Le mois de juillet 2020 a marqué le vingt-cinquième anniversaire du Génocide de Srebrenica. Du 11 au 16 juillet 1995, la Bosnie-Herzégovine, alors en guerre, connait le « crime de guerre le plus massif commis en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ». Un quart de siècle après, la commémoration se mêle encore avec le déni d’une partie de la sphère politique. De nombreuses familles, et notamment les femmes, se battent pour retrouver les corps de leurs défunts et traduire en justice les auteurs du massacre.
Une commémoration particulière pour ce vingt-cinquième anniversaire
Le 11 juillet, malgré la pandémie de Covid-19, nombreux étaient les musulmans de Bosnie à se rassembler au mémorial de Srebrenica. Vingt-cinq ans plus tôt, en juillet 1995, la ville fut le théâtre de l’horreur qu’est le nettoyage ethnique. À la chute de la Yougoslavie en 1991, les nationalismes exacerbés entrainent une lutte de territoire entre forces serbes, croates et bosniaques. Chaque camp déclare de fait sa main mise sur une partie de la Bosnie-Herzégovine : République Serbe de Bosnie, Herceg-Bosna et Posavina croate. Srebrenica, bien que terre d’asile de plus de 45 000 bosniaques sous l’égide de l’ONU, est attaquée par l’armée de la République Serbe de Bosnie. La prise de la ville, située à la frontière avec la Serbie, est une des clés à la constitution d’un territoire et d’un État serbe ethniquement pur.
En l’espace de quelques jours, 8 372 hommes et garçons musulmans furent assassinés par les forces serbes de Bosnie et plus de 25 000 personnes, femmes, enfants et personnes âgées, furent déplacées de force au cours de ce massacre.
A distance, une grande partie de la communauté internationale s’est jointe aux côtés des victimes. Parmi les interventions notables, Justin Trudeau, Premier Ministre du Canada, Pedro Sanchez, Premier Ministre espagnol, Mike Pompeo, Secrétaire d’État américain, Bill Clinton, ancien Président des États-Unis, et le Prince Charles. Au sein des Balkans occidentaux, Milo Djukonavić, Président du Montenegro et Stevo Pendarovski, Président de la Macédoine du Nord, ont tenu à rappeler les dangers du nationalisme tout en appelant à un travail de mémoire et à une réconciliation nécessaire à la région : « L’histoire, et pas seulement dans les Balkans, nous apprend que l’idée de territoires ethniquement purs conduit toujours à la tragédie. Et les récentes guerres des Balkans ont montré qu’un génocide, après l’Holocauste, peut se répéter. Si une génération ne parle pas, la suivante oubliera, laissant ainsi un terrain fertile pour de nouveaux conflits. »
À raison, le travail de mémoire est plus que jamais nécessaire à la région. La Serbie et la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine restent pour une année supplémentaire aux abonnés absents de la cérémonie. La sphère politique serbe se plonge encore dans un déni des évènements ou de leur qualification juridique. Plus encore, les auteurs des faits sont glorifiés au niveau national.
Déni des atrocités
Tout comme l’ensemble des faits commis au cours des guerres des années 1990 en Yougoslavie, le Massacre de Srebrenica fait l’objet d’un fort déni. Il se transforme même en manoeuvre politique pour les autorités nationalistes. Lors de son discours à l’occasion des vingt-cinq ans de Srebrenica, Valentin Inzko, Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, déplorait ainsi: « Certains tentent de réécrire l’histoire, d’autres relativisent les crimes. Mais le pire, c’est que certains nient qu’un génocide a eu lieu et glorifient même les criminels de guerre condamnés. »
Milorad Dodik, membre serbe de la Présidence de Bosnie-Herzégovine, connu pour ses provocations séparatistes, a réfuté à plusieurs reprises les allégations de génocide. En 2017, il introduit une loi interdisant l’apprentissage du Génocide de Srebrenica dans les écoles de la Republika Srpska, entité serbe de Bosnie. En 2019, il qualifie le Massacre de Srebrenica de « mythe fabriqué ». Ana Brnabić, Premier ministre de Serbie, après avoir rejeté le terme de génocide en 2018, a déclaré l’année dernière ne pas souhaiter « revivre les malentendus du passé ».
Ces deux exemples reflètent le déni constant qui règne dans la sphère politique serbe, mais également dans la sphère publique. Pourtant, le Massacre de Srebrenica a été formellement qualifié de Génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour de Justice Internationale. Cette dernière a également reconnu la responsabilité de la République de Serbie pour ne pas avoir empêché le génocide et ne pas avoir tenu les auteurs responsables. De même, les principaux responsables du Génocide ont été traduits en justice : Radovan Karadzić, leader des serbes de Bosnie, condamné pour génocide, Ratko Mladić, architecte du nettoyage ethnique de Srebrenica, condamné à perpétuité pour génocide, ou encore Radislav Krstić, général serbe, condamné à 35 ans de prison pour complicité de génocide.
Glorification des auteurs du Génocide
Le déni des atrocités de Srebrenica semble s’être installé pleinement dans la vie politique serbe. La glorification des auteurs de crimes se place en outil de la politique nationaliste. À ce sujet, Valentin Inzko note: « Au XXIe siècle, il est tout simplement inacceptable qu’un dortoir d’étudiants, où sont éduquées les générations futures, porte le nom d’un criminel de guerre condamné. Je demande à l’homme politique qui a placé la plaque de l’enlever dans un geste de regret. J’appelle également tous les hommes politiques à faire un autre effort sérieux pour adopter une loi sur l’interdiction de la négation du Génocide. »
Hommages, plaques commémoratives, statues érigées à l’effigie des auteurs de crimes de guerre. Autant d’actes politiques qui font preuve d’un système entier d’impunité et de normalisation des crimes commis durant les guerres de l’ex-Yougoslavie. Dans un rapport de juin 2020, la Youth Intitiative for Human Rights dénonce la présence de deux criminels de guerre condamnés aux élections serbes de 2020 : Dragan Vasiljković et Vojislav Šešelj. Serge Brammertz, ancien Procureur général du Tribunal pénal international des Nations unies pour l’ex-Yougoslavie, note quant à lui le grand nombre de cas non jugés à ce jour (3000 en Bosnie-Herzégovine), alors que de nombreux accusés ont fui en Serbie où ils trouvent refuge.
Pour reprendre les mots du Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, « il est temps de passer à autre chose, de laisser aux historiens le soin de traiter le passé avec respect, et de se concentrer sur le présent et l’avenir. » Vingt-cinq ans après les faits, les victimes méritent justice et reconnaissance officielle. Plus généralement, les populations méritent tolérance et respect de la part de leur classe politique. Les divisions actées dans les années 1990 et maintenues encore aujourd’hui doivent être dépassées pour permettre aux sociétés d’entrer dans un réel processus de paix.
Image: Srebrenica Genocide Memorial, Mike Norton, 18 juin 2018, CC BY 2.0.