Nombreux sont les Montréalais ayant déjà entendu parler de l’église Notre-Dame-de-la-Défense dans le quartier de la Petite-Italie en raison de la fameuse fresque de Mussolini peinte sur le plafond, au-dessus du chœur. Pourtant, ils semblent être moins nombreux à savoir qu’il s’agit de la première église italienne de la ville et que la majorité des célébrations s’y déroulent en italien encore à ce jour. En outre, elle est même conçue par la communauté italienne montréalaise comme un de ses points d’ancrage centraux. Le nom des rues, des places et des commerces environnants (majoritairement en italien) ne fait que le confirmer. Malheureusement, en temps de crise sanitaire, ce lieu de rassemblement religieux, mais aussi hautement culturel et social, se retrouve soudainement déserté par ses fidèles.
Bien sûr, étant donnée toute l’incertitude qui plane autour de cette situation exceptionnelle, ces derniers ne savent pas à quel moment ils pourront retourner prier dans leur lieu de culte. N’ayant plus la possibilité de socialiser dans cet espace de partage culturel, ni de se regrouper tout court, la communauté italienne de Montréal est elle-même fragilisée, temporairement démunie de ses lieux de socialisation. Comment cette église ethnique, comme tant d’autres à Montréal, continue-t-elle de mobiliser ses fidèles chaque semaine malgré la distanciation physique ?
Innover en temps de crise, malgré l’incertitude
Tout comme les écoles et les universités, les institutions religieuses telle que Notre-Dame-de-la-Défense se sont rapidement adaptées aux circonstances inhabituelles en investissant les réseaux sociaux. L’église avait déjà créé une page Facebook bien avant le début des événements, ce qui a facilité la transition des messes et autres célébrations en ligne. Encore aujourd’hui, alors que certaines institutions montréalaises (principalement commerciales) rouvrent progressivement leurs portes, les fidèles sont invités à suivre la liturgie sur leurs appareils électroniques en direct chaque dimanche. En effet, le feu vert n’est pas encore donné aux lieux de culte. Par ailleurs, bien que toutes les célébrations spéciales tels que les mariages et les baptêmes soient reportées, des messes commémoratives sont transmises en direct afin que les proches d’un ou d’une défunt.e puissent assister virtuellement aux funérailles. Le tout est filmé en temps réel au sein de l’église, et il n’y a que trois personnes présentes : le prêtre et le choriste dans le chœur, et une fidèle qui filme. Même si cette pratique en ligne de la religion ne peut aucunement remplacer l’expérience réelle et collective d’un rituel, certains aspects positifs ressortent de cette expérience virtuelle vécue par les fidèles. Un exemple est la possibilité de partager les captations avec la famille et les amis vivant en Italie ou ailleurs dans le monde.
Les codes rituels préservés
Tout comme les gestes rituels du prêtre et le regard qu’il dirige vers la nef normalement remplie de fidèles attentifs, la langue de la liturgie n’a pas non plus été modifiée pour la retransmission en ligne, et reste toujours en italien. Au fur et à mesure du déroulement des messes, les fidèles commentent des passages, voici par exemple un commentaire de Goliarda Zanni (nom fictif) : « Ascoltaci o Signore Vieni Santo Spirito ». Au moment de la communion, les bancs vides de la nef sont filmés pour faire allusion à l’habituelle distribution dans les mains des fidèles. Malheureusement pour les fidèles, les célébrations chrétiennes en cette période de confinement sont particulièrement nombreuses et importantes pour le culte : il y a eu la Semaine Sainte, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, et il y aura très prochainement la Fête de Sainte-Antoine de Padoue, célébrée chaque année par la communauté. Pour l’heure, il est encore difficile de dire si cette dernière pourra se réunir comme chaque année à la mi-août, à l’occasion de la Fête de leur Sainte patronne, à Notre-Dame-de-la-Défense.
L’expérience virtuelle du rite
Le responsable de la catéchèse, Pier-Luigi, fréquentant cette église depuis son arrivée à Montréal de l’Italie il y a presque 30 ans, témoigne de son expérience depuis le début de la quarantaine. Il participe à plusieurs rencontres sur Zoom avec le personnel de la communauté, mais pour ce qui est du rituel, il préfère écouter la messe sur Radio-Canada (chaîne de radio publique) « parce que c’est plus professionnel » par rapport aux messes filmées dans son église. Les vidéos publiées sur la page Facebook ne sont pas de grande qualité, étant donné que ce sont des volontaires de la communauté qui filment. Il affirme toutefois les regarder de temps à autre, « pour garder le lien ». Tous les dimanches, avec sa femme et son jeune enfant, Pier-Luigi se prépare et s’habille exactement comme s’il allait à l’église, et participe à la célébration dans son salon devant sa télévision, appliquant les codes habituels. « On se lève quand on doit se lever, on fait les signes de croix quand il faut, on se rassoit, on prie, etc. exactement comme dans l’église ». Temporairement déterritorialisées, la routine, les pratiques et les paroles marquant le rite sont conservées afin de vivre l’expérience de la façon la plus normale et exacte possible.
Une transformation sans retour ?
Les messes sans la présence des fidèles et publiées en temps réel sont une mesure mise en place promptement par la communauté de Notre-Dame-de-la-Défense, et qui n’a jamais existé dans cette église auparavant. Pour ce qui est des captations, il était plutôt fréquent, depuis quelques années, que les célébrations importantes soient filmées et publiées sur Facebook en direct. Mais les fidèles étaient alors tous dans l’enceinte de l’église et les vidéos n’avaient aucunement pour vocation de compenser leur absence. Chaque vidéo publiée en direct en cette période actuelle est vue de 600 à 1000 fois, une hausse plutôt importante par rapport aux vidéos publiées avant la pandémie, vues de 100 à 500 fois. Est-ce qu’il y a des chances que les fidèles finissent par s’habituer à cette virtualité du rituel religieux, à tel point que la communauté devienne essentiellement une communauté en ligne ? Non, certainement pas, selon Pier-Luigi. Les fidèles expriment leur volonté de garder un lien fort. Il y a beaucoup d’appels exprimant de l’inquiétude, de la solitude et un besoin de socialisation réelle.
Une communauté « déterritorialisée » et « imaginée »
En explorant les pages Facebook de différentes églises ethniques montréalaises, il semblerait que cette pratique de la religion en ligne se soit généralisée. Le lien entre les fidèles et la communauté demeure, malgré la distanciation imposée temporairement. La possibilité de filmer tout en diffusant en temps réel permet au rituel de se perpétuer « dans les normes ». Ainsi, les fidèles se sentent toujours unis, en tant que communauté, tout en préservant leurs habitudes religieuses. Du moins, tant que la situation ne perdure pas trop longtemps. Dans ces circonstances extraordinaires, à travers la « déterritorialisation » des codes rituels, la communauté est réinventée et « imaginée » devant les écrans de chacun.e.