internationale-doit-condamner-les-crimes-perpetres
[2] Le Point International : « L’Inde ébranlée par les violences intercommunautaires à Delhi », 27/02/2020, https://www.lepoint.fr/monde/l-inde-ebranlee-par-les-violences-intercommunautaires-a-delhi-27-02-2020-2364773_24.php
[3] Missions Etrangères de Paris, Eglises d’Asie : « En Inde, ce qu’il faut savoir sur la nouvelle loi controversée sur la citoyenneté », 19/03/2020 : https://missionsetrangeres.com/eglises-asie/en-inde-ce-quil-faut-savoir-sur-nouvelle-la-loi-controversee-sur-la-citoyennete/
[4] India Today : « Delhi riots, capital of shame », 28/02/2020, https://www.indiatoday.in/magazine/up-front/story/20200309-delhi-riots-capital-shame-1650482-2020-02-28