Samia Suluhu Hassan : une femme musulmane zanzibarie à la tête d’un État neutre
Le Président John Magufuli est décédé le 17 mars 2021. Sa vice-présidente, Samia Suluhu Hassan, a effectué l’annonce à la télévision nationale. Son décès occasionne un changement de gouvernance qui n’aura pas manqué d’être remarqué. Comme le veut la Constitution tanzanienne, c’est le vice-président qui prend sa suite. Ainsi, le 19 mars 2021, Samia Suluhu Hassan succède à John Magufuli et ce jusqu’en 2025. Musulmane dans un pays où cette religion est minoritaire (62 % de chrétiens et 34 % de musulmans en 2020), elle était l’invitée d’honneur du National Muslim Council of Tanzania à l’occasion de la célébration de l’Eid-el-fitr le 14 mai dernier.
Samia Suluhu Hassan : femme et musulmane à la tête de l’État
Depuis l’indépendance du Tanganyika en 1963, puis celle de Zanzibar en 1964 qui ont formé la Tanzanie moderne, le pouvoir tanzanien passe pour la première fois entre les mains d’une femme.
La Tanzanie est un « secular state » comme il est spécifié dans la Constitution : ainsi l’État est neutre en matière de religion et ne privilégie aucun culte. Les différents hommes d’État étaient jusqu’alors représentatifs de la diversité religieuse en Tanzanie. Pour exemple, Julius Nyerere (1964-1985), s’est converti très jeune au catholicisme et son successeur Ali Hassan Mwinyi (1985 – 1990) était musulman. Samia Suluhu Hassan vient compléter cette mosaïque identitaire en étant la deuxième musulmane a dirigé ce pays.
L’alternance entre chefs d’État originaires du plateau continental tanzanien ou originaires de l’île de Zanzibar permet de consolider une cohésion sociale récente et fragile.
Une rareté dans le continent africain
En prenant le pouvoir, Samia Suluhu Hassan devient également la seconde femme musulmane a dirigé un état multiconfessionnel en Afrique. La première était Ameenah Gurib-Fakim en 2015 pour l’île Maurice. Elle devient aussi la deuxième femme présidente à porter le hijab dans un pays où l’islam est une minorité.
Actuellement, elle est la deuxième femme à la tête d’État en Afrique, mais la seule à détenir un pouvoir effectif. L’éthiopienne Sahle-Work Zewde n’a en effet qu’un titre honorifique. L’émergence de cette femme tanzanienne à la carrière politique bien remplie amène à s’interroger sur la gouvernance des femmes à la tête d’un pouvoir politique aussi important en Afrique de l’Est.
La côte swahilie : un monde non étranger à l’émergence de pouvoir féminin
Dans l’histoire, la côte swahilie et ses différentes cités-États ont été les témoins de pouvoirs singuliers. Cette zone dite swahilie a développé une culture originale, musulmane, cosmopolite, citadine, raffinée et surtout commerçante.
Les cités-États ont pu être des sultanats ou encore des chefferies. Plusieurs sultans ou sultanes ont convoité ces pouvoirs. C’est ainsi qu’on trouve différentes femmes de pouvoir dans ces régions à l’époque moderne [1] dans les sources européennes ou locales. On trouve par exemple la sultane Wabedja Bint Fe Ubbayya à Ngazidja (Grande Comore) au début du XVIe siècle, Halimah I d’Anjouan au milieu du XVIe siècle, Jumbe Amina de Mayotte vers la fin de ce même siècle, Mwana Darini entre 1670 et 1700 à Pate, la sultane Fatima Bint Muhammad en 1711 à Kilwa ou encore Jumbe Fatima de l’île de Mohéli vers la fin du XIXe siècle [2]. La légitimité du pouvoir se transmettant alors par la mère ou en l’absence de fils, à la fille, il était tout à fait commun de retrouver des femmes diriger ces têtes de pont commerçantes.
De nombreux défis attendent la nouvelle Présidente
Samia Suluhu Hassan apparaît comme le nouveau visage de la Tanzanie. Elle est diplômée en management du développement, en administration publique et en économie. Mère de quatre enfants, elle portera la responsabilité de permettre une stabilité sur le plan social du pays. Bien que fortement alphabétisé, ce pays se caractérise par une démographie forte et très jeune (près de 50 millions d’habitants).
Convictions religieuses de la nouvelle Présidente
Certaines rumeurs sur les réseaux sociaux la présentent comme une femme docile et ayant des co-épouses ; ce qui est faux, le mari de Samia Suluhu Hassan étant bel et bien monogame. Elle a néanmoins témoigné sa soumission à son mari dans une vidéo devenue virale. Elle explique que la religion (musulmane) fait qu’elle s’agenouille par amour et affection devant son mari. Pourtant, l’islam interdit la soumission à quiconque si ce n’est Dieu. Il semble qu’elle confonde ici religion et tradition. Cette posture conservatrice de la nouvelle Présidente n’a pas manqué de susciter de nombreuses réactions.
Gestion de la situation sanitaire et des relations avec Oman
En plus de faire attention à ses prises de parole pouvant être controversées, elle devra aussi faire face au défi de la covid-19 qui sévit en Tanzanie et que son prédécesseur refusait de prendre au sérieux en ouvrant les frontières tanzaniennes au tourisme de masse et en mettant les populations locales face à un risque élevé de contamination.
Il sera également question du développement et du rétablissement des relations commerciales et diplomatiques avec le Sultanat d’Oman qui sont maintenant ostensibles (ce que l’effondrement du palais de l’ancien Sultan omanais le Bayt al Ajaib, au mois de décembre a laissé voir).
[1] Aïmana Assoumani, « Femmes de pouvoir dans le monde swahili et comorien (mi XVIe siècle – mi XIXe siècle) : entre enjeux de représentation et dynamiques de pouvoir », mémoire de Master 1 d’histoire de l’Afrique et du Moyen-Orient sous la direction de Thomas Vernet-Habasque, 2020, pp. 139 – 140.
[2] Ibidem.
Image : Samiah Suluhu Hassan