Comme l’ensemble des peuples amérindiens d’Amérique du sud, les Amérindiens de Guyane se retrouvent démunis face au Coronavirus. La situation n’est pas la même pour toutes les communautés : tandis que les Amérindiens installés sur la côte s’isolent, font face à la stigmatisation et à une extrême précarité, ceux de la zone amazonienne font face à la sécheresse puis aux inondations, à la recrudescence de l’activité minière et à la menace d’une pénurie alimentaire.
Une population fragile et précaire
Les Amérindiens de Guyane sont répartis en 6 peuples : les Wayanas, les Tekos et Wayampis situés dans la forêt amazonienne et les Kali’nas, les Lokonos et les Palikurs situés sur la côte. À eux tous, ils représentent 5% de la population guyanaise.
Ces populations vivent en communautés au sein de villages dirigés par des chefs coutumiers. Si depuis les années 2000 les peuples amérindiens s’organisent politiquement pour être représentés dans l’espace public, ils souffrent d’un manque de reconnaissance et de prise en compte dans les politiques territoriales françaises. En effet, un des principes forts de la République est son unicité et son indivisibilité, écartant souvent les possibilités de compréhension de groupes vivants et s’organisant en communautés. Depuis les années 2000, et avec l’aide de mouvements internationaux en faveur de peuples autochtones, les Amérindiens de Guyane cherchent à obtenir du gouvernement français des droits territoriaux pour leurs communautés, ainsi que leur reconnaissance en tant que « peuples distincts ». Malheureusement, la France ne reconnaît pas pour l’instant les droits territoriaux collectifs. Les territoires amérindiens ont ainsi été classés comme domaines privés appartenant à l’État.
Les revendications des Amérindiens de Guyane ont atteint leur paroxysme en 2017. Le projet de la montagne d’or était au cœur des inquiétudes. Ce dernier met en péril l’écosystème de la forêt amazonienne, mais rogne aussi sur les territoires des amérindiens dont ils dépendent pour leurs subsistances.
L’accès aux soins et à l’éducation est aussi particulièrement difficile, et démontre leur mise à l’écart du système français. Celui-ci est pourtant d’autant plus primordial, lorsque l’on sait la fragilité de ces populations face aux virus occidentaux. Ils sont aussi sujet à des maladies chroniques importantes, notamment au diabète et à l’hypertension artérielle.
Enfin, ces populations sont enregistrées comme souffrant d’un profond mal-être. Entre janvier et juin 2019, 6 membres des communautés amérindiennes de Guyane s’étaient suicidés, et 13 tentatives avaient été enregistrées. Si les médias métropolitains s’en étaient ému, cette accélération du nombre de suicides suit une augmentation déjà alarmante depuis 2015. Les problèmes de drogues et d’alcool sont perçus comme les éléments principalement déclencheurs du passage à l’acte. Mais le problème de fond est celui de l’intégration à la société et du poids des traditions.
Ces différents constats les rendent particulièrement vulnérables à la crise sanitaire du Covid-19.
Les Amérindiens de la côte Guyanaise face au Covid-19 : entre peur du virus et peur de la stigmatisation
Un des clusters guyanais du coronavirus est situé dans le village amérindien de Cécilia à Matoury ce qui a déclenché une vague de propos haineux à l’encontre de ces communautés. Le Grand Conseil Coutumier des Peuples amérindiens et Bushinengué (GCC) a publié le 22 avril dernier un communiqué appelant à la solidarité et à l’arrêt de la stigmatisation envers les communautés amérindiennes de Guyane. Le GCC se rattache à une communauté mondiale des peuples amérindiens dont la mission principale est la lutte contre le changement climatique, clairement désigné dans ce communiqué comme la cause principale du Coronavirus.
L’arrivée du virus fait écho au traumatisme collectif des épidémies survenues lors de la mise en contact forcée de ces populations avec les Blancs. Pour se préserver du Covid-19, les chefs coutumiers des villages de Norino, Yapara et Kamuyéné ont décidé en accord avec leur population de prendre des mesures strictes de confinement. Seuls les personnels soignants et les boulangers sont encore autorisés à entrer dans ces villages. Quant au village de Sainte-Rose de Lima, il a été décidé d’interdire l’accès à toute personne extérieure à la communauté.
