Le 30 mai 2020, le Ministre de l’Intérieur indien a fait connaître les directives relatives à la cinquième phase du confinement parmi lesquelles figurait l’interdiction des rassemblements religieux. Cependant le 23 juin 2020, sur autorisation de la Cour Suprême indienne, se tenait le festival hindou du Ratha Yatra à Puri, dans l’État d’Odisha, qui a rassemblé des milliers de personnes. Les cadres du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), dont le Premier Ministre Narendra Modi lui-même, se sont félicités du maintien de cette célébration religieuse. Pourtant, en mars, le BJP avait vilipendé la communauté musulmane pour la tenue du rassemblement Tablighi Jamaat, dans une mosquée au sud de New Delhi, qu’il avait rendue responsable de la diffusion du virus. Cette différence de traitement réservée aux événements religieux hindous et musulmans dans le contexte de la crise du Covid 19 s’inscrit dans une stratégie politique plus large de polarisation de la société qui a porté le BJP au pouvoir en 2014.
Festival musulman et réactions de l’état indien
La cérémonie religieuse du mouvement musulman Tablighi Jamaat a eu lieu entre le 13 et le 15 mars et s’est tenue dans la mosquée Markaz, dans le sud de New Delhi. Le gouvernement indien ayant imposé un confinement sur le pays le 24 mars, la négligence du mouvement a été pointée du doigt dans les jours qui suivirent. Mais les experts et certaines ONG ont également souligné le manque de réaction de la part du gouvernement qui a ouvert le territoire à des ressortissants issus de pays sévèrement impactés par la Covid 19 (Malaisie, Indonésie). Suite à cette célébration religieuse, le gouvernement indien a indiqué que sur les 14.378 cas de Covid 19 recensés en Inde, plus de 4.000 étaient liés au rassemblement du Tablighi Jamaat. Les croyants ayant assisté à cet événement auraient contaminé des personnes à travers vingt-trois États et territoires de l’Union. S’il est en effet avéré que cet événement a participé à la diffusion du virus d’une manière importante, le BJP en a profité pour attiser le ressentiment à l’égard des musulmans.
La réthorique anti-musulmane du BJP
Narandra Modi a été porté au pouvoir en 2014 en promouvant une identité indienne corrélée à l’hindouisme. Le discours, populiste, tenu par Narendra Modi et les membres du parti a consisté en une diabolisation des musulmans. À partir de 2014, le BJP lançait successivement trois campagnes, reposant sur trois concepts dont le but était d’attiser l’hostilité à l’encontre des musulmans : le « Love Jihad », le « Land Jihad » et la sacralisation et la protection de la vache. Selon le « Love Jihad », des garçons musulmans séduiraient des filles hindoues pour les amener à se convertir. Le « Land Jihad » consisterait quant à lui à une appropriation de terres et de quartiers par les musulmans. Enfin, le BJP s’est attelé à galvaniser les hindous autour du thème de la sacralité et de la protection de la vache. Ces campagnes se sont traduites sur le terrain par des actes d’intimidation, voire de violence, à l’égard des musulmans. La crise du Covid 19 et le rassemblement de la mosquée Markhaz a offert au BJP l’opportunité d’ajouter le concept de « Corona Jihad » à ce corpus de rhétoriques anti-musulmanes.
Une campagne de désinformation à l’encontre des musulmans
Les réactions autour de ce concept ont été particulièrement virulentes à la fin du mois de mars et au début du mois d’avril. Le hashtag #CoronaJihad a proliféré sur Twitter. D’après le Time Magazine, entre le 28 mars et le 7 avril, environ 300.000 tweets comportaient ce hashtag. De nombreux leaders du BJP ont qualifié le rassemblement religieux de « corona terrorism ». Bien que l’islam en Inde soit fragmenté en de nombreux courants, dont le mouvement Tablighi Jamaat représente une petite fraction, le BJP a étendu le concept de « Corona Jihad » à l’ensemble des musulmans. Les membres du parti et des organes de presse qui en sont proches ont procédé à de la désinformation ayant pour objectif de témoigner des actions de musulmans dans le cadre de cette crise sanitaire. De nombreux clips ont circulé sur les réseaux sociaux mettant en scène des musulmans qui affirment ne pas craindre le virus et vouloir le diffuser ou encore en train d’agresser le personnel de santé. Voyager Infosec, une firme de cybersécurité et d’analyse de données basée à New Delhi a étudié plus de 30.000 clips sur TikTok diffusés début avril et ont mis en lumière une campagne de désinformation coordonnée à l’encontre de la communauté musulmane indienne. Certaines vidéos viennent même de l’étranger et auraient été doublées en Hindi et en Urdu. Il en a résulté de nombreuses violences à l’égard de musulmans début avril, pour lesquelles les agresseurs se justifiaient en faisant référence au Corona Jihad. Il y a également un accroissement des discriminations à l’encontre des musulmans qui prend la forme d’un boycott économique et d’une marginalisation sociale.
Image : Rath Yatra Puri 2007, Widipedia Common, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rath_Yatra_Puri_2007_11028.jpg?uselang=fr#filelinks.