« Le Maître dit : Si l’on conduit le peuple au moyen des lois et qu’on réalise la règle uniforme au moyen des châtiments, le peuple cherchera à éviter les châtiments, mais il n’aura pas le sentiment de la honte. Si l’on conduit le peuple au moyen de la vertu et qu’on réalise la règle uniforme à l’aide des rites, le peuple acquerra le sens de la honte et en outre deviendra meilleur », ainsi écrivait Confucius sur la dualité entre l’ordre moral de la société chinoise et le rapport avec les règles de droit [1].
Comme presque partout ailleurs, la formation et l’évolution du droit ont été dominées de tout temps, en Chine, par des problèmes d’ordre philosophique. C’est pour cela que l’étude de l’influence du Confucianisme dans le droit chinois représente un réel intérêt.
Le philosophe chinois Confucius – nom latin – est considéré comme l’un des plus grands penseurs de l’Empire du Milieu. Kong Qiu, en chinois, est né à Qufu en l’an 551 avant Jésus Christ (J.-C.). Son enseignement oral va renouveler le sens des anciens textes en préconisant le retour à la morale. Il a principalement travaillé sur l’ordre politique et social, pour cela il appelait aux droits des faibles et aux devoirs des puissants. Ces nombreux préceptes, comme le respect des traditions, l’exigence de la tolérance et l’humanisme furent repris par tout un courant de pensée qui va structurer la société chinoise pour de nombreux siècles. Il a principalement travaillé sur l’ordre politique et social.
Confucius fut honoré comme un saint, et ses enseignements devinrent la règle, pendant des siècles. En rassemblant tous les classiques Tcheou, il nous a transmis le corps principal de l’ancienne culture dont il a tiré ses enseignements et codifié les préceptes en une doctrine qui porte son nom.
L’élaboration du droit en Chine et la conception de règles sociétales « semblent s’être décidées dans la période qui se situe entre les Ve et le IIIe siècle avant J.-C. où la société chinoise a connu un grand bouleversement et où les « Cent écoles » ont fleuri. Parmi ces écoles, les courants taoïste, confucianiste et légiste ont parcouru toute la pensée de la Chine aux diverses époques de son histoire ».
La confucianisation du droit se traduit par les faits suivants : à partir de la dynastie Han (206 av. J.-C.), le confucianisme s’est élevé au rang d’une doctrine orthodoxe [2].
Cependant, la République Populaire de Chine a instauré depuis le milieu du XXe siècle un processus de judiciarisation, qui tend parfois vers une codification. Ainsi, depuis les dernières décennies une codification a vu le jour en Chine, à l’image du Code du droit des affaires (1995) [3], de la loi pénale de 1997 [4]. Cependant, de grands pans du droit chinois ne sont qu’au stade de la législation, comme cela est le cas pour le droit du travail. Par ailleurs, en 2020, est prévue l’adoption des dernières dispositions afin de compléter le Code civil chinois. Ce dernier sera subdivisé en cinq parties relatives à la propriété, aux contrats, à la responsabilité civile, aux mariages et aux successions [5].
Le système juridique chinois se caractérise par son rapprochement avec la philosophique chinoise. Le Confucianisme est la philosophie qui a prédominé dans l’élaboration du droit chinois. Ainsi, l’Empire du Milieu n’a pas été étranger à l’emprise du droit, cependant ce système juridique, parfois original du point de vue occidental, connaissait un autre type de droit. Ainsi, l’étude de l’influence du confucianisme révèle un réel intérêt pour comprendre le système juridique chinois et même la culture chinoise.
Les principes confucéens : l’ordre moral privilégié
L’histoire de la pensée chinoise depuis le Ve siècle avant Jésus Christ est dominée par Confucius et son école. Bien que vieux de trente siècles, les enseignements de ce philosophe ont profondément marqué les institutions de la Chine impériale, mais également de manière plus large les régimes politiques successifs jusqu’au XXe siècle. Même après les révolutions chinoises, il a fallu continuer à prendre en compte cet héritage [6].
En effet, la pensée philosophique de Confucius et de ses disciples repose sur un ensemble de principes qui se basent sur la morale. À la différence de la conception occidentale qui considère que « l’Homme est un loup pour l’Homme », les Chinois considèrent que l’Homme est naturellement bon. Ainsi, c’est la morale et le respect de l’ordre naturel qui dirigent les règles juridiques. Cela est le fruit de la conception qu’il existe une continuité entre l’Homme et le Ciel [7]. En effet, dans la conception chinoise, en particulier la philosophie taoïste, le ciel, la terre et l’homme sont décrits comme étant les trois éléments centraux du monde dont toutes choses naissent. Cela a été repris dans le confucianisme, avec l’idée que « la nature est un grand cosmos, et l’homme un petit cosmos » [8]. De ce fait, l’Homme doit répondre à la nature qui est plus grande, afin de vivre mieux. Par ailleurs, le ciel est prédominant, il est considéré comme l’origine des cinq rites, des cinq relations et des cinq châtiments [9]. Cette numérologie était importante, et le rôle des souverains de l’époque était de gouverner selon les Cinq Principes, qui garantissaient l’harmonie sociale. Par ailleurs, les Cinq Rites, servaient à assurer les bons rapports entre les hommes et les divinités, et enfin les Cinq Châtiments, étaient destinés à punir les contrevenants aux grands principes moraux et politiques [10]. Ainsi ces règles servaient à régir et structurer la société, ce qui permettait de pallier l’utilité des règles juridiques.