Le problème économique se greffe aux difficultés du confinement pour ces populations accoutumées à une vie en collectivité. En effet, le confinement implique pour beaucoup de familles la perte de leurs revenus principaux, alors qu’elles étaient déjà en situation de précarité. Le député LREM de la circonscription, Lénaïck Adam, premier bushinengue élu à siéger à l’Assemblée nationale, dénonce cette situation et craint que de nombreuses familles ne meurent de faim.
Les Amérindiens de la zone amazonienne face à un confinement rendu impossible
Pour les populations amérindiennes du parc amazonien, la situation face au virus se dégrade de jour en jour. Le confinement est rendu difficile par la question du ravitaillement alimentaire qui les met directement en contact dans les villes avec les orpailleurs clandestins (garimpeiros). Ils craignent que ces derniers ne les contaminent, puisqu’ils ne respectent pas les gestes barrières. De plus, une vague de sécheresse assèche le haut Maroni, le grand fleuve de la région dont dépendent les communautés amérindiennes vivant non loin de Maripasoula. S’ils ne peuvent naviguer sur le fleuve, ils ne peuvent aller se ravitailler. Ils craignent alors la pénurie. L’organisation des nations autochtones de Guyane (Onag) organise une solidarité entre peuples amérindiens pour parvenir à surmonter cette crise. Ces derniers jours, après la sécheresse, c’est la saison des pluies, et les inondations qui l’accompagnent, qui s’abattent sur la Guyane. Ces dernières sont d’une violence inouïe, une première de cette intensité depuis 30 ans. Elles obligent les populations à sortir du confinement pour aller se réfugier dans les gymnases et autres bâtiments communaux.
L’orpaillage illégal est aussi en pleine expansion. Les communautés Wayana, Teko et Wayapi le déplorent depuis le début du confinement et n’attendent pas grand-chose de l’aide de l’État. Ils ont tenté de dresser un barrage sur le fleuve Maroni, avant d’être stoppés par les gendarmes. Ils parleraient maintenant de s’armer, comme sont eux-mêmes armés les orpailleurs clandestins. Les Amérindiens ont peur que ces garimpeiros ne leur transmettent le virus. Ils ont aussi peur que si la pénurie alimentaire vient à se confirmer, les orpailleurs clandestins ne viennent dans leurs champs leur voler leur principale source d’alimentation.
Lorsque les grands groupes miniers et les orpailleurs profitent du confinement
Déjà surnommée la « Montagne d’or bis », le projet d’une mine géante en Guyane appelé « Espérance », a été validé fin avril dernier par la commission départementale des mines (CDM). Cette dernière s’est réunie sous forme dématérialisée, confinement oblige, et a voté en majorité pour le projet. 12 voix pour comprenant les représentants de l’État et 5 contre dont les représentants autochtones, WWF et Guyane Nature Environnement. Le projet annonce une nouvelle déforestation du poumon vert de l’humanité sur une superficie qui représente 2,5 fois la taille de Marseille. Le dossier est maintenant entre les mains du Conseil d’État qui devra trancher par décret dans les prochains mois. Même si celui-ci est validé, le dossier devra encore obtenir une autorisation administrative et passer une enquête publique.
Porté un an après l’annulation de celui de la Montagne d’or, ce projet n’est malheureusement pas une surprise pour les Amérindiens. Le président de la République Emmanuel Macron avait en effet annulé la Montagne d’or en la déclarant en incohérence avec sa politique environnementale. Mais il n’avait pas écarté la possibilité d’un autre partenariat avec des entreprises minières étrangères. Ces dernières agissent déjà illégalement sur le territoire guyanais en toute impunité. Le territoire occupé par ces compagnies empiète de plus en plus sur celui des tribus indigènes. Une présence qui s’accentue en cette période de coronavirus. « En Guyane, les compagnies aurifères profitent du confinement, qui entraîne une baisse de la vigilance et de la présence des autorités, pour exploiter illégalement des filons », dénonce Pierre Christophe Yapuranawa, un Amérindien de Guyane française, membre de l’association jeunesse autochtone.
La situation des Amérindiens de Guyane est amenée à évoluer dans les semaines qui viennent. La mise en place d’aides internationales et de solidarités entre peuples autochtones va venir atténuer les maux actuels des aborigènes. Mais cela ne réglera pas les problèmes de fond causés par l’absence de prise de considération par les politiques publiques de la spécificité de ces peuples et par l’expansion des exploitations minières.
Image par pioordozgoith de Pixabay