Entre les mois d’octobre et de novembre, près de 160 sarcophages pharaoniques ont été découverts dans la nécropole de Saqqara, à proximité des pyramides de Guizeh. Début 2021, est par ailleurs prévue l’inauguration du Grand Egyptian Museum, qui abritera près de 100 000 œuvres. Dans le même temps, un documentaire retraçant le séjour de la Sainte Famille en Égypte est publié par l’Église copte et mis en avant par le Gouvernement.
L’intensification d’une activité archéologique qui est transversale en Égypte, s’observe sur fond de tensions socio-économiques, aggravées par la pandémie liée à la Covid-19. Le Ministère du Tourisme et des Antiquités semble vouloir compenser les pertes subies par le secteur du tourisme balnéaire en investissant davantage dans le tourisme culturel. Depuis le printemps arabe en 2011, l’économie du tourisme qui représente une part importante des revenus de l’État égyptien, est négativement impactée par l’instabilité politique chronique, les actes terroristes dans le Sinaï et les restrictions liées à la pandémie actuelle.
Conjoncture favorable à la mise en valeur du patrimoine
La politique d’identification, de conservation et de promotion du patrimoine en Égypte est négociée entre une diversité d’acteurs publics et privés et touche à une variété d’objets et de sites. Outre l’intérêt porté aux legs de l’époque pharaonique, des campagnes de sensibilisation participent à élargir la matrice des biens publics ou privés susceptibles d’être classés au patrimoine national. Ainsi, les monuments gréco-romains, les anciennes églises ou mosquées, les palais font l’objet de restaurations et de fouilles archéologiques et peuvent intégrer plus largement des projets de développement urbain.
Alors qu’entre les années 1990 et 2000, se développe un tourisme balnéaire de masse sur les côtes de la Mer Rouge et de la Méditerranée et que se contracte l’économie des voyages culturels, le Gouvernement décide de réinvestir le capital historique et archéologique du pays. La construction de nouvelles villes balnéaires dans des territoires quasi-désertiques comme la côte Nord et le Sinaï s’était accompagnée par des booms immobiliers et ce secteur, attirant près de 10 millions de touristes par an dans les années 2010, constituait alors l’une des principales rentes économiques de l’État.
Le Haut Conseil des Antiquités semble intensifier et diversifier les activités de fouille et de recherche, en partenariat avec des organismes internationaux. L’élargissement des perspectives de patrimonialisation s’observe également du fait de l’engouement médiatique, souvent appuyé par une intelligentsia cosmopolite, pour la conservation des anciens édifices des XIXème et XXème siècles, dont l’architecture et l’esthétique sont admirées. Cette culture antiquaire nostalgique n’est toutefois pas un fait nouveau en Égypte. L’intérêt est de constater comment la réinvention des espaces et de leur histoire sert une pluralité de logiques : économiques, touristiques, scientifiques, politiques, religieuses ou pèlerines.
Construction nationale d’un itinéraire pèlerin
En intégrant la valorisation des sites historiques chrétiens aux discours de la production et de la mise en valeur du patrimoine national, l’Église copte assure à son institution, qui se veut millénaire, une double visibilité religieuse et culturelle. La reconstitution géo-historique du passage de figures saintes dans de nombreuses régions égyptiennes représente une stratégie de redéploiement du secteur touristique. La Sainte Famille a traversé plusieurs régions, du nord au sud, en laissant souvent des traces dans les villes où elle séjournait. L’Église de la Sainte Vierge, à Sakha, conserve par exemple une pierre où, selon la tradition, est restée gravée l’empreinte du pied de l’enfant Jésus. De même, à Gabal Al-Teir, est gardé un rocher sur lequel est imprimée la paume de sa main. Arbres, sources d’eau, grottes ayant été bénis par l’enfant Jésus et sa mère sont multiples et parsèment le trajet reconstitué de la Sainte Famille en Égypte.
L’attractivité croissante de ces espaces chrétiens représente une opportunité pour demander la restauration des sites et des églises historiques, dans un pays où la législation impose des procédures complexes à l’octroi de permis de construire ou de restauration des églises. Ainsi, en 2020, le Haut Conseil des Antiquités a annoncé l’avancée des travaux de restauration de l’église de la Sainte Vierge qui appartient au monastère de Gabal Al-Teir. Cette église, sculptée dans la roche au IVème siècle par l’Impératrice Hélène, contient une grotte où ont séjourné Jésus et ses parents. Dans le gouvernorat de Qena, plusieurs monastères jusque-là peu visités et dont les bâtis remontent au VIIème ou VIIIème siècle ont été rénovés. Ces restaurations permettent par ailleurs de découvrir des reliques de saints patrons et peuvent raviver les cultes locaux qui leur sont dédiés.
Les autorités égyptiennes avaient par ailleurs demandé que le chemin parcouru par la Sainte Famille en Égypte soit reconnu par l’UNESCO et intégré à la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Dans cette visée et en concertation avec l’Église copte, le Ministère des Antiquités a reconstitué et fixé un itinéraire allant d’Al-Arish, au Sinaï jusqu’au monastère de la Sainte Vierge à Assiout (Haute-Egypte), en passant par le delta et le désert de Wadi Natrun, soit au total 25 lieux sélectionnés.
L’intérêt croissant porté à l’histoire du christianisme copte est par ailleurs à réinscrire dans le mouvement de réforme institutionnelle de cette communauté, initié au siècle dernier. Les deux précédents patriarches, Cyril VI et Chenouda III ont en effet œuvré à la démocratisation de l’enseignement ecclésiastique, à la consolidation du poids politique de l’Église et à la restauration de la vie monastique. La construction des récits hagiographiques insiste souvent sur les origines chrétiennes de la société égyptienne et sur le rôle des coptes au sein de l’État, même islamisé. L’architecture hybride du musée copte, construit dans les années 1920, et qui allie différents styles ornementaux, témoigne de la volonté politique contemporaine de construire un patrimoine commun multiconfessionnel.
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