Pour Confucius, le sens de l’humain est important, et cela est mis en avant grâce à l’usage du « ren » qui est le gouvernement par les Hommes. Ainsi, le sens de l’humain doit prévaloir sur les règles juridiques, conformément à la pensée de Confucius. C’est en ce sens que le philosophe critique les lois, car elles tendent à détruire le sens moral et humain de l’individu, car il va au fur et à mesure fixer sa conduite en fonction des règles juridiques et non plus des valeurs morales. Cependant, les règles juridiques peuvent souffrir d’injustice ou de contrariété avec la morale. Cela est le fait des législateurs qui édictent les lois, ce qui va alors ‘’contaminer l’individu’’.
Dans cette dualité entre les règles juridiques et la tradition, on retrouve l’opposition entre la loi et les rites. Ces derniers (Li en chinois) sont considérés comme les éléments qui vont gérer les relations humaines de manière naturelle. Ce qui est en contradiction avec la loi, considérée comme « artificielle ». Ainsi le recours aux règles juridiques est vu comme exceptionnel, afin de servir d’exemple pour que le mal commis ne soit pas réitéré. C’est le principe de « punir pour ne plus punir ». La doctrine confucéenne vise ainsi à « assurer l’harmonie naturelle sans le concours des lois qui [viendraient] la perturber ». Pour les Chinois, il existe donc seulement des devoirs qui sont liés aux rites.
Enfin, un des principes les plus importants de la philosophie de Confucius, c’est le respect de la hiérarchie. Dans cette philosophie chinoise, il y a l’existence de « cercles naturels » qui sont la famille, le clan et le village. C’est dans chacun de ces cercles que le conflit va se régler et va faire office de loi. Le droit ne pourra intervenir que dans les cas les plus graves qui ont commis une rupture avec l’ordre moral, l’harmonie universelle. Ainsi la figure du juge dans le cadre de conflit est associée au père de famille ou bien à l’empereur. Cela permet d’imposer un respect total de la part des individus.
Il y a donc dans la pensée confucéenne une réelle différence entre l’ordre moral et le droit. Cependant, c’est l’importance de cette philosophie chinoise dans la société qui va prendre le dessus sur les règles juridiques.
La transcription confucéenne dans le droit chinois
Pour les légistes, l’Homme n’est pas bon par nature, ainsi le gouvernement par la loi est nécessaire. Cependant, cela s’oppose à la vision confucéenne, puisque « lorsque la loi et les ordonnances sont exécutées, il n’y a plus de place pour la voie personnelle » [11].
La loi a la caractéristique de s’imposer à tous les hommes, quels que soient leurs statuts, à la condition qu’elle soit connue de tous. Pour cela, il faut que des hommes travaillent à sa diffusion dans la société. De plus, la population doit avoir connaissance des droits et des devoirs édictés par la loi.
Cette idée du respect de la loi et de la société construite sur des bases juridiques s’est progressivement imposée sous le souverain Qin Shi Huangdi (IIIe siècle avant J.-C.). Cependant, à sa mort et avec la dynastie des Han (IIIe s. avant J.-C. – IIIe siècle après J.-C.), le confucianisme devient la philosophie officielle de l’État [12]. L’empereur chinois va suivre de manière précise les préceptes de Confucius. Cette dynastie fait suite à la dynastie des Qin qui donna son nom au pays, et qui exerça une influence durable sur l’histoire et le droit de la Chine [13].
Il y a donc eu une dualité entre le droit et la conception confucéenne. C’est dans la continuité de l’ordre moral, privilégié sur le droit, que le lettré Tong Tchong-Tchou va déclarer « c’est le jugement et non pas la loi qui fait justice ». Ce dernier va préférer l’ordre moral plutôt que le droit, car il va s’adapter aux individus et va prôner les vertus de l’enseignement.
Malgré l’appréhension pour le droit en Chine, il y a eu la construction d’un système juridique dans l’Empire du Milieu. Mais ce droit n’est pas un droit religieux, il s’agit plutôt d’un système juridique intégré dans une conception philosophique particulière qu’est le confucianisme lui-même. Comme le précise le professeur G. Chrétien-Vernicos « face à un droit à base philosophique s’extériorisant dans des rites (Li) les souverains avec l’aide de ceux qu’on appelle les légistes, ont tenté d’imposer un système juridique basé sur la loi (Fa) » [14]. Ainsi l’histoire de la construction du droit chinois s’illustre dans l’opposition entre le Li et le Fa. L’histoire chinoise est millénaire et la structure politique de l’empire s’est retrouvée plusieurs fois morcelée. L’édification d’un droit chinois dans l’empire n’a jamais été complète. Le Li est donc l’ensemble des règles de convenances et de bienséances qui s’impose à l’honnête homme. Ce sont des règles de comportement qui sont proposées par des hommes de grande vertu. Tandis que le Fa est l’ensemble des règles juridiques.
