Depuis le 22 juillet 2020, pour la première fois de son histoire, les femmes pasteures sont majoritaires dans l’Église luthérienne de Suède. La secrétaire de l’Église de Suède révèle à l’AFP que sur les 3 060 pasteurs aujourd’hui en service en Suède, 1 533 sont des femmes et 1 527 sont des hommes. Il s’agit donc d’une proportion de 50,1% de femmes pour 49,9% d’hommes. La parité est désormais quasiment parfaite dans l’Église luthérienne la plus importante d’Europe.
La féminisation du pastorat en Suède
L’Église de Suède instaure la séparation avec l’Église catholique romaine, sans confession de foi dans les années 1520 puis confirme l’adoption du luthéranisme au cours du synode d’Uppsala de 1593.
Aux XIXème et XXème siècles, l’Église de Suède se démarque par des mesures libérales. Parmi celles-ci : la place de la femme en son sein. En effet, le Riksdag (Parlement suédois) autorise les femmes à devenir pasteures en 1958. Pour la première fois, l’Église ordonne trois femmes en 1960. Enfin, en 1982 le Riksdag supprime la « clause de conscience » qui permettait aux pasteurs de refuser toute collaboration avec une femme. L’Église luthérienne de Suède n’est plus une Église d’État à partir de 2000 mais cela n’entrave pas ces évolutions.
La voie est alors ouverte pour établir définitivement le pastorat féminin au sein de l’Église de Suède. Certaines femmes pasteures atteignent des postes haut placés. L’Église de Suède célèbre le mariage de même sexe depuis 2009 et autorise des pasteurs ouvertement homosexuels. L’évêque de Stockholm de 2009 à 2019, Eva Brunne est ainsi la première femme évêque lesbienne luthérienne. Antje Jackelén, la première femme à occuper le poste d’archevêque et primat de l’Église de Suède préside cette Église depuis 2013. Elle rencontre le pape François au Vatican le 4 mai 2015 pour une audience officielle dans un but de coopération.
« Aujourd’hui, de nombreuses paroisses tentent d’avoir à la fois un homme et une femme pour dire la messe lors du service dominical », explique Cristina Grenholm, secrétaire de l’Église de Suède. « Puisque nous pensons que Dieu a créé les êtres humains, aussi bien l’homme que la femme à son image, il est essentiel que nous le montrions. Si l’on exclut la moitié de l’expérience que représente la vie d’une femme, alors on exclut beaucoup de choses ».
Parité mais inégalités
Si la parité de nombre est désormais établie, la parité de fonction n’est pas encore de mise. Sur les treize diocèses de l’Église de Suède, seuls quatre sont dirigés par des femmes. « [Avoir des femmes pasteures] n’a jamais été un problème à Stockholm », explique Eva Brunne. « L’une des femmes ordonnée en 1960 est décédée l’an dernier et elle disait toujours qu’elle avait été très bien accueillie dans sa paroisse à Stockholm. Puis, bien entendu, les gens se sont habitués à rencontrer des femmes prêtres à cause de l’évolution du débat, et beaucoup attendaient un changement. Cependant, cela reste différent dans d’autres régions de la Suède. »
Les structures patriarcales demeurent au sein de l’Église de Suède. Un exemple flagrant est celui de la tenue officielle de pasteur. Il s’agit en réalité d’une coupe pour homme, non adaptée à la morphologie de la femme. Pour y remédier, la styliste Maria Sjödin a créé la collection « Casual Priest » à destination première des femmes pasteures.
« Nous n’avons pas encore atteint l’égalité », reconnaît Sandra Signarsdotter qui prêche à l’église Gustave Vasa à Stockholm, l’une des plus grandes du pays. Elle admet également que le sexisme n’a pas disparu. « Même en étant prêtre, je suis d’abord perçue comme un corps » affirme-elle.
Ces inégalités se traduisent aussi dans les salaires. D’après le journal spécialisé Kyrkans Tidning, l’écart de salaire entre les pasteurs hommes et femmes est de 2 200 SEK (environ 215€) en moyenne par mois. Cela s’explique en partie par le fait que les hommes détiennent des postes hiérarchiques plus élevés. Certains craignaient même que l’élection d’Antje Jackelén ne tende les relations avec le Vatican. Les femmes sont donc fortement majoritaires principalement aux postes peu élevés, notamment parmi les diacres à hauteur de 89 %. Cette disparité soulève de nouvelles questions.
Le défi de la surreprésentation
Un rapport de 1990 estimait que la parité dans le clergé suédois ne serait atteinte qu’en 2090. Il aura fallu soixante-dix ans de moins. Cette expansion beaucoup plus rapide que prévue pose la question des évolutions futures au sein de l’Église de Suède.
Celle-ci doit faire face à une déchristianisation de la population, notamment des nouvelles générations. Seuls 2 % des 6 millions de membres de l’Église vont régulièrement à la messe. Démontrer que l’Église est en phase avec son temps est donc crucial pour assurer sa survie. « Il n’y a pas d’Église sans représentativité » assure Julia Svensson, étudiante en théologie.
Les femmes sont amenées à être surreprésentées dans l’Église. En 2013, environ 70 % des étudiants qui suivaient une formation pratique pour devenir pasteurs étaient des femmes. Cette féminisation de la formation universitaire requise pour devenir pasteure suit le phénomène général de féminisation des études supérieures. Toutefois, cette féminisation n’est pas une solution en soi aux inégalités entre hommes et femmes pasteurs dans l’Église de Suède. En outre, cette féminisation reste dans les codes genrés du rôle de la femme. « Le rôle du prêtre n’est pas le même qu’auparavant, » explique Sandra Signarsdotter. « Il revêt d’autres exigences sur […] la créativité, la capacité à gérer de nombreuses situations différentes » Des qualités qui correspondent au rôle traditionnel de la femme, sans forcément lui donner la capacité de s’élever à des postes de tradition masculine.
Bien que la féminisation de l’Église de Suède soit un progrès majeur, notamment pour une Église qui s’inscrit comme libérale, la parité n’est qu’une première étape afin de procéder à des changements structurels et de fond. L’égalité entre hommes et femmes pasteurs reste une problématique de premier plan et ce, sur le long terme. La place prépondérante que les femmes occuperont dans l’Église de Suède de demain appelle à en modifier les codes. Cette modification des codes, particulièrement ceux associés au genre, contribuera à une redéfinition de l’Église suédoise jugée essentielle face à la déchristianisation de ce pays.
Image : Antje Jackelén 2013-02-07, by Jan Norden, IKON / CC BY 3.0