L’Éthiopie est témoin d’une vague de contestations populaires depuis le début de l’été. La communauté oromo se considère marginalisée, en proie à un régime qu’elle estime autoritaire. La population oromo est-elle la seule à être « mise au ban » ? C’est ce que cherche à savoir une équipe du média France 24 en se rendant dans une manifestation à Paris prônant la liberté et l’égalité pour les Oromo.
L’Éthiopie : un vaste territoire syncrétique et dynamique
Le peuple oromo est présent dans la Corne de l’Afrique et représente aujourd’hui près de 35% de la population éthiopienne. Les Oromo sont de confessions multiples : chrétienne orthodoxe, musulmane ou adeptes d’une religion traditionnelle africaine. Ils vivent principalement dans la région de l’Oromia, au sud du pays. Cette population est structurée en chefferies depuis le XIXème siècle.
Au XVIe siècle [1], l’imam Ahmad Ibn Ibrahim al Ghazi mène un jihad vers l’intérieur des terres éthiopiennes pour étendre le territoire à domination musulmane (dar al Islam [2]). À la fin de ce jihad qui a vu s’affronter les chrétiens éthiopiens appuyés par les voyageurs portugais et les combattants musulmans, aidés eux par l’Empire Ottoman, les Oromo avancent vers le nord.
En rejoignant le centre du pays, certains Oromo se convertissent aux religions monothéistes. Ils vivent au contact d’autres populations présentes en Éthiopie comme les Somali (à l’est), ou encore les Amhara (au nord), les Afar (dans les hautes terres) et les populations du Tigré.
Abiy Ahmed : un pacificateur de la Corne de l’Afrique au détriment de sa propre population ?
En avril 2018, Abiy Ahmed Ali, oromo par son père musulman et amhara par sa mère chrétienne, devient Premier Ministre de l’Éthiopie. Il met en place des négociations visant à pacifier les relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée voisine après une période de conflits sanglants qui a commencé en 1998 autour de l’accès aux ports de commerce érythréens.
Abiy Ahmed commence par chercher à pacifier les relations internes en Éthiopie, notamment vis-à-vis de sa population oromo qui possède une branche politique sécessionniste (le Front de libération oromo). Malgré tous ces efforts en faveur de la population oromo, les traités de paix signés avec l’Érythrée [3] et les accords trouvés pour mettre fin aux divisions dans l’Église orthodoxe en juillet 2018 (Bien que protestant, Abiy Ahmed a conscience de l’importance de l’Église orthodoxe éthiopienne, ancienne et célèbre), les Oromo se sentent toujours marginalisés et menacés depuis le XIXe siècle.
Controverses et violences envers la communauté oromo
Au mois de juin 2020, en pleine crise sanitaire, les Oromo se soulèvent et d’importantes manifestations ont lieu à Addis Abeba et dans la région de l’Oromia suite à l’arrestation de nombreux opposants politiques. C’est avec l’assassinat du chanteur Hachalu Hundessa le 29 juin 2020 que la situation s’envenime. Le 17 août, des opposants politiques sont emprisonnés et l’Addis Standard, journal éthiopien, rapporte que depuis le début des soulèvements plus de 230 personnes ont perdu la vie.
La diaspora éthiopienne oromo se mobilise, elle aussi, pour faire connaître les violences dont sont victimes leur population. Ces violences ne touchent en réalité pas que les Oromo mais toute la population éthiopienne qui se trouve privée de ses droits humains fondamentaux. Les journaux critiques du Gouvernement sont censurés par période, des arrestations arbitraires et ciblées ont lieu et l’accès à l’internet est régulièrement coupé, comme ce fut le cas le 30 juin 2020.
Abiy Ahmed est une personnalité clivante : bien qu’ayant obtenu le prix Nobel de la paix en 2019, la plupart de ses opposants oromo ne sont pas satisfaits de sa gestion des conflits intercommunautaires.
Les problématiques politiques auxquelles fait face l’Éthiopie actuellement sont indubitablement liées à des questions identitaires et culturelles.
[1] Les premières mentions des Oromo dans les sources éthiopiennes datent du XVIe siècle.
[2] Le dar al-Islam définit un territoire sous domination musulmane (califale, sultanienne, …). Au XVIe siècle, cette étendue couvre le Moyen-Orient, la Perse, l’Inde, l’Asie du Sud-Est, l’Asie Mineure, l’Afrique du Nord, le Sahel ainsi que l’Afrique de l’Est.
[3] Ouverture des relations diplomatiques avec l’Érythrée en 2019.
Image : drapeau du Front de libération oromo, source Wikipédia.