Des manifestants tchokwés tués par la police lors d’une manifestation
Une manifestation d’Angolais tchokwés s’est terminée par plusieurs morts à Cafunfo. Cette commune est située à proximité de la municipalité de Cuango, dans la province de Lunda Norte, au nord-est de l’Angola. Deux policiers seraient également morts.
La police reconnaît avoir tué des manifestants
Samedi 30 janvier 2021, plusieurs Angolais d’ethnie tchokwée ont été tués lors d’une manifestation à Cafunfo. Ils appartenaient au Mouvement du Protectorat Portugais de la Lunda Tchokwé (MPPLT, ou Lunda Tchokwé). Selon La Libre Afrique, la police a tiré sur les manifestants et a reconnu être à l’origine de six morts. Des vidéos ont rapidement circulé et semblaient montrer une dizaine de corps. Sur certaines vidéos, des policiers traînaient des corps sur le sol et les empilaient sur plusieurs autres. Human Rights Watch en a rediffusé certaines et essaye de vérifier leur origine. Les manifestants parlent eux de 12 à 15 morts et plusieurs blessés. Quant à l’UNITA et à Casa-CE, les deux principaux partis d’opposition, ils dénoncent « le meurtre de 21 citoyens » (Unita) et la « sauvagerie » (Casa-CE) des forces de police. Les deux partis se sont rendus sur place et demandent une enquête.
Le pouvoir fait bloc avec la police
La police affirme avoir tiré en état de légitime défense, face à environ 300 manifestants armés ayant attaqué le poste de police à l’aube. Le mardi suivant, le parti au pouvoir (MPLA) a confirmé la version de la police par la voix du ministre de l’Intérieur, Eugénio Laborinho. Le ministre a affirmé que le chef du MPPLT était un « rebelle » et un « fugitif ». D’après lui, les manifestants étaient aidés de citoyens de la RDC (pays voisin où l’ethnie tchokwée est également présente). Aucun dialogue avec le MPPLT n’est envisageable. Les dirigeants du mouvement n’ont d’ailleurs aucune légitimité pour représenter qui que ce soit aux yeux du MPLA, car « l’Angola est une nation une et indivisible ».
D’après le Jornal de Angola, proche du MPLA, les manifestants s’en seraient pris aux symboles de l’État, notamment le drapeau. Le commandant en chef de la police nationale, Paulo de Almeida, a quant à lui déclaré que les manifestants étaient des « sorciers ». Il a ajouté que cette manifestation devait servir d’exemple. Toute tentative d’insurrection ou d’action violente doit s’attendre à la même répression par la police.
Cité par l’agence de presse angolaise, le ministre de la Justice est même allé plus loin au cours d’une réunion avec des associations de civils. Jeudi 4 février, Francisco Queiroz affirmait ainsi que l’attaque de Cafunfo par les manifestants constituait une « violation des droits de l’homme ». Il a indiqué que le Bureau du procureur général de la République avait ouvert une enquête.
Les manifestants contestent la version de la police
Le MPPLT, au contraire, affirme que la manifestation était pacifique. Les manifestants demandaient de « résoudre les problèmes de la communauté ».
Sur son site, le 4 février, le mouvement déclarait « prendre note » du refus du MPLA de dialoguer avec le MPPLT et même de reconnaître l’existence de revendications dans les provinces Lunda. Le mouvement a par ailleurs contesté les accusations du ministre de l’Intérieur. Aucun citoyen de RDC n’était présent à la manifestation pacifique. Le MPPLT n’aurait d’ailleurs aucun lien avec la RDC ni avec aucun autre groupe rebelle africain. Le mouvement appuie ses revendications exclusivement sur un état de fait historique. Son leader n’est pas en fuite et les autorités angolaises, qui n’ont jamais cherché à le contacter, peuvent le faire en demandant à son avocat. Par ailleurs, le mouvement ne disposerait d’aucune arme ni milice armée.
Les évêques y voient une violation de plus des droits des citoyens
Le 1er février, les évêques catholiques des diocèses de Saurimo (José Imbamba), Luena (Jesus de Tirso Blanco) et Dundo (Estanislau Chindecasse) ont dénoncé un « grave massacre ». Les évêques ont transmis un communiqué au site 7 Margens* dans lequel ils se disaient « [consternés par] les évènements [qui] sont le miroir d’une réalité plus profonde applicable à tout l’est du pays ». D’après les évêques, « le peuple sait qu’il vit sur une terre riche, mais n’en tire aucun bienfait ». Le chômage en hausse « notamment chez les jeunes, l’absence d’investissements publics et des conditions sanitaires déplorables » ne peuvent qu’accroître « la frustration ». De même que le manque d’eau potable, d’électricité, d’hôpitaux et de routes. Ils « condamnent fermement la violence, de toute part » comme moyen de résoudre les problèmes et appellent au dialogue.
Par ailleurs, les versions des faits discordantes (contexte de la manifestation, nombre de morts) les inquiètent. Ils demandent une enquête impartiale pour établir les faits et les responsabilités. Les évêques rappellent enfin que la guerre civile est terminée depuis 2002 (après 26 années de conflit) et que « plus aucun Angolais ne devrait perdre la vie [pour ses idées] ».
