Les autorités algériennes : le vaccin anti-covid 19 est halal
Pour tenter d’enrayer la pandémie de la covid-19, plusieurs pays se sont lancés dans la fabrication d’un vaccin.
Depuis fin janvier, l’Algérie a réceptionné 50 000 doses du vaccin russe Spountik V, 50 000 également du britannico-suédois AstraZeneca et 200 000 du chinois Sinopharm. D’autres livraisons de vaccins doivent se poursuivre. À la fin du mois de janvier 2021, une trentaine de personnes ont reçu les premières doses du vaccin russe.
Parallèlement au lancement de la campagne de vaccination, une polémique autour de la question de savoir si ce vaccin est halal [1] a vu le jour. En effet, des informations relayées sur les réseaux sociaux évoqueraient la présence de gélatine de porc dans les composants du vaccin.
Le vaccin anti-covid est halal selon les institutions sanitaires
En réaction aux inquiétudes de populations de confessions juive et musulmane, certains laboratoires comme Pfizer ou encore AstraZeneca ont déjà communiqué sur l’absence de produits porcins dans leur formule. Ce qui permettrait de considérer le vaccin casher et halal [1]
Du côté des institutions algériennes, le porte-parole du comité scientifique de suivi de l’évolution de la pandémie s’est prononcé. Il a assuré que le vaccin russe était bien halal.
Après l’Indonésie, l’Algérie est le deuxième pays qui choisit de répondre à cette polémique. Un communiqué de la Commission ministérielle de la fatwa vient également y répondre.
Le vaccin anti-covid est halal d’après la Commission ministérielle de la fatwa
Le 28 janvier 2021, la Commission ministérielle de la fatwa du ministère des Affaires religieuses et des wakfs a publié le communiqué n°25.
Selon ce texte – rédigé en arabe et traduit par nos soins -, la vaccination contre la covid-19 est indispensable pour contrer la pandémie. Le communiqué ajoute que le vaccin n’est pas dangereux pour la santé des citoyens. Enfin, selon la Commission ministérielle, le vaccin ne contiendrait aucun composant « prohibé par la sharia » [2]. Elle construit son argumentation en quatre temps.
D’abord, elle précise que les dispositions de la sharia, notamment celles du fiqh [3] ordonnent de se faire soigner. Elle cite alors un hadith authentique pour appuyer son propos.
Un deuxième argument est d’affirmer qu’il est nécessaire de coopérer avec les organisations chargées de la campagne de vaccination. Elle appuie son propos sur un verset coranique :
« Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression » (sourate 5, verset 2).
Ensuite, la commission affirme qu’il faut se référer aux autorités officielles scientifiques de confiance. Pour appuyer son propos, elle fait référence aux informations médicales ainsi qu’aux dispositions du fiqh. Elle cite ainsi un verset coranique :
« Interrogez les gens du rappel si vous ne savez pas », ou selon une autre traduction : « Demandez donc aux érudits du Livre, si vous ne savez pas » (sourate 21, verset 7).
Enfin, elle rappelle la nécessité de respecter les mesures préventives pour contrer la propagation du virus.
Un communiqué ne faisant pas l’unanimité
Des chroniqueurs ont remis en question ce communiqué. Certains ont choisi la voie de l’ironie : « les chercheurs ont passé plus d’un an pour trouver un vaccin et les imams quelques minutes pour nous dire qu’il est bon ». D’autres ont soulevé la question de l’immixtion du religieux dans le domaine médical et de santé publique. Selon eux, c’est une manière de tourner en dérision les scientifiques.
Le chercheur des religions, Bouzid Boumediène a affirmé que la sollicitation systématique, « à tort et à travers » de l’avis des religieux nuit à la religion et à la vie publique. Selon lui, les décisions administratives qui concernent les citoyens n’ont pas à se référer à l’islam.
Le président du syndicat des praticiens de la santé publique s’est également exprimé. Selon lui, si l’intention était de sensibiliser sur l’importance de l’opération et de rassurer les citoyens, il aurait suffi que le ministre de la Santé et les cadres du ministère se fassent vacciner devant les caméras de télévision. Il a affirmé que l’émission d’une fatwa pourrait ouvrir la voie à l’interprétation dans les domaines de la santé publique :
« D’autres pourraient [en] demander demain pour des médicaments, sérums et autres préparations pharmaceutiques ».
Analyse du texte de la Commission ministérielle de la fatwa
Plusieurs questions se posent. Quelle est la nature du texte émis par la Commission ministérielle ? Un communiqué équivaut-il à une fatwa ? Quelle est la valeur juridique de ce texte ? Est-il contraignant ? Toutes ces interrogations ouvrent un débat plus large, celui de l’immixtion du religieux dans le domaine scientifique.
Pour tenter d’y répondre, il faut s’intéresser à l’organe émetteur, à savoir la Commission ministérielle de la fatwa.
La Commission ministérielle de la fatwa
Après de nombreuses recherches, le texte créant cet organe reste introuvable. De plus, ladite commission ne figure pas dans l’organigramme du ministère des Affaires religieuses et des wakfs. Si le site du ministère met en ligne son organigramme, aucune mention de la commission n’y est faite.
