Persécution inquiétante des chrétiens au Yémen : histoire et enjeux
« Terre de mission pour les monothéismes venus du Levant qui renforcent son caractère sémitique […] c’est de là que l’Évangile essaime ». Ainsi est décrit le Yémen antique dans Le Silence de mort [1] de Jeannette Bougrab. Des décennies de conflits internes ont néanmoins dégradé cette richesse civilisationnelle.
Dans son rapport 2021, l’ONG Portes Ouvertes revient sur les nations où sont le plus durement réprimés les chrétiens. Le Yémen figure à la septième place. Une persécution qui est donc « extrême », passible de s’accentuer à l’avenir. Il convient ainsi de revenir sur l’histoire et la situation actuelle de la population chrétienne au Yémen.
Le Yémen : un berceau originel, mais éphémère du christianisme
Le Yémen préislamique fut assujetti à des luttes entre chrétiens et juifs, successivement implantés dans la péninsule arabique. L’Empire himyarite juif est parvenu à la conquérir, au IIe siècle. Ses souverains ont combattu le christianisme qui se diffuse dès le IVe siècle. Une persécution qui culmine avec le pogrom de Najrân vers 523. Le dirigeant d’Himyar, Yousef Asa’ar, a ainsi ordonné le massacre de plus de 20 000 chrétiens qui refusaient de se convertir. Le royaume d’Aksoum envahit Himyar en 525. Cette royauté chrétienne est tombée à son tour avec l’arrivée de l’islam, qui a expulsé les tribus chrétiennes.
Une présence moderne fortement instable
Les préceptes islamiques gouvernent donc progressivement la région. Aksoum décline à partir du Xe siècle, ses soldats sont réduits en esclavage, aïeux d’une autre communauté persécutée au Yémen, les « Akhdam ». Ainsi, la place des chrétiens a connu un déclin au fil de l’expansion de l’islam.
La première résurgence contemporaine du christianisme est observée dès le XIXe siècle, dans le Sud-Yémen. Il s’agit du protectorat britannique d’Aden, établi par Londres en 1886. Des missionnaires catholiques et anglicans investissent ainsi le Yémen méridional. Néanmoins, ils doivent s’exiler à l’indépendance du Yémen du Sud, socialiste et laïc.
Si ce christianisme qui émerge à nouveau perd sa faible visibilité, plusieurs dynamiques souterraines permettent désormais d’assurer sa subsistance. Ainsi, la mandature anglaise a permis d’édifier une poignée d’églises au Yémen. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens fait l’objet de chiffrages toujours incertains.
La difficile estimation d’un christianisme yéménite contemporain
L’arrivée à compter des années 1970, de réfugiés éthiopiens, somaliens et érythréens, permet de revivifier les offices chrétiens au Yémen. Eux-mêmes échappent à une persécution, ils tentent pour la plupart de rejoindre l’Arabie Saoudite. Ce solde se renforce avec la conversion de Yéménites dans les années 1990. Elle reste rare, puisque la réunification en 1990 voit la fondation et une influence croissante du parti al-Islah, considéré comme la branche yéménite des Frères musulmans. Le collectif « Christian Persecution » rappelle que les Yéménites sont considérés comme musulmans par l’État. Ainsi, tout Yéménite converti est passible d’exécution.
Cet afflux de réfugiés permet donc des estimations hautes. Des statistiques donnent le nombre de 2 500 autochtones chrétiens. L’adjonction des réfugiés entraîne des proportions invérifiables allant jusqu’à 40 000 individus. Cette incertitude est à imputer à une répression très forte. Cette communauté clairsemée subit l’hostilité de tous les acteurs en guerre au Yémen.
Un droit fondamental impropre aux minorités
Aux côtés des juifs, des Akhdam et des baha’is, les chrétiens sont donc des victimes silencieuses. Leur croissance à terme est peu crédible. Le cas du Yémen permet de nuancer les projections sur l’irréligion des jeunes dans les pays arabes. D’après une enquête de l’Arab Barometer, seule une faible part de la population yéménite se considérait comme non-religieuse en 2018-2019 (4,8 %). Cela montre donc la résilience du conservatisme yéménite.
Les conversions sont donc sporadiques et la pratique demeure secrète, au vu de la peine capitale encourue. La Constitution autorise la liberté de culte, mais requiert une autorisation gouvernementale pour toute construction d’édifices religieux. L’actuel conflit démontre cet état de discrimination, car l’aide humanitaire est d’abord distribuée aux musulmans. Cette aide est souvent détournée par les Houthis, ce qui aggrave donc l’impact de la crise chez les chrétiens. Les Houthis répriment les minorités non islamiques, qu’ils perçoivent comme une forme d’occidentalisation. Le groupe a gardé un prêtre en détention pendant quatre ans. Il y a eu également des actes de torture contre des chrétiens rejetant la conversion. Une majorité des chrétiens « indigènes » serait ainsi partie depuis la prise de la capitale en 2014, antérieure au blocus saoudien sur le pays.
L’intervention arabo-sunnite, une oppression antichrétienne diverse et aggravée
Au plus fort, le Yémen comptait donc dix églises. Ce sont principalement les expatriés est-africains qui célèbrent les offices avant-guerre. La discrimination nationale envers leur couleur de peau, relègue leur appartenance au christianisme au second plan. Beaucoup prennent aussi par précaution des noms musulmans. Toute estimation est donc très difficile. La majorité des organisations chrétiennes qui opéraient avant-guerre ont dû quitter le pays. En l’occurrence, l’État Islamique a attaqué à Aden en 2016 la congrégation catholique des missionnaires de la charité, faisant 16 morts. Son prêtre fut gardé en otage jusqu’en 2017. La menace atteint aussi la communauté d’Aden. Comme à Sanaa, sa cathédrale est abandonnée, et deux de leurs quatre églises respectives ont été détruites ou incendiées en 2015. À Taez comme à Hodeida, la seule église est délaissée, la bibliothèque chrétienne de Taez, brûlée.
La persécution par les autorités, la détention arbitraire, les menaces de mort, surtout par des groupes islamistes, durent. Les chrétiens ont donc peu d’espoir. Ils sont ainsi un microcosme parmi le sort catastrophique des « chrétiens d’Orient ».
Une persécution intense, reflet de la condition chrétienne dans le monde
Le rapport de surveillance mondiale 2021 d’Open Doors, qui recense la persécution contre les chrétiens dans le monde est donc éloquent. Plus de 340 millions sont tués, emprisonnés, maltraités ou font état de menaces, pour leur croyance. Ainsi, un chrétien sur huit est aujourd’hui victime de tels actes. Chaque jour, treize chrétiens sont donc tués, arrêtés, cinq sont enlevés et douze églises sont visées.
Les quelques faits de conversion au Yémen ne compensent pas la gravité des persécutions. Aujourd’hui sous blocus, les Yéménites chrétiens souffrent d’un conflit où leur voix ne compte pas. Ils sont, avec les baha’is ou les Akhdam, les « oubliés » d’une guerre négligée.
[1] Jeannette Bougrab, Un silence de mort, Paris, Les Éditions du Cerf, p.32.