Les membres du BJP semblent se féliciter de l’élection de Joe Biden, à commencer par le Premier Ministre Narendra Modi lui-même. Il est ainsi régulièrement fait mention de l’opportunité de porter les relations indo-américaines au « niveau supérieur » par des membres de son parti.
En effet, il semble que l’administration de Joe Biden puisse être l’une des plus favorable et familière avec l’Inde, comme en témoigne la rencontre qui a déjà eu lieu entre le futur Président américain et le Premier Ministre indien.
L’Inde comme partenaire essentiel des États-Unis face à la Chine
La montée en puissance et l’affirmation de plus en plus ferme de la Chine dans sa région et dans le monde ont favorisé depuis plusieurs années un rapprochement stratégique entre Washington et New Delhi. Ce rapprochement s’est opéré dans le contexte de l’affirmation du concept d’Indo-Pacifisme, une vision qui permet d’étendre l’Asie-Pacifique de l’Amérique jusqu’à la côte est africaine afin, notamment, d’y inclure l’Inde.
D’une part, l’intérêt dont témoigne Joe Biden à l’égard de l’Inde est ancien. Tout au long de sa carrière, que ce soit comme Sénateur ou Vice-Président dans l’administration Obama, il s’est prononcé et a agi activement en faveur de l’Inde. Ainsi, en août 2001 il écrivait à George Bush pour retirer les sanctions économiques à l’encontre de l’Inde après ses essais nucléaires de mai 1998. De même, en 2006, il affirmait : « mon rêve est que d’ici 2020, les deux nations les plus proches dans le monde soient l’Inde et les Etats-Unis ». Il a également piloté un projet de coopération nucléaire civile avec l’Inde au Congrès qui a finalement été signé en octobre 2008.
D’autre part, bien qu’elle s’affirme avant tout comme une femme noire, Kamala Harris revendique ses origines indiennes par sa mère et mentionne régulièrement son grand-père. L’Inde est un pays où elle s’est rendue de nombreuses fois dans sa jeunesse. Les dirigeants indiens et la presse indienne n’ont pas manqué de le relever et de se féliciter des origines de la prochaine Vice-Présidente américaine.
La défense de la communauté musulmane face aux intérêts géopolitiques
Donald Trump était resté silencieux sur la question du Jammu-et-Cachemire, Région de l’Inde à majorité musulmane dont le statut autonome a été révoqué le 5 août 2019 provoquant des heurts qui perdurent aujourd’hui. Il n’a également pas abordé la question de la loi sur la citoyenneté indienne (Citizen Amendement Act) lors de sa visite à New Delhi fin février 2020, durant les affrontements entre hindous nationalistes et musulmans. En effet, cette loi de décembre 2019 favorise l’octroi de la citoyenneté indienne aux minorités religieuses non-musulmanes. Le Président américain avait même durant cette période félicité Narendra Modi pour sa tolérance religieuse.
À l’inverse, Joe Biden et Kamala Harris, qui prendront la tête de l’exécutif américain le 21 janvier 2021, ont déjà exprimé leur position concernant la situation religieuse et politique en Inde. Pendant la campagne, pour remporter des voix au sein de la communauté musulmane, le programme présidentiel de Joe Biden énonçait son intention de défendre les minorités musulmanes à travers le monde. À ce titre, en plus des Ouïghours en Chine et des Rohingyas en Birmanie, la situation au Jammu-et-Cachemire et l’adoption de la loi sur la citoyenneté indienne ont été évoquées. Kamala Harris a quant à elle agi activement après les révélations portant sur les violations des droits de l’homme au Jammu-et-Cachemire en introduisant une résolution au Congrès demandant à ce que New Delhi mette fin aux restrictions sur les communications. En octobre 2019, Kamala Harris avait même fait entendre la possibilité d’intervenir au Cachemire si la situation le requérait.
S’il ne fait aucun doute que la nouvelle administration sera plus concernée que celle de Donald Trump par la politique antimusulmane qui prévaut en Inde, il faut toutefois noter qu’en relations internationales la question des violations de droits de l’homme peut souvent être subordonnée à des intérêts économiques et stratégiques. Or, si Joe Biden et Kamala Harris se sont publiquement prononcés sur les deux sujets hautement médiatisés que sont la situation au Jammu-et-Cachemire et la loi sur la citoyenne indienne, il n’en est pas de même à propos de la situation plus générale des musulmans dans le pays.
Dès lors, la question demeure de savoir quel équilibre trouvera la nouvelle administration américaine entre sa volonté de maintenir un partenariat stratégique étroit avec l’Inde et la sensibilité de l’opinion publique en matière de droits de l’homme.
Image : David Lienemann, White House, 2013