En 2019, plusieurs nouveaux partis sont entrés au Parlement portugais, notamment le Chega! et le Livre. Chacun de ces partis est parvenu à faire élire un député. Bien que solitaires, ces deux députés cristallisent les tensions par leurs discours clivants. Ils occupent largement l’espace médiatique. À travers leurs voix, la question raciale et identitaire semble être de plus en plus prégnante.
La dernière question sulfureuse était celle de la loi sur l’accès à la nationalité promulguée le 3 novembre 2020. Le député du Chega! l’a qualifiée de « criminelle » tandis que son homologue juge qu’elle ne va pas encore assez loin.
Joacine Katar Moreira, le militantisme identitaire
Joacine Katar Moreira est une députée binationale originaire de Guinée-Bissau. Elle a été élue dans la circonscription de Lisbonne sous la bannière du parti de gauche libertaire : Livre. Son attitude a soulevé des protestations dès la première séance du Parlement après les élections. Elle a rapidement été exclue du Livre pour divers manquements envers le parti. Depuis, elle est donc députée sans étiquette et le Livre n’est plus représenté.
Militante de gauche identitaire, Joacine Katar Moreira dit s’inspirer de la lutte des femmes noires brésiliennes. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussée à créer l’« Institut de la femme noire au Portugal » (INMUNE) en 2018. Elle a à plusieurs reprises tenu des propos considérés comme racistes par ses critiques. En particulier, lorsqu’elle a écrit que les féministes blanches occidentales étaient fondamentalement racistes et ne représentaient qu’elles-mêmes (sous-entendu pas les femmes noires) ; ou lorsqu’elle a déclaré dans une manifestation antiraciste en juin 2020 : « Ce n’est pas nous, les noirs et les noires, qui devrions manifester, mais les blancs et les blanches, car ce sont eux les racistes. »
D’après la députée, toute l’histoire du Portugal est fondée sur le racisme. Les inégalités actuelles dans le pays seraient également la preuve de son racisme intrinsèque. À son tour, elle essuie depuis son élection de nombreux commentaires racistes et insultants.
La militante est par ailleurs une tenante de « l’intersectionnalité » des luttes et de l’essentialisation des identités minoritaires. Cela permettrait selon elle de contrer « l’invisibilisation » de différentes minorités. De nombreux observateurs politiques notent qu’elle accuse toute personne qui n’est pas d’accord avec elle de racisme ou d’homophobie (y compris au sein même du Livre, avant son éviction). Plus encore que ses idées, son attitude divise.
Enfin, elle a pris position pour la « restitution » d’œuvres d’art à certains États africains ou pour l’élargissement des conditions d’accès à la nationalité portugaise. D’après ses détracteurs, cela prouve qu’elle n’aime pas le Portugal et défend les intérêts d’autres pays.
André Ventura, l’honneur du Portugal pour crédo
À l’autre extrémité de l’échiquier politique, le député André Ventura tient des propos tout aussi polémiques. Il est par ailleurs Président du parti Chega! qui se revendique de la droite identitaire.
Face à la demande de restitution des œuvres d’art, par exemple, André Ventura a répondu : « Nous pourrions restituer Joacine Katar Moreira à la Guinée-Bissau ». Ses propos ont immédiatement fait l’objet d’une procédure administrative au Parlement. Il s’insurgeait également contre la nouvelle loi élargissant les conditions d’accès à la nationalité portugaise, promulguée au début du mois de novembre.
Face au mouvement « Black Lives Matter », à l’été 2020, le député a organisé une contre-manifestation intitulée « Le Portugal n’est pas raciste ». Le rassemblement entendait défendre l’honneur du pays et soutenir les forces de police (plusieurs fois accusées de racisme ces dernières années). Pour ses opposants, un tel slogan est raciste en lui-même. André Ventura a déclaré vouloir « organiser de tels rassemblements chaque fois qu’une manifestation prétendra lutter contre le racisme au Portugal ».
Le député populiste se positionne sur tous les fronts. Ses principaux leviers se concentrent cependant sur quelques sujets : la « fierté d’être Portugais », la corruption, l’immigration, les Ciganos, le soutien à la police, « l’idéologie de genre » et LGBTI, ou encore le « marxisme culturel ».
D’après les commentateurs politiques, André Ventura donne une voix aux nationalistes radicaux et aux nostalgiques de l’Estado Novo (régime corporatiste autoritaire de la Deuxième République portugaise – 1933-1974). Elles ont toujours existé, mais n’avaient que peu de place dans les médias. Avec ses discours d’extrême droite, André Ventura est considéré par certains comme responsable de la hausse fulgurante du nombre et de la gravité des actes racistes observés en 2020.
La décence et le respect malmenés
Au Portugal, la politique est calme depuis la fin de l’année 1975 (quand l’« été chaud » avait fait craindre une guerre civile). Les débats n’y sont pas absents, mais jusqu’à présent ils se déroulaient dans le respect et la décence. Des partis aux principes divergents sont mêmes parvenus à gouverner en coalition pendant un mandat complet (2015-2019).
Pour autant, les conséquences de la crise financière de 2008 ont fragilisé le pays. Le taux de pauvreté y est très élevé, tout comme le taux de précarité de l’emploi. Le malaise est réel. La question du racisme semble devenir un terrain d’affrontement « par procuration ». Avec leurs comportements contestables et leur place dans les médias, ces deux députés mettent de l’huile sur le feu et sèment la discorde.
Image : Le Parlement du Portugal, 2005 (Osvaldo Gago) CC-BY-3.0