La kafala, un système en réforme au sein du royaume saoudien ?
Au moins 41 femmes sri-lankaises, employées de maison, sont détenues arbitrairement depuis des mois dans un centre d’expulsion en Arabie saoudite, dans l’attente de leur rapatriement, a révélé Amnesty International le 15 avril 2021. Cette détention met en lumière les dérives du système de la kafala en vigueur au Moyen-Orient.
Apparue dans les années 50, la kafala, système de parrainage, s’exerce au Liban et dans les pays du Golfe. Il s’agit de disposer d’une main-d’œuvre immédiate, abondante et peu onéreuse. Celle-ci s’inscrit dans le développement économique des pays du Golfe à la suite de la découverte des hydrocarbures.
La kafala, un système inégalitaire
Les employés migrants subissent régulièrement des atteintes à leurs droits liées au système de la kafala. En provenance d’Asie du Sud et d’Afrique, ils exercent essentiellement des tâches ménagères chez des particuliers. Selon les témoignages, les conditions de travail sont épuisantes sans pauses ni jours de congé. Ces travailleurs sont également confrontés au versement irrégulier de leurs rémunérations. Par ailleurs, ils font l’objet de violences verbales et physiques et se voient régulièrement confisquer leurs passeports par leurs employeurs. Ils sont, ainsi victimes d’atteintes à leurs droits, notamment au travail forcé et aux agressions physiques et sexuelles.
Dès lors, il existe dans les pays du Golfe, une distinction entre les nationaux et les étrangers. La crise sanitaire a mis en exergue cette distinction avec une prise en compte de la protection sociale et sanitaire des travailleurs nationaux. Ceux-ci, contrairement aux autres pays du Golfe, sont majoritaires au sein du royaume saoudien.
Une volonté de réforme
Dans ce contexte, le ministère saoudien du Travail a annoncé une réforme limitée de son système de kafala pour mars 2021. En effet, il s’agit de permettre aux travailleurs migrants d’exercer leur liberté de circulation. Ils seront ainsi libres de sortir du pays et de quitter leur emploi sans l’autorisation de leur employeur s’ils remplissent certaines conditions. L’autorisation gouvernementale est notamment nécessaire.
Pour autant, cette réforme pourrait se révéler insuffisante quant aux atteintes au droit du travail que courent ces travailleurs. Les employeurs conservent, en effet, un contrôle considérable sur eux lors de la durée de leurs contrats. En outre, il n’existe pas de salaire minimum en Arabie Saoudite, au contraire du Qatar et du Koweït. À Oman, le salaire minimum existe uniquement pour les nationaux. En finir avec la kafala est « plus facile à dire qu’à faire », estime May Romanos, chercheuse pour Amnesty International. L’exemple du Qatar est parlant. Une loi entérinant la fin de la kafala a été votée en août 2020. « Il y a eu un réel mouvement de refus de la part des hommes d’affaires du pays et, en pratique, même si la loi existe, rien n’a changé. »
Une réforme portée par des critiques religieuses
Les critiques du système contemporain de la kafala sont sociologiques et religieuses. En effet, initialement, la kafala est une procédure d’adoption spécifique au droit musulman qui correspond à une tutelle sans filiation. De manière générale, la kafala fournit un cadre de solidarité sociale basé sur la confiance et la coopération entre les personnes dans divers domaines de leurs interactions.
La pratique contemporaine de la kafala peut être considérée comme une « insulte à l’islam » (Kakande 2015). D’autres l’ont assimilée à « l’esclavage moderne » (Chidiac 2014). On peut cependant faire valoir que les problèmes contemporains de la kafala sont principalement dus à des dérives plutôt qu’aux principes eux-mêmes.
Une nécessité économique
Il est à souligner que cette réforme répond à la nécessité de la refonte du marché du travail saoudien. En effet, celle-ci s’inscrit dans « Vision 2030 ». Ce plan doit sortir le pays de sa dépendance aux revenus pétroliers. Son objectif principal est d’« augmenter la compétitivité du marché du travail saoudien », notamment par « l’amélioration des conditions de travail des travailleurs étrangers ». Le pays était classé, en 2019, à la 89e place sur 140 par le Forum économique mondial. Aussi, le programme « Vision 2030 » vise à rendre le secteur privé attractif, notamment aux femmes, afin d’endiguer un taux de chômage record estimé à 15 % au deuxième trimestre 2020.
Dès lors, après plusieurs décennies de soutien à la kafala, les élites prennent conscience des limites d’un marché du travail dominé par des travailleurs immigrés. Ce marché incite la main-d’œuvre locale à exercer les emplois peu productifs de la fonction publique. Aussi, celle-ci demeure non compétitive, car recherchant des rémunérations attractives et horaires de travail allégés.
Les défis économiques sont étroitement liés à la perte de vitesse du modèle d’économie rentière. L’accélération de la transition énergétique pour une croissance durable et verte est le nouveau credo de l’économie mondiale. Selon Mustafa Qadri, directeur du cabinet de conseil Equidem Research, les hésitations qui entourent l’abolition de la kafala renvoient aux défis sociaux posés par la perspective d’un monde décarboné. Une de ses conséquences sera le modèle de société. Cette réticence des évolutions de la kafala s’explique par un mouvement général à l’encontre du vent de modernité en cours depuis 2015 dans le royaume saoudien.
Image : « Siti, now 38, from Indonesia, abused in Saudi Arabia, Oman and Hong Kong », by Steve McCurry ILO, CC-BY-2.0.