Aussi, le décret exécutif de 2000 portant organisation de l’administration centrale du ministère des Affaires religieuses ne la mentionne pas non plus. La seule référence en matière de fatwa concerne la sous-direction de l’orientation religieuse et de l’activité de la mosquée. Selon le texte, cette dernière est chargée de « suivre l’activité en matière de fatwa ». Toutefois, l’article 7 de ce décret prévoit que l’organisation de l’administration centrale en bureaux est fixée par arrêté interministériel du ministre des Affaires religieuses, du ministre des Finances et de l’autorité chargée de la fonction publique. Ainsi, on suppose que ladite commission a été créée par arrêté ministériel non publié. En l’absence de texte publié, il n’est pas possible de savoir quelles sont les prérogatives de cet organe ni quel est son mode de saisine.
Nature du communiqué
Le texte qui nous intéresse se trouve à la rubrique : la Commission ministérielle de la fatwa. Il figure parmi vingt-six autres textes publiés du 15 mars 2020 au 10 février 2021. Notons qu’il n’apparait pas à la rubrique : banque des fatwas. Cette dernière rubrique liste pourtant les avis religieux rendus par le ministère en réponse aux questions des internautes. S’il s’agissait d’une fatwa, pourquoi le texte n’y a pas été publié ? A fortiori, l’intitulé même du texte laisse planer un doute sur sa nature. En effet, le texte s’intitule : bayan (communiqué) et non fatwa (avis religieux). Par ailleurs, en lisant le premier communiqué, on note la formule finale :
« le présent communiqué a été soumis à l’approbation du Haut Conseil Islamique et d’un groupe de savants ».
Ce qui nous amène à nous intéresser au Haut Conseil Islamique (HCI). C’est le deuxième organe, en plus du ministère des Affaires religieuses, au sein duquel l’islam et le politique entretiennent des rapports.
Le Haut Conseil Islamique, organe des fatwas
Le HCI est une instance consultative placée auprès du président la république. L’une de ses missions est de proclamer des fatwas tant dans le cadre officiel que particulier en lien avec les instances et institutions spécialisées concernées [4]. Néanmoins, leur valeur juridique n’est pas précisée.
Doit-on considérer qu’il ne s’agit que d’avis, puisque l’organe qui les délivre est une instance consultative ? En tout état de cause, le décret présidentiel de 1998 relatif au HCI prévoyait que ces avis ne pouvaient se substituer, ni empiéter sur les attributions des instances législatives ou sur celles du Conseil constitutionnel et des cours de justice [5]. Or, le décret de 2017 qui a précisé les prérogatives de cet organe n’a pas repris cet article. Que signifie ce silence ? Il est important de préciser que les fatwas ne sont rendues qu’après saisine par le seul président de la République [6]. Le HCI est donc un organe au service de l’État et non au service du citoyen musulman.
Ainsi, les textes prévoient qui est apte à saisir le HCI pour demander une fatwa. Il peut se réunir en session extraordinaire qu’à la demande du président de la République ou des deux tiers de ses membres. Or, le flou demeure pour la Commission ministérielle de la fatwa. On ne sait pas qui est à l’initiative du communiqué affirmant que le vaccin anti-covid est halal.
Quant à la valeur de ce texte, on peut avancer qu’il ne peut avoir de valeur juridique contraignante. Nous l’affirmons en faisant une comparaison avec les fatwas du HCI. Si les textes de cet organe ne sont que des avis, les communiqués de la commission ne peuvent être contraignants.
Conclusion
Au-delà du problème juridique, ce communiqué pose la question de la place des institutions religieuses au sein de l’État algérien. Ceci ouvre le débat sur leur impact sur le politique.
Dans un article précédent, nous affirmions que les autorités religieuses n’exercent pas de pouvoir politique et ne s’associent pas à son exercice [7]. Toutefois, depuis quelques années, la sollicitation de la caution religieuse [8] est plus fréquente.
Or, il s’agit, en notre sens, d’une recherche de légitimité. L’État algérien présente l’islam comme le ciment fédérateur de la lutte anticoloniale. Il le définit comme une composante fondamentale de l’identité nationale. L’islam a aussi été un instrument de légitimation de la politique interventionniste de l’État. Il a, en effet, servi de fondement à la politique socialiste de l’Algérie et, sur un autre registre, de légitimation à la réforme du Code de la famille.
Aujourd’hui encore, cette recherche de caution religieuse est le signe d’un manque de légitimité étatique et d’une rupture avec les citoyens, notamment depuis le hirak.
Notes :
[1] Halal signifie ce qui est permis, par opposition au haram, ce qui est interdit.
[2] La sharia s’entend comme l’ensemble des ordres de Dieu et est souvent traduite par loi islamique. Classiquement, les deux piliers de la loi islamique sont le Coran et la Sunna, la tradition du prophète.
[3] Le fiqh vient de l’arabe faqaha, qui signifie comprendre, concevoir. Littéralement, il a pour sens compréhension. La traduction la plus proche juridiquement serait « doctrine islamique », au sens d’opinions exprimées par des juristes sur une question de droit.
[4] Article 3 du décret présidentiel n°91-179 du 28 mai 1991 relatif au HCI.
[5] Article 2 du décret présidentiel n°98-33 du 24 janvier 1998 relatif au HCI.
[6] Article 6 du décret présidentiel N°17-141 du 18 avril 2017 fixant l’organisation et le fonctionnement du HCI.
[7] ZEMIRLI Z., « L’islam d’État, la construction d’un référent religieux national », in DIRECHE K. (dir.), L’Algérie au présent : entre résistances et changements, IRMC-KARTHALA, pp.451-466.
[8] Pour exemple, la commission avait émis une fatwa pour les logements « location-vente » les considérant comme halal.