L’évêque Belmiro Chissengueti de l’enclave de Cabinda rappelle les problèmes de fond du pays :
« Ce pays est assez grand pour que tous y trouvent leur place. [Ce pays] est riche, il faut arrêter de voler les richesses, les redistribuer, diversifier l’économie et créer des emplois. Le paradoxe selon lequel les zones où le plus de richesses sont exploitées sont peuplées de pauvres ne peut plus durer. »
L’est du pays fait l’objet de revendications d’autonomie de longue date
Les trois diocèses de Saurimo, Luena et Dundo couvrent la majeure partie de l’est du pays. Or, cette région fait l’objet de revendications d’autonomie de la part des Tchokwés déjà depuis l’époque coloniale portugaise. En effet, cette ethnie y est majoritaire. À l’échelle du pays, cependant, l’Union Africaine indiquait en 2016 que les Tchokwés représentaient 5,4 % de la population totale.
Dans un premier temps, l’agence Lusa, citée par le journal portugais Público, indiquait qu’il s’agissait d’une manifestation de séparatistes du MPPLT. Citant l’AFP, La Libre Afrique rapportait la même information. Le MPPLT milite pour l’autonomie de l’est du pays.
Il existe aussi un autre mouvement contestataire, le Mouvement juridique sociologique du peuple lundais. Ce dernier agit principalement sur le plan juridique. En 2016, l’organisation dénonçait l’arrestation pour « séparatisme » de dix de ses militants. Son dirigeant, Jota Filipe Malakito, milite régulièrement auprès des autorités portugaises ou internationales. En 2017, par exemple, il s’était rendu au Palais de la Paix de La Haye pour faire connaître les revendications des Tchokwés. Dans un livre paru en 2019, il promeut également l’histoire des Tchokwés et entend faire connaître les massacres perpétrés par le MPLA à leur encontre. De plus, il a envoyé en 2020 le drapeau de la nation tchokwée aux autorités portugaises, au Conseil de sécurité des Nations Unies ou à l’Union Africaine.
Une région riche face à un pouvoir corrompu
Dans la province de Lunda Norte, les autorités traditionnelles ont toujours entretenu des relations tendues avec la capitale, Luanda, située à plus de 700 km de la région. Le pays est dirigé par le MPLA depuis l’indépendance (en 1975) et ne s’est jamais développé. L’élite a confisqué les richesses liées notamment aux hydrocarbures et aux diamants. La fille de l’ancien président, Isabel dos Santos, est le symbole de cette corruption généralisée. Elle est aujourd’hui la femme la plus riche d’Afrique. Par ailleurs, dans un rapport de 2016, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relevait de nombreux « sujets de préoccupation ». Entre autres, concernant le pluralisme, les droits politiques ou encore la liberté d’information et d’investigation par les journalistes.
La province de Lunda Norte est riche, notamment de diamants. Pour autant, le MPPLT affirme que les revendications d’autonomie des Tchokwés n’ont rien à voir avec les diamants. Le mouvement s’appuie sur un accord de protectorat passé en 1885 et 1894 entre les Tchokwés et le Portugal. L’accord prévoyait la reconnaissance d’un statut internationalement reconnu à la région de Lunda (aujourd’hui provinces de Lunda Norte et Lunda Sul).
Conclusion
Le gouvernement angolais ne semble pas prêt à reconnaître l’existence d’un problème dans la région. Comme le rapportait La Croix le 10 février, peu importe que la contestation pointe une résurgence d’actions de l’UNITA ou un problème local. Au contraire, le MPLA fait bloc. Ainsi, la police a violemment réprimé une manifestation à Luanda le 4 février. Les manifestants dénonçaient les violences policières à Cafunfo. De plus, le 9 février, le premier secrétaire du MPLA pour la province de Lunda Norte a déclaré que l’unité nationale devait être une priorité pour le pays en 2021.
Le 12 février, le site 7 Margens rapportait que la police encerclait la maison paroissiale de Cafunfo. À l’intérieur, depuis le 10 février, quatre défenseurs des droits des citoyens : une dominicaine, deux avocats et un chauffeur. Ils sont membres de l’association Mosaiko (organisation catholique de promotion des droits de l’homme) et du Réseau de Défense des Droits de l’Homme (RDDH). Tous étaient arrivés à Cafunfo le 9 février, pour discuter avec la Commission Justice et Paix locale (organe de l’Église catholique), à la suite des évènements du 30 janvier. Le curé de la paroisse de Cafunfo rapportait que, dès leur arrivée, des policiers sont venus plusieurs fois à la maison paroissiale pour les intimider. Sr Joana Janja, dominicaine enfermée, a fait savoir qu’ils essayaient de contacter le ministère de la Justice pour que la police se retire.
* Le site portugais 7 Margens diffuse des informations provenant de sources religieuses ou concernant différentes religions. Son but est de promouvoir la connaissance du fait religieux et les échanges.
Image : Territoire occupé par les Tchokwés en Angola (auteur : USG) – CC-BY-SA 3.0