La pensée confucéenne part du principe que l’Homme peut s’autocondamner du fait de la morale. En effet, le sentiment de Honte qui provient de toute violation sociale d’une obligation, permet aux individus de devenir meilleurs [15]. Tandis que de son côté, le droit inspire la crainte dans le cœur des hommes, par peur d’être puni. « Ainsi le peuple est éduqué, l’ordre social demeure en harmonie avec l’ordre naturel » [16], c’est la relation des hommes avec les rites qui leur inspirent la bonne conduite sociale.
Les deux écoles du Fa et du Li ont apporté leurs héritages dans le système juridique chinois. Le confucianisme a légué la méfiance envers le droit, mais aussi la notion de Li. La vision du droit est considérée comme l’échec à la bonne entente et à la conduite des hommes. Car l’homme doit vivre normalement en dehors du droit, conformément à l’harmonie. Ainsi le Li doit être suffisant pour maintenir l’ordre, il donne à l’homme uniquement des devoirs. Comme l’explique le professeur G. Chrétien-Vernicos, « L’idéal est la soumission à ses supérieurs dans le cadre des » cinq relations » décrites par Confucius : le jeune au vieux, le fils au père, l’épouse à l’époux, l’ami à l’ami, le sujet au prince ». Mais il y a des limites à cela, car le Li est considéré suffisant pour les « gens bien », mais il faut cependant des Lois pour les criminels, les gens qui ne sont pas civilisés. Il faut des lois : « le Li ne descend pas jusqu’au peuple, les châtiments ne montent pas jusqu’aux nobles ».
Ainsi, les légistes ont apporté à la Chine le droit, les lois, qui sont malgré tout cantonnées à certains domaines. Il existe en réalité de nombreux codes de lois, les plus anciens datent de la dynastie des Tang. Mais en effet, ces lois se restreignent qu’à certains domaines, qui sont « le huidian ; Code de l’administration, le lüli ; Code pénal visant les fonctionnaires et l’ensemble de la population » [17]. Ainsi le droit pénal chinois, qui lui est ancien, consistait à infliger des peines aux citoyens les plus récalcitrants à l’ordre social, à l’harmonie. Mais ces Lois, le Fa, n’intervenait pas dans le domaine des coutumes qui régissent en majorité la vie sociale.
[1] Li Xiaoping. L’esprit du droit chinois : perspectives comparatives. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 49 N°1, Janvier-mars 1997. pp. 7-35.
[2] G. Chrétien-Vernicos, Cours d’histoire du Droit, Université Paris 8 Vincennes – Saint Denis – 2001-2002.
[3] R. GUILLAUMOND, « Code chinois du droit des affaires », Ed. Larcier, Xie Zhao Hua, 1995.
[4] Ambassade de France en Chine, « Droit pénal et procédure pénale [中文] », 16 janv. 2015, MEAE.
[5] Ambassade de France en Chine, « Adoption des Dispositions Générales du Code Civil : trois questions au professeur Shi Jiayou de l’Université Renmin », 31 mai 2017, MEAE.
[6] S. Gay Sterboul, « Confucius, ses disciples et la population », In: Population, 29e année, n°4-5, 1974. pp. 771-794
[7] J. Spiri, « Les leçons du droit chinois », in Spirit of Courbevoir, 19 sept. 2010, [https://jeanspiri.fr/2010/09/19/les-lecons-du-droit-chinois/].
[8] Chine Informations, « Confucius et le Confucianisme », 2018, [https://chine.in/guide/confucius-confucianisme_27.html].
[9] L. Vandermeersch, « Droit et rites en Chines », Le Monde, 2002, [https://www.lemonde.fr/savoirs-et-connaissances/article/2002/12/30/leon-vandermeersch-droit-et-rites-en-chine_303810_3328.htmlv].
[10] Chine Informations, « Confucius et le Confucianisme », 2018, [https://chine.in/guide/confucius-confucianisme_27.html].
[11] J. Spiri, « Les leçons du droit chinois », in Spirit of Courbevoir, 19 sept. 2010.
[12] Chine Informations, « Confucius et le Confucianisme », 2018.
[13] G. Chrétien-Vernicos, Cours d’histoire du Droit, Université Paris 8 Vincennes – Saint Denis – 2001-2002.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] G. Chrétien-Vernicos, Cours d’histoire du Droit, Université Paris 8 Vincennes – Saint Denis – 2001-2002.
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