Les chefs Raoni Metuktire et Almir Surui accusent Jair Bolsonaro de crimes contre l’humanité
On savait que Jair Bolsonaro ne faisait pas grand cas de l’Amazonie ni des peuples indígenas qui l’habitent. Depuis son élection, il a laissé faire la déforestation et les violences à l’encontre des habitants (dont plusieurs peuples indígenas). À présent, il est accusé de crimes contre l’humanité devant la Cour Pénale Internationale (CPI).
Dépôt d’une plainte auprès de la Cour pénale internationale
En 2019, le cacique du peuple autochtone Kayapo, Raoni Metuktire, et le chef du peuple Paiter-Surui ont mandaté deux avocats (Mes William Bourdon et Charly Salkanov) pour enquêter sur les crimes commis en Amazonie. L’objectif était de rassembler des preuves juridiquement recevables pour intenter un procès à Jair Bolsonaro auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Le 20 janvier, les deux avocats ont déposé une requête auprès de la CPI. Le président brésilien est accusé d’être responsable de meurtres, d’extermination et de mise en esclavage des peuples indígenas en Amazonie.
Un dialogue impossible avec l’État fédéral
Pendant sa campagne électorale, Jair Bolsonaro, avait fait savoir qu’il entendait mettre fin au non-droit en Amazonie. Ce qui, au vu des décisions prises, semble signifier mettre au pas les peuples indígenas.
Rapidement après son élection, le nouveau président a engagé une lutte contre la FUNAI et l’IBAMA. La FUNAI est la Fondation Nationale de l’Indien, qui protège les indígenas. Il l’a placée sous la responsabilité du ministère et de la ministre de l’Agriculture, connus pour leurs positions en faveur de l’agro-industrie. L’IBAMA est l’Agence fédérale de protection de l’environnement, responsable entre autres de la protection de l’Amazonie. Jair Bolsonaro a réduit drastiquement ses financements, notamment ceux destinés à la lutte contre l’exploitation illégale de l’Amazonie. Depuis deux ans, la déforestation a ainsi bondi de 50 %, même en pleine pandémie de covid-19.
Valérie Cabanes, juriste en droit international spécialisée dans le droit humanitaire et écologiste, explique que Jair Bolsonaro vise aussi la Constitution de 1988. Plus particulièrement, les garanties prévues, entre autres, au chapitre VIII (art. 231, 232). Ces articles imposent de protéger les territoires traditionnels indiens, d’octroyer la propriété de ces terres aux peuples indígenas et de poser des limites à l’exploitation industrielle de ces terres.
Le CIMI (Conseil Indigéniste Missionnaire) a lui aussi rassemblé des preuves qui figurent dans son rapport 2020 sur les violences contre les peuples autochtones. Dans son rapport 2019, déjà, le CIMI s’inquiétait des déclarations du nouveau président : « Les déclarations de certaines autorités, comme celles du président de la République actuel, qui s’opposent à la démarcation des terres indígenas favorisent l’invasion de ces terres occupées depuis toujours [par les peuples indígenas]. Ce qui s’est produit ces dernières décennies dans le sud du Brésil est en train de se reproduire de façon accélérée et plus intensive en Amazonie ».
Une plainte difficile à recevoir, sauf à élargir la définition de crime contre l’humanité
Face à la détermination du chef de l’État fédéral, les avocats ont donc rassemblé 21 pièces dans un dossier de 65 pages. Le but était de démontrer que les décisions et le discours de Jair Bolsonaro ont des conséquences directes en Amazonie. Il s’agissait de prouver que certains acteurs coupables d’exactions et de meurtres se sentent légitimés par le président.
La « communication » (dépôt de plainte) auprès de la CPI n’a pourtant pas beaucoup de chances d’aboutir. En effet, à l’heure actuelle la CPI ne reconnaît ni l’ethnocide*, ni l’écocide**. Cette plainte est donc avant tout symbolique. Elle vise à alerter sur la situation en Amazonie depuis l’élection de Jair Bolsonaro.
Il existe pourtant un moyen juridique de prendre en compte la plainte : interpréter de façon large les crimes contre l’humanité. L’avocate gambienne Fatou Bensouda, procureur général de la CPI depuis 2012 et jusqu’à juin 2021, y est favorable. Selon cette lecture, la destruction de l’environnement et les déplacements de populations qu’elle provoque pourraient participer d’un crime contre l’humanité.
Un président attaqué sur plusieurs fronts
Quelle que soit l’issue de la plainte, Jair Bolsonaro devra faire face à une fronde interne. La question des indígenas n’est pas le seul reproche que lui font les Brésiliens.
Actuellement, la covid-19 est le grief principal. Vis-à-vis des indígenas, dont le système immunitaire est plus fragile, aucune mesure de protection n’a été prise. Plus généralement, c’est la gestion inexistante de l’épidémie de covid-19 qui est dans toutes les têtes. Manaus, grande ville en pleine Amazonie, en est le triste symbole. Sa population a servi malgré elle de cobaye à une étude grandeur nature involontaire sur l’immunité collective. Face à un variant local, qui provoque un regain épidémique, un véritable marché noir de bouteilles d’oxygène a même vu le jour.
* ethnocide : destruction d’un peuple autochtone ; ** écocide : destruction de l’environnement.
Image : Manifestation pour l’Amazonie, S. Francisco, 2019 (auteur : Peg Hunter) CC BY-NC 2.0