Les faits
Yacine Mebarki est un militant du hirak, mouvement populaire algérien. Ce mouvement est né en février 2019. Il s’agissait, au début, d’une opposition à la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Les Algériens se sont massivement mobilisés pour réclamer un changement de régime, exiger la fondation d’un État civil et d’un régime démocratique qui consacrent la justice et l’égalité entre tous.
Yacine Mebarki est engagé depuis plusieurs années, dans les Aurès (nord-est de l’Algérie), pour la cause Amazigh, notamment pour la reconnaissance de la langue et de la culture berbères.
Le 30 septembre 2020, il a été arrêté dans un café de la ville de Khenchela, à l’est de l’Algérie. Des agents de police ont ensuite procédé à la perquisition de son domicile. Lors de celle-ci, ils ont trouvé un exemplaire du Coran dont une feuille détériorée. Ils ont également saisi deux balles vides et son téléphone portable.
Le 8 octobre 2020, le tribunal de Khenchela l’a condamné à une peine de dix ans de prison assortie d’une amende de 10 millions de Dinars algériens (DA), soit environ 60 000 euros . Notons que le tribunal l’a condamné à une peine plus lourde que le réquisitoire du parquet. Ce dernier avait requis huit ans de prison.
Les chefs d’accusation
La presse, aussi bien algérienne que française, a rapporté que Yacine Mebarki était poursuivi, entre autres, pour incitation à l’athéisme. Or, il est important de noter que le droit algérien ne prévoit pas une telle peine. Toutefois, il prévoit un délit d’incitation et de contrainte tendant à convertir un musulman à une autre religion.
Yacine Mebarki a été poursuivi pour cinq motifs :
- l’incitation à la discrimination et à la haine dans la société (article 34 de la loi n°20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine)
- la possession de munitions de guerre sans autorisation des autorités compétentes (article 31-3 de l’ordonnance 97-06 relative au matériel de guerre et aux munitions)
- la profanation du Livre sacré (article 160 du Code pénal)
- l’offense au dogme et aux préceptes de l’islam (article 144 bis 2 du Code pénal)
- l’incitation à se convertir à une autre religion et la distribution de documents qui visent à ébranler la foi d’un musulman (article 11 de la loi n°06-03 fixant les conditions et règles d’exercices des cultes autres que musulmans).
Nous nous intéressons ici aux trois derniers chefs d’accusation en raison de leur lien avec le fait religieux.
Les infractions liées au fait religieux
L’article 144 bis du Code pénal prévoit :
« Est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de cinquante mille à cent mille DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le Prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le Ministère public. »
L’article 11 de la loi de 2006 relative à l’exercice des cultes autres que musulmans prévoit :
« Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 500 000 DA à 1 000 000 DA quiconque : incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin des établissements d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou culturel, ou institutions de formation, ou tout autre établissement, ou tout moyen financier. »
L’alinéa 2 prévoit la même sanction pour quiconque :
« fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi d’un musulman ».
Le jugement de première instance
Le tribunal de Khenchela a condamné le prévenu en retenant quatre chefs d’accusation :
- la possession de munitions de guerre sans autorisation des autorités compétentes
- l’incitation à la discrimination et à la haine dans la société
- l’incitation à se convertir à une autre religion et la distribution de documents qui visent à ébranler la foi d’un musulman
- l’offense au dogme et aux préceptes de l’islam.
Tout d’abord, il faut noter que le tribunal a considéré que l’infraction de profanation du Coran n’était pas constituée. En effet, l’article 160 du Code pénal prévoit deux conditions : la publicité et la volonté du prévenu. Or, l’accusé a contesté les faits reprochés. Et en tout état de cause, même s’il avait commis l’acte de profanation, la condition de la publicité n’était pas remplie. C’est à son domicile, un espace privé, que les policiers ont trouvé le Coran.
Concernant les infractions d’incitation et de contrainte tendant à convertir un musulman à une autre religion, de distribution et la propagation d’enregistrements audiovisuels et d’atteinte à l’islam, le tribunal a considéré que les infractions étaient constituées. Selon le tribunal, l’accusé se retrouvait dans des cafés en présence de musulmans et se moquait de certains dogmes de l’islam. Il ajoute que celui-ci a partagé du contenu audiovisuel à partir de pages Facebook hostiles à l’islam. Il affirme également que Yacine Mebarki a partagé, dans des conversations sur le réseau social Messenger, du contenu insultant l’islam, avec des personnes musulmanes.
L’analyse
Plusieurs questions se posent concernant cette affaire. La première est de savoir si la condamnation de Yacine Mebarki repose sur ses convictions religieuses ou s’il s’agit d’une nouvelle manœuvre pour affaiblir le hirak. En effet, le Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD) ainsi que la presse locale le présentent comme un militant du hirak connu pour son engagement pour la cause Amazigh. L’invocation de délits d’atteinte à la religion, dans une société majoritairement musulmane et plutôt conservatrice, pourrait être une façon de donner une mauvaise image des hirakis. Ceci conduirait à créer une division au sein même du mouvement.
Selon le Vice-président de la ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, il s’agit de la plus lourde peine prononcée à l’encontre d’un hiraki. Les peines prévues pour les infractions liées à la question religieuse n’excèdent pas cinq ans. L’article 34 de la loi d’avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine, lui, prévoit :
« Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un emprisonnement de cinq (5) ans à dix (10) ans et d’une amende de 5.000.000 DA à 10.000.000 DA, quiconque crée, administre ou supervise un site ou un compte électroniques pour y publier des renseignements pour la promotion d’un programme, d’idées, d’informations, de dessins ou photos susceptibles de provoquer la discrimination et la haine dans la société.»
Ainsi, on peut raisonnablement penser que le tribunal a prononcé une peine aussi sévère sur le fondement de l’appel à la haine et à la discrimination dans la société. Le tribunal a, d’ailleurs, affirmé que les faits reprochés étaient dangereux pour la sécurité et l’unité nationales. Toutefois, le dispositif de la décision condamne Yacine Mebarki à dix ans de prison pour l’ensemble des quatre chefs d’accusation.
Une peine réduite en appel à un an de prison
Selon son avocat, la Cour d’appel a réduit la peine de Yacine Mebarki à un an de prison et à une amende de 50 000 DA soit environ 300 euros.
La Cour a confirmé la relaxe concernant le délit de profanation du Coran. Elle a retenu trois chefs d’accusation et écarté les infractions fondées sur l’article 11 de la loi de 2006. Il était, sans doute, périlleux de justifier l’intention de l’accusé de convertir ses contacts Facebook. Retenir une telle infraction aurait nécessité de prouver que les destinataires des messages étaient musulmans.
Toutefois, les juges du fond ont également condamné Yacine Mebarki sur le fondement de l’article 144 bis 2 du Code pénal. Ils ont donc considéré que le hiraki avait offensé ou dénigré les dogmes et les préceptes de l’islam. Il serait intéressant d’étudier l’arrêt afin de savoir quels faits ont été retenus comme constituant l’infraction. Est-ce en raison de publications Facebook, de messages privés ou encore de discussions dans des lieux publics ?